Pour Augustin Fragnière, il n’y aura de justice climatique qu’en passant par une nouvelle manière de vivre notre liberté individuelle, indissociable de notre liberté collective, estime le philosophe actif dans les sciences de l’environnement.
Face à l’urgence climatique, toujours plus préoccupante, l’action est beaucoup trop lente. Cette lenteur des progrès observés quand on se penche sur les travaux de la Convention-cadre des Nations unis sur les changements climatiques (CCNUCC), tient principalement à des questions d’équité, observe Augustin Fragnière. Qu’est-ce qu’une situation climatique juste, qui a droit à tant d’émission de CO2, qui doit payer et de quel montant pour arriver d’ici la fin du siècle à zéro émission? «Les pays n’ont jamais réussi à se mettre d’accord sur ce que signifie la notion de responsabilité commune mais différenciée», relève le chercheur, notamment actif dans le centre de durabilité au sein de l’UNIL.
La justice climatique passe par l’exemple
Le constat est sans appel: historiquement, les pays industrialisés ont émis beaucoup plus de gaz à effet de serre (GES), par habitant, que les pays en développement. Même si des pays émergents comme la Chine tendent à rejoindre les pays occidentaux dans leurs émissions de GES. Comme la plus grande partie des dommages dus au dérèglement climatique sont subis par le Sud, il semblerait logique que ce soit au Nord de montrer l’exemple. Ne serait-ce que pour permettre aux pays les moins développés d’avoir encore recours aux énergies fossiles, de manière transitoire.
Or des bonnes paroles aux actes, il y a de la marge. La transition écologique, passant par exemple par une taxe du CO2 et un réel encouragement des énergies renouvelable, demeure encore bien molle. Le Fonds vert pour le climat, initié en 2010 et destiné à aider les pays les plus vulnérables à mettre en place des projets pour combattre des effets des bouleversements climatiques, est un autre exemple révélateur. Il était prévu que les Etats financent ce fonds vert, ainsi que d’autres fonds, à hauteur de 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020. Selon un récent rapport de l’Oxfam, les flux financiers d’aide climatique réels ne se situeraient aujourd’hui qu’entre 16 et 22 milliards par an. On est encore loin du compte.
Qui plus est, s’insurge Augustin Fragnière, la Suisse pourtant très favorable à cette initiative, «met un petit drapeau estampillé aide climatique sur des fonds originellement destinés à l’aide au développement. Cela ne crée donc pas de nouvelles sources de financement. C’est du simple flagging».
De la liberté-enfermement à la liberté-ouverture
Une telle pusillanimité dans la lutte mondiale contre le dérèglement climatique peut s’expliquer par la notion de liberté qui est souvent mise en avant dans les sociétés occidentales. Celle-ci serait mise à mal par toutes formes de nouvelles contraintes environnementales. Dans cette optique inspirée du libéralisme économique, plus le nombre de choix offerts au consommateur serait grand, plus celui-ci serait libre. Avoir à sa disposition 15 sortes de yogourts ou 150 marques d’automobiles serait une garantie de liberté. «C’est une illusion, souligne Augustin Fragnière. La vraie liberté est sociale. Pouvoir choisir, certes, mais en se plaçant dans une communauté de femmes et d’hommes avec lesquels nous tissons des relations sociales, sans cette volonté de domination que suggère le chacun pour soi, le je fais ce que je veux quand je veux». C’est parce que la société nous protège de l’arbitraire avec son système de lois que nous jouissons d’une authentique liberté. A voir les publicités sur les voitures – A nous la liberté ! – ou sur les vols à prix cassés – A nous le monde entier ! – nous mesurons le chemin à parcourir pour nous débarrasser d’une conception désuète et toxique de la liberté.
Une indispensable action collective
L’action individuelle est insuffisante pour régler les questions environnementales. «Nous ne pourrons faire l’économie de décisions difficiles à prendre, insiste Augustin Fragnière. Ces dernières seront d’autant plus efficaces que le plus grand nombre y sera associé. Elles seront d’autant plus efficientes que, prises collectivement, leur coût sera moindre. Enfin, elles seront d’autant plus justes qu’elles ne seront pas le fait d’une minorité agissante face à une majorité passive». Avec son ambition d’expérimenter de nouveaux modes d’organisation sociale, de culture et de vie, Zoein nous ouvre le chemin des possibles. PLB