Entretien de Geneviève Buurke avec Camille Lachenal
Voulez-vous nous expliquer M. Lachenal quelle est la nature du projet que votre association défend ?
Notre association défend la préservation du « bien vivre » ensemble au sein de la commune de Cessy, dans le Pays de Gex (France), à proximité immédiate de la frontière Suisse, ce qui signifie d’abord le respect mutuel de tous au sein d’un environnement préservé pour nous comme pour les générations à venir. Actuellement malheureusement, une demande d’enregistrement a été déposée en préfecture en avril 2021 pour un projet d’installation de stockage de déchets inertes (ISDI) de grande envergure. Le projet prévoit d’accueillir 1’800’000 tonnes de déchets de terrassement et de construction sur une période de 12 ans, sur une surface de 22 hectares. Cela revient à recouvrir de terre et autres déchets inertes l’équivalent de 500 pavillons. Même si le secteur construit beaucoup, c’est un dimensionnement très supérieur aux besoins locaux. La particularité de ce site est d’être situé à proximité immédiate d’un centre-ville (89 immeubles dans un rayon de 200 à 300 mètres et environ 400 immeubles dans un rayon de 500 mètres). Cela représente 3’000 habitants directement concernés par les nuisances du site et des dizaines de milliers par le trafic. 100’000 camions devront se rendre tout au bout du pays de Gex en traversant toute la zone urbaine à l’aller comme au retour. Ramenés sur une journée, ce sont quelques 100 passages en moyenne qui sont attendus. Dans ce type d’installation, les moyennes n’ont pas tellement de sens puisque le trafic dépend essentiellement des chantiers en cours. Il est donc raisonnable de tabler sur 200 à 300 camions pendant les jours les plus chargés, soit un camion toutes les deux minutes à quelques mètres des habitations et des écoles. Les nuisances attendues liées au trafic sont considérables : pollution de l’air, pollution aux particules fines et surtout – beaucoup plus grave – une mise en danger des habitants, enfants et personnes âgées qui utilisent quotidiennement les voies d’accès pour les transferts vers les écoles et les commerces. La zone est fortement urbanisée et une résidence pour personnes âgées est en cours de construction juste en face de l’entrée sud du site. A cela s’ajoutent les nuisances issues de l’exploitation en tant que telle du site et la destruction des écosystèmes concernés.
C’est effectivement très interpelant. Et comment se fait-il que ce site ait été choisi malgré toutes les nuisances que vous décrivez et compte tenu de cette proximité avec les zones habitées ?
Il semblerait que l’objectif soit « d’enterrer » un lourd passif environnemental, si j’ose dire. Le site a été exploité entre 1985 et 1996 en partie pour une décharge de déchets ménagers qui a accueilli des déchets de toxicité élevée comme l’attestent les bases de données BASIAS de l’Etat français. Ce site a fait l’objet par le passé d’accidents environnementaux graves et sa réhabilitation a été ordonnée par un arrêté préfectoral en 1999. La société en charge du site a alors déposé le bilan et le suivi de la réhabilitation n’a pas été assuré par les services de l’État entre 1999 et 2018. Cela représente une durée de 20 ans !
Et comment l’affaire a-t-elle alors ressurgi après tant d’années ?
Suite à un nouvel accident environnemental en 2018 avec l’effondrement d’une digue pour laquelle l’exploitant a été condamné à 100’000 euros d’amende, les services de la préfecture se sont de nouveau intéressés aux mesures mises en œuvre pour contrôler les pollutions ainsi que les travaux qui ont été réalisés pour empêcher les pollutions d’atteindre les cours d’eau, les eaux superficielles, les eaux souterraines et espaces naturels. Le site jouxte immédiatement une voie verte, un espace naturel protégé au titre du plan local d’urbanisme et est immédiatement au-dessus d’une zone de protection forte pour les ressources en eau potable du pays de Gex selon un rapport du service des carrières du département en 2005. Ces ressources en eau potable sont par ailleurs particulièrement sous pression dans le pays de Gex. Le contrôle des pollutions revêt donc un caractère capital sur ce site.
La meilleure façon de se rendre compte de l’état du site serait d’avoir connaissance de l’état du sol. Des analyses ont-elles déjà été réalisées ?
Oui, l’association de protection l’environnement Aténa dans le pays de Gex a fait réaliser des analyses sur les lixiviats et a détecté la présence de PCB, d’arsenic, d’hydrocarbures, de métaux et de fortes charges organiques. L’exploitant a également fait réaliser des analyses qui contredisent selon les services de l’État les résultats de l’association Aténa. L’administration refuse néanmoins de communiquer les données. Alors que le sujet est sensible, des arguments d’ordre juridiques sont avancés. Des mesures suivies selon un protocole contradictoire décidé entre les parties seraient beaucoup plus indiquées. De surcroît, deux autres décharges brutes ou sauvages avaient également été identifiées sur le site par les services de l’État dans les années 1990. Elles n’ont jamais été réhabilitées et sont situées à proximité immédiate de la source alimentant les fontaines de la ville. Afin d’en avoir le cœur net, l’association s’est tournée vers la préfecture afin de récupérer les différentes études et éléments relatifs au dossier de remise en état du site. La préfecture n’a donné suite qu’après que l’association ait saisi la commission d’accès aux documents administratifs. Malheureusement, une fois sur place, l’officier public nous a informés avec regret que le dossier de remise en état avait été « égaré » ce qui est surprenant vu que les derniers compte-rendus de visites des services de la DREAL datent de quelques semaines.
Que proposez-vous concrètement dans un premier temps ?
Afin de protéger nos enfants, notre cadre de vie et notre environnement immédiat, nous avons créé « l’association Cessy les riverains de Chauvilly » pour informer les riverains de la situation du site et nous opposer à ce projet inadapté et nuisible. L’association s’est adjoint les services du cabinet d’avocat Hublot Lepage afin d’obliger les services de la préfecture à faire toute la lumière et la transparence sur ce site et ce dossier, et d’y mettre un terme. Une grande partie des problématiques du site pourraient en effet être identifiées et par voie de conséquence traitée si le dossier faisait l’objet d’une part, d’une procédure de réhabilitation sérieuse et contradictoire, et d’autre part, d’une procédure d’autorisation et non d’enregistrement pour le nouveau projet, et donc d’une étude d’impact détaillée.
Les politiques semblent également impliqués dans ce projet. Qu’en est-il à votre avis ?
Un projet à cette échelle ne se fait évidemment pas sans le concours de responsables politiques locaux. En dehors du seul maire de la commune de Cessy, ces derniers affirment l’absolue nécessité de créer une énorme décharge pour absorber une partie des déchets du département. Cependant ils omettent de mettre en avant le fait que le PLUIH n’a pris strictement aucune mesure afin de limiter la quantité de ces déchets, ce qui a par ailleurs fait l’objet d’une remarque du commissaire enquêteur, restée sans suite. Cela est totalement contraire à l’article 79 de la loi relative à la transition énergétique et pour la croissance verte. Ils n’ont non plus jamais lancé de concertation à l’échelle du Pays de Gex pour déterminer les sites adéquats. Ce qui avait par ailleurs été promis. Tout se passe comme si le site avait été identifié depuis longtemps comme propice à cette activité, en dehors de toute considération légale et environnementale, et hors de tout processus démocratique. Malgré l’énormité du dossier, une simple feuille A4 a été affichée en mairie. La communauté d’agglomération a donné son feu vert au dossier, de façon tout à fait incompréhensible vu qu’il s’agit d’un projet privé dont les impacts sont énormes et à peine évalués. Le plus grave est que ce dossier est considéré comme un simple « jeu » politique du moment, alors que nous ne faisons absolument pas d’écologie politique, sans aucune considération pour les habitants. L’intérêt du privé portant ce projet est par contre particulièrement bien défendu par nos représentants publics, ce qui est tout autant incompréhensible que le dossier de remise en état « égaré ». Notre association défend le bien vivre ensemble tandis que nos politiques, semblent se battre dans un entre-soi qui dure depuis trente ans. Beaucoup de responsables politiques de l’époque sont encore en fonction aujourd’hui.
Vous dites que ce projet va « couvrir le passé » ? Il doit néanmoins suivre un processus strict pour être enregistré ?
Tout d’abord, je tiens à préciser qu’une partie du site a été exploitée de façon polémique et partiellement illégale pendant près de 30 ans, et avec une forte complaisance des autorités, pour diverses activités et pour des volumes déjà stockés que nous estimons à plusieurs centaines de milliers de tonnes, sans autorisations. Les arrêtés de mises en demeure ont été très nombreux, plus d’une dizaine et les remises en ordre jamais vraiment réalisées selon nous. Dans tous les cas, la majeure partie du dossier nous est refusée à la consultation. On notera l’anecdote de l’usine de tri située en bas du site qui a été reconstruite sans permis de construire. En 2018, l’enquêteur de la DREAL avait explicité que l’exploitant serait pénalement poursuivi pour modification majeure des conditions d’exploitation du site avant de retourner sa veste en 2020 pour produire un arrêté préfectoral complémentaire, suite à des modifications soi-disant mineures. L’usine avait simplement doublé sa puissance. La presse spécialisée s’en vantait, en anglais et en allemand dès le mois de mars 2019, alors que l’administration indiquait officiellement en prendre connaissance en décembre, 9 mois plus tard.
C’est la honte pour l’administration. A ce titre et concernant les ISDI, le maire de Gex a ainsi affirmé lors d’un conseil communal fin 2020 retranscrit par écrit : « si, comme je l’entends dire, on favorise des gens qui ont des activités illégales, ce n’est pas notre problème ». Comment avoir confiance dans ces conditions ?
Concernant le nouveau dossier de demande d’ISDI, il profite à notre sens largement de la nouvelle réglementation française faisant passer les ISDI françaises sous le régime de l’enregistrement plutôt que de l’autorisation, beaucoup moins contraignant en termes d’étude d’impact. Les études sur les nuisances sur la qualité de l’air, la qualité des eaux, les risques d’infiltration dans les nappes ainsi que la sécurité des populations sont donc lacunaires voire inexistantes.
Sur ce dossier, plus on creuse et plus c’est obscur. Il s’agit d’enterrer à n’importe quel prix un site au lourd passif environnemental comme son histoire peu reluisante apparemment.
Y aura-t-il un impact sur les espèces vivantes ?
Nous avons parlé de la problématique concernant l’eau qui a déjà un impact sur les espèces aquatiques. « Dans le Maraîchet en contrebas et en aval de la décharge historique, il n’y a plus rien » si l’on se fie aux pécheurs locaux. Concernant la faune et la flore terrestres, un écologiste a en revanche identifié sur le site 66 espèces protégées qui sont soit de passage sur le site, soit l’ont colonisé. En effet, le site de l’ISDI projetée dépasse largement les zones déjà exploitées. Le crapaud calamite est endémique sur ce site dans le Pays de Gex. Le crapaud sonneur à ventre jaune est également présent et il bénéficie d’une protection à l’échelle nationale. L’étude de la faune et de la flore est la seule à apparaître d’ailleurs tout à fait pertinente dans son détail et son évaluation de la situation initiale. Pour autant, sans avoir justifié ni l’intérêt public majeur, qui n’existe à notre sens pas, ni l’absence d’alternatives au projet, il semble bien que les écosystèmes présents soient amenés à être également enterrés.
Y a-t-il d’autres impacts sur la communauté vivant dans la région ?
Oui, il est aussi important de noter qu’une aire de gens du voyage se situe en plein milieu du site et sera, si le projet voit le jour, entourée par des talus de 8 à 10 mètres de gravats, à 10 mètres des caravanes. La loi est la même que vous ameniez quelques camions ou bien 100’000 comme c’est le cas ici. C’est une atteinte lourde à la dignité humaine à mon sens.
Ce qui est aussi embêtant est qu’une question relative à la création de l’ISDI a été posée par les gens du voyage lors de l’élaboration du PLUIH. La réponse du commissaire enquêteur fut la non-nécessité de créer une STECAL, vu l’illégalité probable du site. Ce site a pourtant bénéficié d’un permis de construire, dont nous avons récupéré le numéro assez simplement, mais pas le contenu malgré notre demande à la communauté d’agglomération.
Oui, c’est effectivement inacceptable. Et quelles actions votre association a-t-elle menées jusqu’à ce jour ?
Face à cette situation, les riverains ont envoyé une centaine de courriers en préfecture. Les avocats de l’Association ont également rédigé pour la préfète un récapitulatif exhaustif des illégalités du dossier qui se sont déroulées sur les 30 dernières années. Ces courriers sont restés sans suite. La préfecture semble malgré tout déterminée à autoriser cette exploitation. Sollicités par l’association, et en dehors du conseil municipal de Cessy qui s’est prononcé à l’unanimité contre le dossier, les responsables politiques locaux sont restés dans leur immense majorité silencieux jusqu’à présent.
Avez-vous une explication à cette situation en tous points incroyable ?
Comme vous le dites, cette situation est révoltante à tous points de vue. Destructions d’espèces protégées, mise en dangers des populations par le trafic poids lourds, pollution des cours d’eau et des eaux superficielles, processus obscurs de décision qui semblent soutenus par l’administration sont autant de problématiques concernées par ce dossier. Ceci est de surcroît totalement contraire à mon expérience des ICPE pour lesquelles l’administration se montre habituellement très stricte.
En fouillant dans le dossier, je me risque à une hypothèse sur la base d’une analyse de l’historique de la décharge publique. Comme je le disais tout à l’heure, celui-ci a fait l’objet d’un accident environnemental sévère en 1992. Des pollutions organiques et bactériologiques spectaculaires se sont répandues dans les cours d’eau et dans la nappe phréatique superficielle dont le niveau supérieur se trouve exactement au niveau bas des casiers de déchets. A l’époque, les pêcheurs ont porté plainte du fait de la destruction des espèces piscicoles dans le Ru du Maraîchet. Malheureusement, cette plainte n’a pas fait l’objet d’enquête supplémentaire dans la mesure où un accord financier a été conclu avant jugement, entre les pêcheurs et l’exploitant. Les polluants dont nous parlons actuellement datent probablement encore de cette époque. Ce qui est plus surprenant est que l’avis du ministre sur ce dossier pénal a été demandé par le service de l’environnement de la préfecture en 1993. Nous n’avons pas pu récupérer cet avis. En revanche, un professeur de l’université de Lyon a été sollicité sur le dossier pour analyser la situation. Il a proposé une méthodologie drastique de remise en état devant être menée avec rigueur pour permettre l’évacuation des polluants et une étanchéité parfaite des casiers de déchets, « sans certitude de réussite ». L’autorisation historique précise en effet en 1985 « qu’il convient de protéger de façon draconienne ces deux cours d’eau [avoisinants] en empêchant les ruissellements directs des « jus de décharge ». Un rapport de la CIPEL (Commission internationale de protection des eaux du Léman) en 1994 fait état de son côté d’une pollution chimique de toxicité élevée, ce qui vient encore alourdir la gravité du dossier. La CIPEL est intervenue car le site est sur le bassin versant de la Versoix en Suisse, à proximité immédiate du Lac Léman. Nous n’avons encore pu récupérer ce rapport. Malheureusement, quatre ans plus tard, rien n’avait apparemment été fait. Les piézomètres ont été posés en 1998 pour tester la nappe superficielle et l’arrêté de remise en état a été publié en 1999. Il y a donc eu possibilité de déversement des pollutions pendant près de six ans.
A son tour, l’arrêté de 1999 pose des conditions drastiques de couverture, avec un phasage précis à suivre et la nécessité éventuelle d’utilisation de bentonite, en clair, enfermer les déchets dans une poche totalement étanche. Il est également demandé de vérifier strictement les niveaux de polluants dans la nappe superficielle. Le rapport de visite des services de la DREAL en 2021, vingt ans plus tard, indique malheureusement : « D’une manière générale, l’appréciation de la conformité des opérations de réhabilitation de l’ancienne décharge au regard des prescriptions de l’arrêté préfectoral du 19 mai 1999 a été rendue difficile par l’absence de traçabilité des travaux réalisés entre 1998 et 2018 ». Les rapports établis récemment sont de surcroît truffés d’incohérences. Alors que la nécessité d’une remise en état stricte est établie depuis 1993, il est impossible de prouver ce qui a été fait en 2021 et les lixiviats pollués continuent de se répandre dans les rivières aujourd’hui, et possiblement dans la nappe. Nous comprenons mieux la gêne des services de la DREAL face à cette situation.
Cette gêne est d’autant plus importante que l’exploitation de la décharge fait l’objet d’une convention d’exploitation entre l’exploitant privé et la communauté d’agglomération dès 1986. Cette dernière a fait réaliser des devis de remise en état au milieu des années 1990 mais nous ne savons pas si une suite a été donnée. Un membre du conseil de l’agglomération a un jour signifié la nécessité de « provisionner des fonds pour la réhabilitation », sans plus. L’exploitant historique ne semble donc pas être seul responsable de cette installation.
Quant aux habitants, ils semblent également un peu honteux quand ils parlent de leurs batteries de voitures ou de leurs réfrigérateurs qu’ils ont jetés un peu partout sur le site.
La première hypothèse pour expliquer la dérive sur ce site est donc la gêne collective des habitants qui ont profité de cette décharge sans scrupule particulier, des communes qui sont solidaires de l’exploitant pour l’exploitation du site et qui ont probablement sous-investi, des pêcheurs qui ont passé un accord financier, des services de la DREAL qui n’ont pas contrôlé la remise en état de l’installation, de la préfecture qui n’a pu imposer la mise en œuvre des exigences de remise en état pendant 20 ans et du ministère, au courant du sujet depuis 1993.
Certains veulent mettre la poussière sous le tapis, d’autres des décharges sous des ISDI.
Un désastre environnemental ?
Au-delà de la plaisanterie, oui, et à grande échelle pour le Pays de Gex.
Vous avez aussi parlé de l’eau potable ?
Ce qui est encore plus grave en effet est la proximité des points de prélèvement d’eau potable. Le site est situé sur deux nappes phréatiques superposées. La première, la nappe superficielle a été polluée avec certitude en 1992. Elle alimente l’eau des fontaines des villages de Grilly et de Cessy, ainsi que l’ancienne alimentation en eau potable de Grilly. Nous savons que ces fontaines ont servi aux habitants jusqu’à la fin des années 80 et souhaitons la transparence quant aux pollutions qui se seraient répandues dans ces eaux. Il est également très dommage que cette nappe superficielle, très sensible, qui bénéficie d’un renouvellement des eaux de pluie, ait été polluée alors que la nappe artésienne exploitée en dessous est fortement déficitaire.
De plus, le rapport géotechnique de 1982 indique que, si aucun risque n’est présent sur le captage d’eau potable immédiatement à proximité de Pré Bataillard, nom du prélèvement à proximité dans la nappe artésienne « un doute subsiste pour le captage de Chenaz », qui alimente en eau potable jusqu’à 30% du Pays de Gex. La problématique est donc connue depuis très longtemps. En 1992 et suite à la forte pollution des eaux superficielles, le géotechnicien spécifie que « pour ce qui concerne les eaux souterraines profondes, on peut préciser (d’après les sondages électriques CERN et DDAF, et sous réserve de l’exactitude de l’interprétation qui en est donnée, toujours sujette à caution en l’absence de forages de contrôles) que le sillon de l’Oudar, en limite nord duquel se situe la décharge, s’écoule en profondeur du NE au SW, parallèlement au « sillon de Chenaz » qui rejoint à l’aval les captages. Le risque de pollution est donc nul et, dans tous les cas, moindre que celui évoqué dans le rapport de 1982 ».
Cependant, cette hypothèse est battue en brèche par le fait que le plan départemental des carrières place le site en zone de protection forte pour l’eau potable et que le dernier rapport du CERN, associé à la communauté d’agglomération du Pays de Gex et au canton de Genève vient complètement mettre à mal l’hypothèse d’un flux de NE vers SW en amont du site puisque le site est en fait entièrement entouré de réserves d’eau potable. Il est aujourd’hui interdit de forer en dessous de 10m, ce qui montre la fragilité de la ressource en eau environnante.
Au-delà de l’enjeu écologique de la remise en état de la décharge se pose donc un possible enjeu sanitaire. Dommage une nouvelle fois que le dossier de remise en état soit perdu.
En avez-vous parlé à l’exploitant ?
Je l’ai rencontré par hasard. Il a acheté l’exploitation du site en 2017. Il semblerait qu’il n’était pas au courant de tout cet historique et se retrouve coincé dans son investissement. Selon lui, la demande pour cette installation viendrait de la DREAL et des politiques eux-mêmes. Si c’est vraiment le cas, je trouve cela très fortement regrettable de coincer comme cela un entrepreneur.
Que souhaiteriez-vous transmettre à nos lecteurs en priorité ?
Certains habitants sont dépités par l’ampleur de la problématique située à deux pas de chez eux au regard des efforts quotidiens qu’ils font par ailleurs pour l’environnement. Cependant, c’est peut-être une bonne nouvelle que cet enjeu ait été mis sous nos yeux afin de prendre conscience de l’impact de nos activités humaines. Nous espérons pouvoir l’empêcher.
La pression immobilière locale donne lieu à l’argument ressassé qu’il faut bien stocker les déchets de construction quelque part. Nous l’entendons, mais ce « il faut bien » ne justifie pas des déviances et comportements illégaux au mépris des individus et de l’environnement. Il existe bien entendu des solutions, mais elles nécessitent de la transparence et que toutes les parties prenantes se mettent autour de la table. Le « il faut bien » est une démission face aux responsabilités, une fatalité qui n’a pas sa place dans une démocratie moderne. Quand on l’entend ou que nous le prononçons nous-mêmes, on est déjà en train de fermer la porte à toute alternative. Ce site est un fardeau hérité de la génération précédente, l’Association les riverains de Chauvilly s’oppose à ce qu’il soit transmis à la génération suivante.