Cet appel à propositions est coordonné par Aurélie Javelle (ingénieure de recherche à Montpellier Supagro), Dusan Kazic (doctorant en sociologie, AgroParisTech), Jacques Tassin (chercheur en écologie au Cirad), et Ernst Zürcher (chercheur et ingénieur forestier à la Haute École spécialisée bernoise)
QUESTIONNEMENTS
Un « tournant ontologique » (Course, 2010) de repeuplement des sciences sociales par des entités non-humaines (Houdart et Thiery, 2011) se développe. Les catégorisations du vivant sont reconfigurées, ainsi que les modes de relation avec lui. Les non-humains acquièrent des capacités diverses. Dans ce sens, intégrer les plantes dans une pensée écologique se veut un paradigme alternatif à la pensée moderne, invitant à revisiter leur statut ontologique et épistémologique et à les placer au cœur de notre attention. Néanmoins, les questionnements académiques semblent plus volontiers se pencher sur les cas des animaux que celui des végétaux. Les plantes, en tant qu’individus vivants, disparaissent derrière les problématiques concernant l’agriculture, l’alimentation, les changements climatiques, ou l’érosion de la biodiversité (Tassin, 2016). Elles deviennent des objets de production, alimentaires, de services ou de simples matériaux, et restent des sujets impensés. Selon Hallé (1999), « la biologie actuelle, conçue sur la base de ce que nous savons de l’animal, ne tient pratiquement pas compte des plantes » (Hallé, 1999).
Néanmoins, prenant de la distance avec les théories naturalistes (Descola, 2005), des acteurs témoignent de pratiques qui outrepassent la distanciation objectivante pour « faire avec » un « être vivant » (Garreta, 2016). Dans une enquête en cours (Kazic, 2016) sur les liens sensibles de paysans français avec les plantes, de nombreux témoignages présentent ces dernières comme des « sujets de travail », des « êtres d’accompagnement », voire des « êtres sensibles et intelligents ». L’anthropologue Myers qualifie de plant turnune reconsidération en cours des plantes (Myers, 2015).
Ces évolutions consistent-elles en un repositionnement méthodologique (Latour, 1997) qui permet de penser les rapports avec les non-humains en terme d’interdépendance et non plus sur un mode dual, un questionnement sur la signification de l’attribution de propriétés mentales à certaines entités non humaines (Charbonnier, 2012) ou une exploration des processus sémiotiques possibles avec les plantes (Kohn, 2017) ?
On peut questionner les manières d’entrer en relation avec les plantes. Il ne suffit pas, en critiquant l’épistémologie des savoirs modernes, de penser les plantes pour elles-mêmes. Cela aboutirait à des abstractions, à une éthique normative, un moralisme (Hache, 2011). Apporter de nouveaux éclairages sur les végétaux ne suffit pas non plus pour changer nos pratiques à leur égard. Comme le dénonce Lieutaghi (1983), le « savoir du monde », survalorisé au détriment de « l’usage du monde », atrophie nos relations au monde végétal. Pour penser les plantes en Occident dans une perspective plus impliquée, il convient aussi de reconnaître, puis de promouvoir les rapports sensibles entre les êtres humains et les plantes.
Construire des relations avec les plantes pose cependant des questions. En tant que mammifères, il nous semble – peut-être de façon trompeuse – plus légitime d’envisager des relations avec les animaux, de prendre en compte leurs perspectives pour tenter d’imaginer de nouveaux rapports, par exemple pour répondre aux revendications du bien-être animal. Mais quiddes plantes ? Leurs spécificités nous confrontent à un monde inconnu (Tassin, 2016). Comment, dans le cas d’une volonté « d’habiter le monde » en tant qu’engagement créatif, inscription dans le monde (Ingold, 2013), pouvons-nous tisser des liens avec le monde végétal ? De la même façon qu’il est possible d’envisager le travail réalisé par les animaux (Porcher, 2012; Lainé, 2018), peut-on envisager un « travail » réalisé par les plantes ? Les plantes en inter-relations avec les humains sont-elles envisagées comme simples récepteurs d’informations biophysiques, ou comme êtres sensibles disposant d’une intériorité (Descola, 2005) ?
Cet appel à proposition souhaite questionner la qualité et l’intensité de nos liens avec les végétaux, de manière à contribuer à penser de nouvelles manières d’habiter le monde.
AXES DE RÉFLEXION (Proposition non exhaustive, d’autres propositions pouvant être soumises)
Axe 1 : Valoriser les approches historiques relatives à l’évolution de notre perception du statut des plantes dans notre rapport au monde
- Comment l’histoire aborde-t-elle le statut des plantes ? Quels paradigmes d’analyse sont-ils alors mobilisés ?
- Quels types de rapports cultivait-on par le passé avec les plantes en Occident ? Comment se sont-ils récemment transformés ?
- De quels témoignages, de quelles histoires sommes-nous héritiers lorsque nous envisageons les plantes aujourd’hui ?
Axe 2 : Quel statut les plantes ont-elles et peuvent-elles avoir aujourd’hui ?
- Comment caractériser les changements en cours relatifs à l’épistémologie et l’ontologie végétale ? Quels apports de quelles disciplines contribuent-ils à ces changements ?
- Quels sont les problèmes et obstacles épistémologiques qui se posent dans l’acquisition de nouveaux savoirs relatifs aux processus de cognition sensible des plantes ?
- Quels changements éthiques, biologiques, anthropologiques et sociaux accompagnent ou déterminent ces nouvelles considérations ?
Axe 3 : Établir des liens sensibles avec les plantes
- Quels types de liens sensibles peut-on chercher entre nous et les plantes en Occident ? Quels terrains valoriser pour recueillir et valider de nouvelles données informatives ?
- Comment décrire et caractériser ces liens sensibles ? Quelles difficultés cela pose-t-il ? Quels cadres théoriques s’avèrent-ils dès lors pertinents ?
- Quelles procédures, quels outils mettre en place pour (r)établir des liens sensibles entre nous et les plantes ?
- Quels liens peuvent-ils s’établir entre plantes et humains au travail ? Dans quelle mesure peut-on parler de plantes « au travail » et quels cadres conceptuels mobiliser ?
NATURE DES CONTRIBUTIONS
Les propositions peuvent provenir de chercheurs issus de milieux académiques ou assimilés et de praticiens anglophones et francophones. Le champ est ouvert à toutes les disciplines, mais aussi les récits analytiques permettant de penser notre lien avec les plantes.
ÉCHÉANCIERS
10 septembre 2018 : lancement de l’appel à contributions
10 novembre 2018 : date limite d’envoi des propositions sous la forme d’un texte de 600 mots maximum, comprenant un titre provisoire, 5 mots clés, la mention d’un cadre théorique, d’un ancrage disciplinaire, une problématique, la présentation d’une méthode et le type de résultats attendus. Les propositions doivent être adressées à l’adresse mail suivante: lapenseeecologique@gmail.com
14 janvier 2019 : avis d’acceptation ou de refus des contributions aux auteurs – envoi des recommandations aux auteurs
10 mai 2019 : date limite de réception des textes conformes aux recommandations aux auteurs.
12 juillet 2019 : réponse définitive aux auteurs et transmission des rapports des évaluateurs
2 septembre 2019 : réception des textes révisés
2 novembre 2019 : mise en ligne du dossier thématique
BIBLIOGRAPHIE
Albert-Llorca, M., Garreta, R., 2016, Des sociétés rurales européennes aux cueilleurs professionnels de plantes sauvages: visions et pratiques de la nature, in Javelle A., 2016, Les relations homme-nature dans la transition agroécologique, Paris, L’Harmattan, pp. 107-124.
Charbonnier, 2012, Culture, nature et environnement. Vers une écologie de la vie, Tracés, 22, pp.169-182
Course, 2010, Of words and fog, Linguistic relativity and Amerindian ontology, Anthropological Theory, 10, 3, pp. 247-263.
Descola P., 2005 Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard.
Hache E., 2011, Ce à quoi nous tenons. Propositions pour une écologie pragmatique, Paris, Les empêcheurs de penser en rond/La Découverte
Hallé F., 1999, Eloge de la plante, Paris, Seuil.
Houdart S., Thiery, O., 2011, Humains, non-humains. Comment repeupler les sciences sociales, Paris, La Découverte.
Ingold T., 2013, Marcher avec les dragons,Trad.Pierre Madelin, Éditions Zones Sensibles
Kazic D., 2016, Thèse en cours titre (provisoire) « Concevoir les végétaux comme des êtres non uniquement ‘mangeables’. Pour une sociologie des plantes cultivées ».
Kohn, E., 2017, Comment pensent les forêts. Vers une anthropologie au-delà de l’humain, Zones sensibles.
Lainé, N., 2018, « Coopérer avec les éléphants dans le Nord-Est indien », Sociologie du travail, 60, 2.
Latour, B., 1997, Nous n’avons jamais été modernes, Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte et Syros.
Myers N., 2015, « Conversations on Plant Sensing : Notes from the Fields », NatureCulture
Lieutaghi P., 1983, « L’ethnobotanique au péril du gazon », Terrain, 1, pp. 4-10.
Porcher, J., Schmitt, T., 2012, Dairy Cows: Workers in the Shadows ? Society & Animals, 20, 1, pp. 39-60
Tassin J., 2016, À quoi pensent les plantes ?, Paris, Odile Jacob.
Zürcher E., 2016, Les arbres entre visible et visible, Paris, Actes Sud