Par Ebrahim Salimikouchi
« De manière générale, un dictateur est
par définition quelqu’un d’incompétent. »
Dominique Bourg
Le mouvement Mahsa a débuté le 16 septembre 2022, dès le moment où cette jeune fille a été tuée par la police iranienne. Son crime était de ne pas respecter l’hijab obligatoire. Les images de cet événement ont été rapidement diffusées sur les réseaux sociaux. Chaque image était comme une étincelle tombée dans la moisson de colère, de désespoir et de haine accumulée dans le cœur des Iraniens.
La mort de Mahsa avait avant tout un grand effet de défamiliarisation. La scène de sa chute au sol était comme l’effondrement d’un arbre qui pouvait encore respirer, vivre et donner la vie. Elle avait un grand potentiel métaphorique. Elle symbolisait l’impossibilité de se taire ou d’espérer encore un dialogue avec le système politique. Et c’était ça que les Iraniennes ne pouvaient plus endurer. Elles sont descendues dans la rue. Tout comme depuis quelques années, elles étaient apparues dans la rue avec des vélos, des chiens et des vêtements colorés pour changer petit à petit le visage de l’espace public. Une femme avec un vélo ou un chien a toujours été considérée par le régime comme impardonnable.
Alors, de tels gestes apparemment simples, banals et quotidiens ont pu former une sorte d’éco-résistance réussie. Par ces petits efforts, en ajoutant un peu de couleur, de joie et de fraîcheur au fond gris de l’espace social, les Iraniennes ont pu exprimer leur désir de vie, de joie et de liberté. Elles ont graduellement influencé l’atmosphère publique. En l’absence d’intellectuels et en l’absence d’hommes, elles ont porté ainsi le fardeau d’une rénovation sociale[1]. L’assassinat de Mahsa leur a prouvé quand même qu’elles ne pouvaient plus s’adonner seulement à ces petites tâches pour améliorer l’atmosphère maximalement étouffante. Elles sont descendues ensemble dans la rue cette fois pour terminer leur grand projet en cours. Un projet qui était avant tout en défense de la vie.
Les Iraniennes – des masses de femmes et pas seulement des femmes instruites ou activistes – ont réalisé il y a des années que l’oppression du corps féminin par le régime islamique équivalait à l’oppression de la société. Pour la plupart d’entre elles, cette oppression corporelle était considérée comme une stratégie, entre autres choses, pour la suppression des connexions interhumaines, de la solidarité et de l’empathie. En effet, elles n’ont pas été, au fond, totalement contrôlées par l’ordre établi depuis toutes ces années. Contrairement aux illusions du régime, elles ont lu des livres, ont appris des langues étrangères, ont fait de la randonnée, ont allé au café, ont nourri les oiseaux, ont construit des refuges pour chiens errants, ont regardé des films, ont conduit, ont expérimenté l’amour, ont acheté des fleurs, ont ri, etc.
Alors, chaque jour, elles ont fait un petit pas pour rendre leur environnement moins fermé et agressif, plus communicable, plus moral. Or, leur descente collective dans la rue n’est en aucun cas sans appui théorique. Elle n’est pas soudaine et précipitée. Il s’agit d’une nouvelle forme d’endurance et de solidarité qui a débuté il y a de nombreuses années et, pour cette même raison, aucune volonté répressive n’aura éventuellement la capacité de l’éteindre.
Le mouvement Mahsa est contre quoi ?
Le mouvement Mahsa résiste contre l’un des systèmes politiques les plus compliqués du monde. Une théocratie totalitaire fondée sur une idéologie islamiste immorale, aventureuse et violente, qui ne dispose pratiquement d’aucun mécanisme d’autocontrôle. Sur la base des présupposés souvent extravagants d’un Islam politique, le leader du pays est pratiquement considéré comme le successeur de Dieu et des Imams shiites, et par là, toute divergence d’opinion et toute opposition à son égard est impardonnable. D’où viennent la justification des violences atroces dans la rue ou au coin des centres de torture et des cellules de prison, ou bien des ordonnances judiciaires précipitées qui sont parfois émises quelques jours seulement après l’arrestation des accusés.
Le mouvement Mahsa révèle toujours la rage, la négligence, l’inefficacité et la stupidité d’un système politique arrogant. Il met sérieusement en cause la négligence morale, mentale et verbale des mollahs et des hommes d’État aux capacités mentales de plus en plus faibles. Un an après ce mouvement, ils font plus de bêtises chaque jour et prononcent des mots plus hébétés. Ils sont clairement inférieurs en termes de communication et de compétences de gouvernance que le niveau moyen des dirigeants de la plupart des pays du monde. Chaque jour, des centaines de vidéos étalent leurs crises morales et leurs niaiseries comportementales et verbales. Ces contenus démontrent constamment le réel choquant de la face cachée d’un régime totalitaire moderne. Les gouvernants et défenseurs de ce système invitent vertigineusement les gens à la piété, à la vertu et à l’éthique islamique, mais en cachette ils se transforment en monstres dépassant l’imagination. L’exemple le plus récent est celui de jeunes mollahs très durs et exigeants qui ont eu dans les chambres d’hôtels ou leurs bureaux des relations sexuelles avec des femmes mariées ou d’autres hommes.
Un an après le commencement du mouvement, les Iraniennes en ont assez du conformisme et de l’hypocrisie institutionnalisés partout dans la société. Elles ne veulent plus croire, comme beaucoup d’hommes, qu’il est normal d’être limité et réprimé dans la sphère sociale et libre dans le privé. Elles veulent rester fidèles à un idéal oublié : si quelque chose est considéré comme une liberté, cela devrait être accessible à tous, tant dans l’espace privé que public.
Depuis de nombreuses années, l’hypocrisie, les mensonges, les pillages, les détournements de fonds, le chantage et les pots-de-vin sont devenus le réel quotidien de la vie iranienne. Les Iraniennes sont conscientes de cette crise morale en raison de leur lien direct avec l’éducation des enfants. Elles ont bien compris qu’il n’y a jamais eu autant de contradictions et d’incrédulité chez les enfants. Elles observent que leurs enfants souffrent de cette schizophrénie généralisée au bout d’un certain temps et apprennent ensuite à avoir des personnalités différentes et contradictoire à la maison, à l’école, dans la rue et d’autres situations.
Elles en ont assez également de n’être que des mères d’« immigrés irrévocables ». Au cours des trois dernières années seulement, plus de 850’000 personnes ont quitté le pays et ont rejoint la grande diaspora iranienne. Les Iraniennes rappellent, entre autres, que la société s’est à peu près vidée de ses talents, ce qui ne fera qu’aggraver les crises à venir.
Le mouvement Mahsa contient aussi une sorte de révélation contre le silence de la communauté internationale. Un silence souvent délibéré des pays conscients de la nature menaçante et dangereuse du régime islamique. Le mouvement Mahsa a démontré, plus que jamais, que les avantages économiques de l’Iran doté de ressources brutes abondantes ne permettent pas à la communauté internationale de soutenir les opposants. Les dirigeants actuels continuent donc de profiter énormément au système capitaliste mondial. Ils ont toujours à leur disposition une quantité énorme de pétrole et de gaz, de mines et de stocks. De plus, ils sont belliqueux et rebelles, et tout cela signifie apparemment pour une partie du monde un marché important pour la vente de biens et d’armes, ainsi que pour les services, l’assemblage et la reconstruction.
Quel est le statut actuel du régime islamique ?
Un an après la mort de Mahsa, la plus grande crise du régime est la crise de légitimité. Pendant des décennies, il avait réussi à cacher cette perte de légitimité grâce à son vaste dispositif d’argent et de propagande. Il masquait les grandes faiblesses de son efficacité et de sa légitimité sous prétexte de se trouver dans des conditions de guerre, de complot et des menaces sécuritaires et, plus tard, de crises telles que les sanctions. Aujourd’hui, beaucoup de gens croient que c’est le régime lui-même qui crée souvent des crises, afin de rendre l’atmosphère plus précipitée et effrayante, et par là de contrôler et de réprimer plus facilement. Beaucoup pensent qu’au cours de ces dernières années, de nombreuses tragédies survenues, comme le grand incendie du bâtiment Plasco à Téhéran (2017), l’incendie du navire Sanchi (2018), l’avion ukrainien qui a été battu par un missile dès son décollage à Téhéran (2020) et les attentats terroristes à Shiraz (2023) étaient éventuellement commis par le régime et visaient à susciter des sentiments révolutionnaires et nationalistes.
En plus de cette crise de légitimité, le régime a perdu plus que jamais ses compétences fonctionnelles. 31 million d’Iraniens vivent sous le seuil de pauvreté et cela dans un pays qui possède plus de 10% des ressources du monde. Suite à cette chute fonctionnelle, le système politique a perdu le minimum nécessaire de crédit pour améliorer ou changer la situation. Il expérimente ces jours-ci sa plus grande chute d’aptitude. Même aux yeux de la plupart de ses anciens défenseurs ou un grand nombre des gens qui ont été toujours passifs, il ne sera plus capable de réaliser les moindres réformes.
Enfin, plus que jamais il se heurte à une grande chute de forme ; chute des symboles et icônes. Aujourd’hui la divergence de la société iranienne avec les présupposés et principes idéologiques du régime a atteint son degré le plus élevé. Cette divergence est devenue désormais une distance irréparable. Presque rien dans le peuple ne ressemble encore aux préceptes prescrits par le discours officiel du régime. La majorité de la société est totalement indifférente aux emblèmes et signes idéologiques et nombreux sont ceux qui sont entrés dans la phase de les contester. Ainsi, la « couche grise », la grande majorité des neutres et des indifférents se réduit de plus en plus. Pour la première fois, beaucoup d’employées de l’État, non seulement sur leurs photos sur les réseaux sociaux, mais dans la rue non plus, ne portent d’hijab. Un grand nombre des jeune écoutent en public la musique qu’ils désirent, dansent, exhibent leurs gestes amoureux et mettent ainsi en cause les derniers symboles d’un système politique qui a constamment dénié la vie.
Les acquis de la génération Mahsa
Pendant des années, les Iraniennes ont essayé de remettre en question les « signes » représentants ou justificateurs du gouvernement islamique. Elles avaient très intelligemment compris qu’il est possible d’infiltrer lentement l’atmosphère publique étouffante par des gestes qui défendaient la vie, le dialogue, l’humain et l’animal. Nous pouvons maintenant affirmer qu’elles ont réussi. Elles ont su se réapproprier l’environnement. Ces jours-ci, malgré les conditions économiques difficiles auxquelles les gens sont confrontés, nombreux sont ceux qui admettent qu’au moins le « visage de la vie » a totalement changé. Un visage qui annonce clairement d’autres changements imminents. Ils croient que ce qui vient d’être ajouté aux rues, aux espaces de la vie collective, c’est la « vie ». Une vie plus intègre, plus réelle et plus humaine. Les jeunes filles qui vont chaque matin jusqu’à la porte de l’école, de l’université ou de leur lieu de travail sans l’hijab obligatoire et sourient aux passants sans culpabilité, réclament déjà une existence plus humaine. Les femmes qui considèrent comme leur droit de rouler à vélo, voire à moto, ou d’avoir un chien, sapent de plus en plus la domination et l’omniprésence des « signes fondateurs » du régime dans l’espace public.
Cette présence renouvelée est un mélange de courage, d’intelligence et de clairvoyance. C’est comme si la rationalité, la maternité et l’engagement s’étaient unis pour sauver l’honneur d’une culture qui a toujours été parmi les plus pacifiques, les plus accueillantes et les plus vivantes.
Selon les statistiques officielles, 537 personnes ont été tuées ou exécutées depuis le début du mouvement Mahsa jusqu’à aujourd’hui[2]. Beaucoup d’entre elles étaient des adolescents et des jeunes dont le seul crime imputable était la participation à des manifestations. Au cours de cette année, plus que jamais, la nature anti-vie du régime a été révélée. Un régime qui est doté des moyens de contrôle et d’espionnage les plus sophistiqués et des méthodes de torture compliquées. Non seulement des tortures physiques visibles, mais surtout des processus complexes de « torture blanche » : tortures psychologiques telles que menace de révélation des secrets de la vie privée des gens, otages émotionnels au sein des familles, perturbation de la confiance conjugale et mise en péril des moyens de subsistance.
Pour toutes ces raisons, le mouvement Mahsa reste l’une des révolutions les plus passionnantes du monde contemporain. Parce qu’elle rappelle a priori les idéaux oubliés de l’humanité et ne ressemble en rien aux autres manifestations clichées et courantes pour l’augmentation des salaires, la réduction des impôts ou le prix de l’essence. C’est une tentative pour défendre la liberté, la polyphonie et la démocratie et en même temps une contestation contre l’affaissement, l’aliénation et l’indifférence du monde d’aujourd’hui.
Qu’est-ce que le monde peut apporter à ce mouvement ?
Personne ne peut assigner des devoirs au monde. Personne ne peut le juger non plus. Le monde n’est pas une parcelle unique et unifiée. Tout cela est vrai. Par contre, chacun a le droit de rappeler l’indifférence du monde, son insensibilité, son oubli. Chacun a le droit de crier que l’indifférence et l’oubli ont déjà trop élargi le « culte de moi », ce moi égoïste et autosuffisant, tellement propice à la continuation des crises de la vie collective.
La voix des Iraniens qui descendent encore dans la rue après un an est suffisamment forte pour atteindre les oreilles du monde entier. Les peuples ont plus ou moins l’entendu et ont réagi. Le problème vient des Etats. Beaucoup d’entre eux ne veulent pas l’entendre. Cette surdité facultative provoque toujours une grande déception. En plein milieu du mouvement, les superpuissances ont repris ou même élargi leurs relations avec les mollahs, comme pour symboliquement et pour faire voir. Cela a été interprété par les Iraniens comme signifiant que le régime bénéficie plus que jamais du soutien diplomatique international. Le comble du désespoir et de la tristesse a été lorsque les Etats-Unis ont annoncé la reprise des négociations avec les mollahs et leur ont restitué l’argent bloqué.
Tout cela a malheureusement montré encore une fois que les Iraniens sont seuls. Plus seuls qu’ils ne le pensent. Ils se sont aperçu de nouveau qu’ils sont géopolitiquement trop éloignés et toujours pris dans une étrange calamité : le pétrole. Ils se sont dit encore une fois, tant que le pétrole sera impliqué et tant que l’économie actuelle sera basée sur la pensée de l’accumulation et sur l’égoïsme, il n’y aura pas d’espoir d’une vraie empathie internationale.
Les Iraniens ont donc vécu des jours tristes au cours de l’année passée. C’était sombre et effrayant. Ils étaient déçus d’être ainsi négligés. Malgré les limitations du filtrage, les pannes d’Internet et les vastes contrôles de l’espace virtuel, ils ont essayé de transmettre au monde les histoires, les espoirs, les rêves, les chagrins et les tragédies de leur mouvement. Ils ont réussi, malgré tout, à faire de bonnes chansons, à prendre et publier des photos de qualité, à produire des vidéos attirantes et à écrire des textes éloquents. Ils essaient toujours. Ils continuent à acheter encore des anti-filtres aux enfants des mollahs installés au Canada et en Angleterre et qui sont devenus de grands commerçants des anti-filtres.[3]
Une autre grande déception en ce moment, un an après le début du mouvement, est la peur et le doute que le monde éprouve à l’égard des véritables mouvements de femmes. Il n’est peut-être pas possible de le dire avec certitude, mais je pense que notre monde, ce monde qui tente de reconnaître l’égalité entre les hommes et les femmes, n’accepte toujours pas leur rôle efficace pour des changements majeurs.
Il est temps que le monde n’ait plus peur du réveil des femmes. Ce réveil foncièrement écologique bénéficiera en fin de compte à la communauté mondiale et pourra, à long terme, rétablir l’équilibre perdu. Le monde ne devrait pas avoir peur des femmes qui réclament « plus de vie ». Leur rôle existentiel a toujours été cela. Elles ont toujours été des gardiennes de la vie, des derniers remparts de l’humain, de ce qui était le plus altruiste et sensible chez l’homme. Elles sont toujours là pour défendre la conversation, la paix, la beauté et le sourire.
Acceptons que notre monde ait perdu l’équilibre nécessaire pour établir une vie humaine minimale pour chacun. Admettons que le désir maladif de la minorité des tenants du capital pour tout transformer en argent ait donné naissance à des nouvelles formes des exploitations/colonisation anti-humaines et anti-vie. Nos systèmes capitalistes actuels et nos quasi-démocraties présentent de sérieuses faiblesses. Continuer dans ce sens et maintenir à tout prix les conditions actuelles est la chose la plus absurde qui puisse être.
La complicité de la politique avec les riches et l’enrôlement de politiciens pour défendre le pouvoir sans limite du capitalisme, nous ont amenés à faire face à un sérieux déclin du niveau des systèmes politiques partout dans le monde. Bientôt, la politique et les politiciens n’auront plus aucun prestige. Car ils ont oublié leur raison d’être qui est avant tout de protéger la vie, l’environnement, la justice et le bien commun.
Le réveil des Iraniennes est ainsi un rappel et une mise en garde contre l’oubli collectif et hypocrite du monde d’aujourd’hui. Un monde où la plupart de ses citoyens souffrent davantage d’injustice, d’épuisement professionnel, de solitude, de dépression et de peur.
Notre monde n’a jamais été aussi fatigué. Nos systèmes économiques et politiques ont épuisé plus que jamais la planète et l’homme. Cela semble peut-être trop idéaliste, mais il est temps pour le monde de penser à « l’être humain » plutôt qu’au profit. Un idéalisme qui sert l’humanité vaut bien mieux qu’un réalisme qui serve le capitalisme d’une minorité. Réduire les êtres humains et nier implicitement ou pratiquement les valeurs des civilisations, mènera finalement à la destruction totale. Les communautés ont la possibilité de coexister pour autant qu’elles reposent sur un minimum de valeurs communes. La complaisance à l’égard des dictateurs, le soutien aux systèmes autocratiques, voire le silence contre le totalitarisme sous toutes ses formes et dans toutes les géographies, créeront de terribles désastres humains qui ne seront plus spécifiques à un territoire ou une région particulière.
Le mouvement Mahsa constituera un nouveau contexte dans les relations entre les États-nations du Moyen-Orient. Aujourd’hui, surtout les femmes d’Afghanistan et les Kurdes de la région en Turquie, en Syrie, en Irak et ailleurs, suivent ce mouvement et prennent cette résistance féminine environnementale et quotidienne comme modèle.
L’Iran a été depuis longtemps un pivot civilisationnel, géopolitique et culturel pour la région et le monde. Dans une perspective à long terme, il serait dans l’intérêt de la communauté internationale d’aider ce peuple à choisir cette fois un système politique démocratique au moins pour la stabilité de la paix, des interactions durables pour l’écologie et l’amélioration de la situation générale au Moyen-Orient.
En fait, il n’est pas approprié qu’un peuple ayant ce bagage civilisationnel et historique et un immense talent pour interagir avec le monde, continue d’être sous le joug d’un gouvernement théocratique fondé sur l’inimitié et la haine.
Les Iraniens sont fatigués de la haine théorisée et insérée dans tous les aspects de leur vie. Ils ne peuvent plus supporter cette antipathie destructrice qui constitue le fondement du discours politique des mollahs. Les Iraniens veulent revenir à l’héritage culturel du glorieux Iran, cet Iran épris de culture, d’amitié, de respect et de compassion.
De nombreux Iraniens croient profondément que l’expérience du régime islamique pendant ces quarante dernières années n’a été qu’une petite parenthèse au sein de leur histoire contemporaine et que l’Iran – le véritable Iran – serait complètement différent. Ils tentent de le rechercher, de le retrouver et de le faire revivre.
Il va de soi que cette prise de conscience collective n’a pas été facile à atteindre. La protestation sociale des Iraniens était pour longtemps un jeune arbre fragile, faible et sans jardinier qui a grandi grâce au sacrifice de milliers de militants sociaux. Ce petit arbuste s’est maintenant transformé en un grand arbre qui a pris racine sur une vaste zone. La plus jeune génération d’hommes et de femmes contemporains du pays – la génération connue notamment sous le nom de « génération Z » – continue à protéger cet arbre. Cette génération des adolescents et des jeunes de moins de 20 ans a déjà surpris de nombreux analystes. On pensait jusqu’à il y a seulement un an que cette génération n’a pas assez de discernement et de capacité d’action à cause de ses divertissements, son consumérisme et sa superficialité apparente. Cette perception était fondamentalement fausse. La génération Z a démontré, dès le commencement du mouvement, qu’elle constitue l’une des progénitures les plus courageuses et avant-gardistes de l’Iran contemporain et peut être ainsi un atout majeur pour l’avenir de la région et même du monde.
Ce n’est qu’un début !
Un an après la mort de Mahsa, 31 organisations militaires, sécuritaires et administratives se sont mobilisées pour réprimer toute protestation et désobéissance civile. Les exécutions, les arrestations arbitraires et injustifiées, les tortures physiques et mentales, l’expulsion d’étudiants et de professeurs, les intimidations et les menaces contre les familles se poursuivent.
L’absurdité continue : jusqu’à présent, le régime a tué et emprisonné des milliers de personnes afin de prouver qu’il n’avait pas tué Mahsa ce jour-là et que tout cela était un autre complot de la part des ennemis ! Il est encore prêt à sacrifier des milliers d’autres personnes pour prouver que « les gens d’une nation islamique sont comme des moutons qui suivent seulement leur Guide et qui ne peuvent pas se mêler aux affaires »[4].
C’est un peu désespérant, mais tout cela montre que c’est déjà trop tard pour « une révolution d’en-haut », une réforme dans les infrastructures de la gouvernance. En ce qui concerne « une révolution d’en-bas », la révolution du peuple, elle va se faire avec un rythme naturel et inévitable. Le mouvement Mahsa sera donc tôt ou tard la phase ultime de ce procès.
Mais la réalité est que la continuation de régimes déshumanisants aura tôt ou tard des conséquences irréparables pour la communauté mondiale. Malheureusement une grande partie du monde ne veut toujours pas croire que nous sommes tous montés dans le même bateau et nous surfons sur les mêmes vagues féroces auxquelles seule une convergence collective et mondiale peut faire face. Si on regarde de plus près, une partie considérable des problèmes environnementaux et géopolitiques actuels sont dus aux dictateurs du Moyen-Orient. Les guerres directes ou par procuration, les migrations climatiques massives, les réfugiés, l’insécurité, le fondamentalisme, le terrorisme, le commerce des armes et de la drogue en sont seulement quelques exemples.
Le mouvement Mahsa a un an et cela n’est qu’un début. Un début pour renverser un système autocratique qui a capturé l’une des nations les plus civilisées, les plus dialogiques et les plus accueillantes du monde.
A la veille de cette première commémoration de la mort de Mahsa, la proposition la plus claire et la plus évidente qui s’est formée dans la mentalité collective des Iraniens est la suivante : ce système doit partir et laisser la place à un autre. La corruption généralisée des institutions administratives, la violence et l’agression incessante contre les libertés individuelles et collectives, et la crise d’inefficacité de l’économie, de la culture et de la diplomatie publique ont fait qu’il n’y a plus aucune justification à ce qu’il perdure.
Les Iraniennes crient haut et fort que les mollahs doivent quitter le pouvoir. Les voix de ces femmes sont si expressives et pleines de vérité que les dirigeants ont intérêt à les écouter plus tôt. Ils devront partir tôt ou tard et emporter avec eux leur vision dangereuse d’un Islam totalitaire.
Les Iraniens attendent patiemment ce jour. Cette victoire constituera une page nouvelle et unique dans l’histoire contemporaine du monde et en particulier du Moyen-Orient. Elle donnera un exemple possible et faisable aux femmes de la région. Les femmes d’Afghanistan, de Syrie, d’Irak, du Pakistan, des régions dispersées du Kurdistan et d’autres pays de la région peuvent apprendre de la longue résistance éco-culturelle des Iraniennes et en tirer des leçons.
Le grand obstacle est que les mollahs ont encore de l’argent et des diplomates aux vestes repassées pour négocier et marchander. Mais cela non plus ne peut durer jusqu’à l’éternité. L’Histoire a toujours fait des blagues. Apparemment l’une des pires plaisanteries de l’Histoire avec le peuple iranien a été celle du régime islamique.
Ce qui est sûr, l’avenir de l’Iran sera profondément féminin et apportera des discours plus écologiques, plus justes et plus humains. L’Iran de demain n’aura plus de place pour quelque forme de totalitarisme que ce soit. Pour cette simple raison que l’envie de vivre, l’envie de liberté, l’envie de rester humain reste toujours plus forte, plus forte que tout.
[1] J’ai traité cette éco-résistance féminine iranienne notamment dans un article publié dans La Pensée écologique :
« Quand l’aspiration à la démocratie passe par les signes écologiques : le cas de l’Iran et de la résistance par les chiens ».
[2] IHR (14 septembre 2023).
[3] Il semble qu’une telle absurdité soit rare dans toute l’Histoire. Imaginez les dirigeants d’un pays interdisant légalement et avec force quelque chose et que leurs enfants vendent les mêmes choses un peu de loin ! Depuis 5 ans maintenant, les réseaux comme Facebook, WhatsApp, Télégramme, Twitter, etc. sont filtrés et légalement interdits en Iran. Les enfants des dirigeants fabriquent des brise-filtres en dehors du pays et les vendent au peuple en ligne : un business de 180 million dollars.
[4] Khomeiny, le fondateur du régime islamique, a utilisé cette expression pour la première fois le 6 juillet 1980, et cette idée a été répétée à plusieurs reprises par lui et nombreux théoriciens du régime. L’un des ayatollahs les plus radicaux et les plus puissants, Mohammad Taqi Misbah, était le principal représentant de cette pensée. Il dirigeait un grand institut de recherche dont le but était de prouver qu’aucun droit n’est envisageable et légitime au peuple sans le consentement du Guide Suprême.