Par Simon Fellous, chercheur en écologie des parasites, INRAE ; Albane Loiseau, consultante Responsabilité Sociétale des Entreprises ; Bernadette Bensaude-Vincent, professeure émérite, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Dominique Bourg, professeur honoraire, Université de Lausanne.
Avertissement : ce texte n’est nullement un appel à arrêter les mesures de confinement actuelles, ni à y désobéir. Il ne constitue pas non plus une critique de la gestion gouvernementale.
L’installation dans le temps des mesures de confinement et l’obligation que nous avons à apprendre collectivement à vivre avec le virus invitent au retour du débat démocratique dans la gestion de la l’épidémie de COVID-19. Les mesures anti-transmission actuelles sont salvatrices, mais elles ont des coûts importants – économiques, sociaux –, difficiles à appréhender. Maintenir le confinement comme mesure principale pour limiter la transmission du virus semble impossible. Par quoi et comment remplacerons-nous les actuelles mesures de confinement par d’autres mesures anti-transmission ? Cette réflexion pourra être nourrie de données scientifiques, mais les choix à venir sont avant tout éthiques et politiques.
- Pour étaler l’épidémie les mesures devront durer de nombreux mois
Des modèles épidémiologiques tels celui de Ferguson et al. (2020)[1] montrent qu’avec des mesures qui visent à limiter la transmission de la maladie entre individus (mesures anti-transmission), telles que le confinement, l’épidémie durera des mois. Ces modèles supposent que les mesures doivent également durer des mois au risque de voir l’épidémie remonter (Figure 1).
Figure 1 : issue de Ferguson et al. 2020.
Cette figure illustre que plus les mesures pour limiter la diffusion du virus sont efficaces, plus il faut les faire durer.
La durée de l’épidémie est aujourd’hui difficile à prédire, car nous ne connaissons pas l’efficacité des mesures prises. Ce qui est clair néanmoins, c’est que plus elles sont drastiques, plus elles impliquent d’être maintenues longtemps. Nous devrons donc apprendre à vivre avec le virus pendant de longs mois, et probablement pour des années.
A noter que la situation en Europe fin mars 2020 est très différente de celles de certains pays d’Asie plus tôt dans l’année. En Chine par exemple, les mesures ont été suffisamment drastiques pour y réduire spectaculairement la transmission du virus. Ce scénario est peu réaliste en France où une part importante des citoyens se rencontre pour travailler, faire ses courses, etc. Nos mesures anti-transmission sont sans aucun doute utiles, mais elles sont loin de celles qui ont permis d’endiguer la transmission en Asie[2]. On peut donc tabler sur une lente réduction du nombre de malades plutôt que sur une chute spectaculaire.
- Il faut réfléchir à l’après-confinement dès maintenant
Comme décrit plus haut, les mesures anti-transmission devront être maintenues longtemps pour empêcher le rebond épidémique. Certaines solutions ne feront pas débat et seront à mettre en place au plus tôt : c’est le cas de la disponibilité des masques pour le plus grand nombre et du dépistage massif par exemple.
Cependant le panel des options pour limiter la transmission de personne infectée à non-infectée est large. Des solutions mise en œuvre en Chine jusqu’au laisser-faire, des options alternatives aux conséquences variées et mal documentées s’offrent aux sociétés.
Le confinement tel que nous le vivons aujourd’hui en France (24 mars 2020) est un choix parmi d’autres. Chez nous, la transmission au sein du foyer n’est pas bloquée. Nombreux sont les travailleurs qui se déplacent pour aller sur leur lieu de travail et sont potentiellement infectés ou infectieux pour leurs collègues et clients. Mais les lieux de réunion public sont fermés, ce qui empêche d’autres façons de transmettre la maladie. L’objectif affiché par le gouvernement est de maintenir une certaine activité économique, ce qui est un choix compréhensible, et assurer le fonctionnement de la société, ce qui est essentiel.
La principale mesure anti-transmission actuelle, c’est-à-dire le confinement de certains (selon leur profession) et l’impossibilité de relations sociales (pour tous), a un coût que les citoyens ne voudront peut-être pas payer longtemps. La brisure du lien social, l’absence de moyens de subsistance pour tous ceux qui ne peuvent plus subvenir à leurs besoins dans le contexte actuel (par exemple travailleurs illégaux, restaurateurs, artisans, etc.), le trauma de l’enfermement, la mise en danger de ceux qui vivent avec des proches violents, pour ne citer qu’eux, sont coûteux. De même, la réduction de l’activité du pays aura un impact économique qui se fera sentir longtemps. Le choix du confinement, que nous ne remettons pas en cause ici, était celui de protéger de l’infection maintenant, au risque de s’exposer à d’autres difficultés plus tard. Prendre en compte les multiples conséquences du confinement est aussi important sur le plan éthique que la gestion de l’épidémie elle-même.
Cependant, relâcher intégralement les mesures anti-transmission n’est pas non plus souhaitable. Au contraire, si nous devons apprendre à vivre avec le virus, il nous faut en définir les modalités maintenant, car c’est une condition sine qua non à la levée du confinement. Les prises de décision de début d’épidémie ne laissaient pas le temps à la consultation, au débat. Le pays vit maintenant à l’heure du confinement, ses modalités sont vouées à évoluer, mais sa durée se comptera vraisemblablement en semaines, peut être en mois. Ce temps permet le retour de la démocratie dans la gestion de la crise du Covid-19.
- Quels sont les enjeux ?
Le défi à relever collectivement est double. Il faut bien sûr inventer les solutions anti-transmission qui remplaceront le confinement. Au-delà de l’efficacité de ces solutions, nous devrons également évaluer leurs conséquences sociales, économiques, psychologiques, environnementales, etc., qu’on ne peut négliger.
Quelles seront les alternatives au confinement ?
Elles ne sont aujourd’hui pas toutes claires et dépendront des découvertes prochaines sur la transmission du virus. L’efficacité de quelques-unes a été évaluée de façon théorique. Sur la Figure 1 plus haut, sont présentées différentes solutions, de la fermeture des écoles à l’isolement des personnes âgées. D’autres ont été déployées et donc testées à l’étranger. La liste exhaustive des solutions possibles ne peut être dressée ici. Elle ne doit pas l’être non plus, car cela contreviendrait à l’idée de co-construction développée plus bas.
Le corps médical et les épidémiologistes peuvent révéler les points clefs anti-transmission. Toute personne qui comprend le mode de transmission du virus peut également le faire (Figure 2). Abolir les barrières entre sachants et administrés permet de profiter de l’intelligence collective, tout en renforçant la démocratie. L’efficacité comme les coûts de chaque proposition dépendront des autres solutions retenues. Les propositions pourront donc être techniques ou technologiques, comme organisationnelles. A noter que le moment de la sortie de confinement fait partie des options à évaluer.
Comment mettre en regard ces propositions anti-transmission avec leurs externalités ?
Le temps dont nous disposons, quelques semaines, n’est pas celui de la recherche académique. Les acteurs de la vie civile, associations, syndicats sont les plus à même de rapporter et estimer les conséquences des choix actuels, et de leurs alternatives, pour les groupes sociaux qu’ils représentent. Les acteurs académiques des sciences humaines et sociales ainsi que les économistes ont sûrement aussi des éléments à apporter. Le temps imparti ne permettra pas des estimations quantitatives et fines de leurs coûts (et bénéfices). Mais il permettra d’identifier les grands enjeux sur lesquels les positions morales, éthiques ou politiques pourront s’exprimer.
Figure 2 : mettre en regard l’utilité de mesures anti-confinement avec leurs conséquences sociales, économiques et écologiques. Construire la connaissance avec tous les acteurs afin d’éclairer un choix de société.
Il est donc possible et souhaitable d’envisager une co-construction des mesures anti-transmission post-confinement, afin de maximiser l’efficacité sanitaire et en même temps de recréer du lien social au sein même d’une situation de confinement. Que et qui privilégierons-nous pour la suite de cette crise ? Quelle sera la place des citoyens, de l’éthique et de la science ? S’agissant de choix importants pour la nation, on peut en effet souhaiter que cela devienne un débat citoyen et politique.
- Apprendre collectivement à vivre avec le virus
Deux formules – complémentaires et non-exclusives pour la sortie du confinement peuvent être envisagées et discutées.
– Changer nos modes de vie :
Le confinement repose sur l’hypothèse que les individus ne peuvent réduire par eux-mêmes la transmission du virus. Pourtant, le retour au travail dans les entreprises illustre la confiance de certains dans notre capacité à empêcher la transmission entre individus informés. Il s’agit donc de faire reposer l’efficacité sur la collaboration, la rigueur de chacun, plutôt que sur des produits technologiques miracles comme des médicaments. Les « gestes barrière » contreviennent parfois aux traditions (serrer les mains, tousser dans sa manche plutôt que dans sa main, etc.). Pourtant changer les pratiques individuelles s’est révélé salvateur lors de crises sanitaires précédentes. C’est comme cela que l’épidémie de HIV a été grandement enrayée en Occident, par l’information, en comprenant comment le virus se transmet, et en faisant évoluer nos pratiques.
Reposer sur l’évolution des pratiques individuelles est également une sortie par le haut. C’est une solution qui responsabilise chacun. Qui évite l’infantilisation liée au confinement aveugle.
– Mobiliser l’intelligence collective :
Inventer collectivement, en impliquant divers acteurs de la société civile (associations, syndicats, chercheurs et médecins, etc.). L’expertise plurielle dans la préparation des mesures de sortie de confinement exige d’évaluer les coûts des mesures anti-transmission actuelles et d’en inventer de nouvelles. Le processus de convention citoyenne est trop lent pour préparer la sortie de confinement. Une alternative serait un forum virtuel dans lequel les diverses parties prenantes s’engagent à faire des propositions de sortie de crise, sur la base de leur propre expertise et d’une délibération collective avec les autres partenaires du forum.
C’est une construction collective qui, coordonnée avec les autres mesures telles que le dépistage massif, l’usage des masques et la quarantaine ciblée, pourra durablement maintenir cette épidémie et les suivantes.
PS : nous renvoyons aussi le lecteur à l’excellent article de G. Lichfield, MIT Technology Review, https://www.technologyreview.com/s/615370/coronavirus-pandemic-social-distancing-18-months/
[1] https://www.imperial.ac.uk/media/imperial-college/medicine/sph/ide/gida-fellowships/Imperial-College-COVID19-NPI-modelling-16-03-2020.pdf ; accédé le 24 mars 2020.
[2] http://alizon.ouvaton.org/Rapport1_R0_France.html ; accédé le 24 mars 2020