Par Hervé COCHET (Docteur en Sciences de l’Éducation, animateur de cafés-philo)
L’Écologie Politique est l’ensemble des concepts susceptibles de conduire à formuler des propositions de gouvernement, de telle façon qu’un équilibre entre tous les vivants et autres êtres passifs ou actifs peuplant notre monde, l’ensemble des systèmes physico-chimiques et biopsychosociaux de cette planète, advienne, nous préoccupe constamment, soit pérenne, et ce au détriment d’aucun existant présent ou à venir.
Le discours Écologique a envahi les intentions affichées des acteurs politiques de tout niveau et tout bord. La possibilité de s’abriter sous cette étiquette conduit à des confusions faisant passer pour jumelles des idées absolument antagonistes, et à travestir des projets dont les objectifs sont hors du champ ci-dessus défini, voire même radicalement contraires à celui-ci, organisant, entretenant, augmentant, la destruction et le déséquilibre mortifère. Proposons un « outil d’orientation de la pensée », facile d’emploi, sans doute un peu caricatural, sous la forme d’un simple repère orthonormé, afin d’y ranger les idées, lire plus facilement leurs différences, et finalement s’orienter.
- Un repère orthonormé.
L’axe des « x », abondamment connu et étudié, se dessine en se plaçant face au Roy, la « Droite » côté aristocratique, se trouvant alors à main gauche, et la « Gauche » côté ensemble du commun des mortels humains, à main droite. Cet axe rend compte d’une pensée évoluant du conservatisme vers le progressisme. D’un côté c’est l’Économie et la Liberté qui vont tracter la vie humaine, de l’autre la négociation de tout et de tous, l’Égalité.
L’axe des « y », rarement formulé et pourtant bien à l’œuvre, est l’axe Ciel/Homme/Terre. Si le Souverain levait les yeux vers le ciel, l’idée d’un bonheur, d’une félicité, voire d’un salut, était invoquée, et transportait l’assemblée. Imaginons cette pensée, suggérant à l’Humain de s’élever vers tout ce qui est divin, aménager, travailler, produire, embellir, glorifier, dans tous les domaines, faire advenir sur Terre une Cité céleste, mission de l’espèce dominante sur cette planète. Posons sur la partie « supérieure », côté Ciel, ce productivisme, autant symbolique que matériel, spirituel et encyclopédique, technique et idéologique, cette soif d’art, de science et de technologie, cette maîtrise sans cesse en développement, ne reculant devant aucune exploitation, transformation, et fabrication. Le bonheur résultera d’une conquête cosmique sans frontières, sans freins et sans fins, la Croissance illimitée sera le projet de l’Humanité. Et posons côté Terre, sur le segment dit « inférieur », le respect de tout ce qui « est », la reconnaissance de tous nos voisins vivants et « inertes », la compréhension qui nous enjoint d’être en harmonie, en sobriété raisonnable, en accord avec notre habitat terrestre. C’est la Tempérance qui va réguler la Vie Humaine, la replacer parmi bêtes, herbes et cailloux. L’Humain soignera, épargnera, et respectera ce monde fini, ce jardin, cette jungle, dont il est une composante comme toutes et tous les autres. Le bonheur sera Symbiose, projet d’une Humanité redevenue « terrienne », modestie d’un objectif quotidien et « paysan », au sens de « celui qui habite son pays ».
Ainsi s’entrecroisent la polarisation politique canonique Droite/Gauche traditionnelle et archirabachée, et une pensée verticale, davantage anthropologique et philosophique, s’élançant depuis notre maison naturelle jusqu’aux cieux du développement exponentiel et insatiable, sur une planète qui est, faut-il le redire, limitée. Les humains, du moins certains au sein de la multitude, ont ferraillé le long des abscisses, engagés qu’ils étaient à croître toujours, obsédés de gains pour quelques-uns ou pour tous, au point de faire insensiblement glisser cet axe vers le haut, le long des ordonnées, éloignant l’Humanité de sa Terre/Patrie originelle.
- Les quatre cadrans.
Ce repère biaxial détermine quatre cadrans couplant les idées/forces deux à deux, esquisse de ce qui semble quatre possibles de l’Écologie Politique.
Le cadran en bas à gauche, conjonction Droite/Terre, propose le retour sur soi et chez soi. Combinant un conservatisme s’attribuant le progrès que représenterait un sage retour arrière vers les traditions qui « savaient, elles ! », et l’ancrage dans « sa » terre vue comme une « identité », une couche d’où surgit la souche que nous avons imprudemment perdue et qu’il nous faut minutieusement re-cultiver, il s’agit dans un même coup de maître, de trier et mettre de l’ordre simultanément chez les humains, les idées, et dans la « Nature ». Chaque existant humain/animal/végétal/minéral retrouvera sa place, les autres, les différents, iront trouver la leur et y resteront ou… disparaîtront. Le paysage va repousser, le climat se calmer, la biodiversité se redéployer lorsque le ménage sera fait, les impuretés de penser, d’agir et de partager seront contrôlées puis détruites dans un Monde structuré par de multiples frontières garantissant un ordre parfait. Le chef, parce qu’il y aura toujours un chef, protégera tout le monde et tout le Monde à l’intérieur de chaque parcelle. Ce modèle est à Droite par son conservatisme franchement passéiste, et « par Terre » par son ségrégationnisme soi-disant salvateur, « Écologie » ordonnée de la pureté retrouvée.
Le cadran en haut à gauche, conjonction Droite/Ciel, représente le système qui a dominé les affaires humaines depuis le néolithique, et qui a largement accéléré ces trois derniers siècles. Combinant liberté d’entreprendre de chacun, du moins de certains, en petit nombre, libre marché, course à l’extraction/exploitation/production et consommation, avec croyance en une croissance illimitée indexant le bonheur de tous et de chacun à la même inexorable augmentation, il est capable d’avaler la question Écologique, et de répondre la bouche pleine en « développement durable, croissance verte et économie environnementale ». Voici le nouveau continent à rentabiliser, où s’élancer sans changer les valeurs motrices de croître, exploiter, produire, consommer, monnayer et spéculer, évidence à ne jamais questionner. Ce modèle est à Droite par sa fixité de principes, et au Ciel par sa démesure, « Écologie » décomplexée de production et de marché.
Le cadran en haut à droite, conjonction Gauche/Ciel, rêve de soigner la planète malade en réussissant à ce que tous possèdent tout, tendance asymptotique vers la disparition des inégalités invraisemblables et dévastatrices qui nous entourent. Chacun sera soulagé du travail, de l’asservissement et de l’aliénation qui assujettissent actuellement le plus grand nombre, grâce à une technologie servile parfaitement maîtrisée, et des organisations autogérées joyeusement et raisonnablement. Le social équitable calmera la surconsommation reflet de la compétition que sécrètent les jalousies, filles des inégalités. Cette conjonction progressiste conjugue la libération des forces sociales et le développement de la créativité humaine au service du bonheur commun. Ce modèle est à Gauche par son idéalisation d’une répartition égalitariste parfaite, et « au Ciel » par sa proximité avec une forme d’accomplissement final montant chercher le paradis pour l’aménager ici-bas, « Écologie » de l’émancipation créatrice et égalitaire.
Le cadran en bas à droite, réunissant « Gauche/Terre », affirme la nécessité de la reliance entre la croissance des égalités d’une part, et la décroissance des activités humaines épuisant le Monde, la Planète, le Climat et la Vie d’autre part. Le défi est immédiatement clair et strident, conduire le grand nombre à bien vivre sans dévaster, en laissant chaque existant être et s’épanouir. Être tous en « développement » et bonheur tout en évoluant en dessous de la barre du renouvellement des possibilités de cette planète pour ne pas l’épuiser définit cette Écologie de la coïncidence. Il s’agit de produire, distribuer et gérer en coïncidant avec ce dont chacun a besoin en vitalité, créativité et bien-être, et avec les spécificités liées à un lieu, une histoire, une culture, un projet commun, sans exclusions, privilèges, ni excès. C’est donc bien de progrès en humanité dont il s’agit, partie droite du dessin, mais s’enfouissant au cœur de la Terre, de la Planète, de ses passagers de tous types et toutes espèces, partie basse du diagramme.
Bien plus loin que d’options d’Écologie Politique équivalentes et à espérance de vie d’un humain ordinaire, il s’agit de choix sociétaux, civilisationnels, philosophiques, voire davantage, englobant notre espèce et l’ensemble de ses consœurs, vivants et inertes, dans la préoccupation absolue de leur devenir. Les idées/forces d’Égalité et de Tempérance orientent résolument vers le cadran en bas à droite, Écologie de la coïncidence.
Son « infacilité » pour les générations d’aujourd’hui, lancées dans une trajectoire déjà tragique, provoque leurs fuites vers les trois autres cadrans, masques tous déjà entrés en scène dans l’Histoire des humains, ayant tous dansé et régné à satiété, s’étant tous combattus et alliés sans s’inquiéter, impostures « éco-logiques ». Chacune porte la responsabilité de la situation actuelle.
Aux tréfonds des cœurs, des âmes et des esprits, à la lecture de ce modeste schéma, se joue le choix de valeurs proprement « humanistes/planétaires » forgeant l’Écologie Politique qu’il nous faut maintenant déployer.
Quelques sources :
Bourg D.et alii, Retour sur Terre. 35 propositions, Puf, 2020.
Charbonnier P., Abondance et liberté : Une histoire environnementale des idées politiques, La Découverte, 2019.
Morin E., Terre-patrie, Seuil, 1993.
Rémond R., Les Droites en France, Flammarion, 1982.
Winock M., La gauche en France, éditions Perrin, 2006.
Zask J., La démocratie aux champs. Du jardin d’Éden aux jardins partagés, comment l’agriculture cultive les valeurs démocratiques, La Découverte, 2016.