Par Nicolas BOULEAU, mathématicien et épistémologue
Très souvent admise dans les articles de biologie et plus encore dans les vulgarisations, l’interprétation courante de la philosophie de Jacques Monod considère que le processus de l’évolution réside en des mutations aléatoires de l’ADN qui sont indépendantes entre elles et indépendantes du contexte moléculaire et environnemental. Nous relevons ici le manque d’arguments de ce postulat et montrons que cette vision, par son apparente simplicité, devient pour certains un slogan, alors que de nombreux travaux en cours portent justement sur des correctifs à lui apporter.
L’article présente d’abord par un parcours historique des prises de position sur cette question, puis est discuté le cadre méthodologique dans lequel cette vision prend place. Enfin nous en tirons quelques conséquences quant à la distinction OGM versus non-OGM et sur une certaine éthique scientifique de l’imprudence.
- Jalons historiques
Les quelques passages où Charles Darwin évoque le hasard ne sont pas assez formels, selon nos critères contemporains, pour trancher sur le rôle qu’il attribuait à l’aléa :
« J’ai jusqu’à présent, parlé des variations […] comme si elles étaient dues au hasard. C’est là, sans contredit, une expression bien incorrecte ; peut-être, cependant, a-t-elle un avantage en ce qu’elle sert à démontrer notre ignorance »[1].
Dès L’origine des espèces il rencontre un problème clé qui restera jusqu’à nos jours :
« il est difficile de déterminer, cela d’ailleurs nous importe peu, si les habitudes changent ordinairement les premières, la conformation se modifiant ensuite, ou si de légères modifications de conformations entraînent un changement d’habitude ; il est probable que ces deux modifications se présentent souvent simultanément ».
Darwin cite Lamarck plutôt positivement. Il ne pouvait guère en être autrement à l’époque puisque son grand livre paraît en même temps que la controverse à l’Académie des sciences française sur la génération spontanée et que les atomes ne sont encore qu’une hypothèse, refusée jusqu’au début du 20e siècle par d’éminents savants y compris des chimistes.[2]
Une longue période s’ouvre alors dont on peut marquer le début également par l’importante formule de Boltzmann en thermodynamique statistique (1875) et qui se prolongera jusqu’à la découverte de la double hélice après la seconde guerre mondiale et celle des équilibres métastables des systèmes ouverts. Elle est marquée par un développement prodigieux de la physique qui encourage les vues réductionnistes et, a contrario, par des observations de plus en plus nombreuses et fines des naturalistes et des physiologistes sur lesquelles s’appuient d’illustres penseurs pour défendre un « principe vital » ou du moins une insuffisance des causalités physiques et chimiques pour comprendre le vivant. Le philosophe Henri Bergson prend l’exemple de l’Œstre du cheval, une espèce de mouche qui pique l’animal qui en se léchant avale des œufs de l’insecte dont les larves transiteront dans son système digestif jusqu’à donner de nouveaux adultes, et celui du coléoptère Sitaris qui parasite le nid de certaines abeilles, pour étayer la pertinence d’une créativité du vivant distincte de ce qui relève de la science qu’il range dans la catégorie du « mécanistique ».[3]
Au tournant des 19e et 20e siècles la science traverse des révolutions successives, au sens de Thomas Kuhn, qui prennent souvent la forme d’impossibilités, croissance de l’entropie, non transmissibilité des caractères acquis (August Weismann), non additivité des vitesses proches de celle de la lumière. Quant aux dernières réticences devant l’abstraction de la théorie atomique (Pierre Duhem, Louis Le Chatelier) elles sont surmontées grâce aux dénombrements méticuleux de Jean Perrin et Léon Brillouin fournissant le nombre d’Avogadro. La redécouverte en 1900 des travaux de Gregor Mendel, complètement ignorés, donne à la biologie ses premières bases quantitatives, qui se développeront ensuite par l’école anglaise de statistique mathématique avec les premières dynamiques de population (Francis Galton, Ronald Fisher, et Sewal Wright aux États-Unis).
Après la première guerre mondiale, alors que la physique opère une métamorphose engendrant la mécanique quantique qui mobilise des outils mathématiques avancés comme les espaces de Hilbert, les statistiques apparaissent comme une méthode bien adaptée aux sciences humaines et du vivant. C’était déjà l’avis de Condorcet et de Buffon, elles permettent des classifications rigoureuses grâce au concept de corrélation sans que soit mobilisée nécessairement une relation de causalité.[4] Les observations des naturalistes et des physiologistes s’accumulent qui font connaître la prodigieuse richesse des plantes et des animaux ainsi que leurs curieux modes de vie.
Le fossé entre les outils méthodologiques de la physique et ceux de la biologie a certainement contribué à faire voir les inventions créatives de la nature vivante comme une énigme. Comment les fonctions d’onde et les algèbres de Von Neumann pourraient-elles expliquer la fabrication d’un œil ou la construction d’un nid d’oiseau. Si l’on écarte toute intention divine, dans quel jeu le hasard pourrait-il tirer des cartes aussi variées ? Lucien Cuénot après avoir rassemblé une impressionnante collection de cas où l’évolution semble suivre intentionnellement une direction, en vient à chercher quelle serait la consistance philosophique d’un anti-hasard pour corriger le désordre de l’aléatoire.[5] Il voit ce registre du côté de ce qui fait sens pour nous humains :
« il y a une évidente opposition […] d’un côté déterminisme aveugle, sans dessein, et exclusion de finalité : de l’autre déterminisme téléologique orientant vers un but le déterminisme mécanique. D’un côté le hasard, de l’autre l’anti-hasard. […] Nous ne connaissons les espèces végétales, animales et nous-mêmes que par le phénotype, c’est-à-dire par le résultat de la réaction du substratum héréditaire aux actions de milieu, qui peuvent modifier plus ou moins intensément l’expression du génotype ».
Faudrait-il admettre une sorte de hasard truqué ? Du hasard qui voudrait dire quelque chose ? Mais, si cela fait sens, ce ne peut être le pur hasard. Le physicien Charles-Eugène Guye, quant à lui, se lance dans des calculs de probabilité pour montrer combien l’improbabilité du vivant est évidente.[6] A cet égard l’ouvrage d’Erwin Schrödinger What is life ? qui postule la nature cristalline du maintien de la permanence dans l’hérédité apparaît comme une piste prometteuse vers la causalité en biologie.[7]
La découverte de la structure en double brin de l’ADN par Francis Crick, James Watson, Maurice Wilkins et Rosalind Franklin, peu après la seconde guerre mondiale est une rupture épistémologique majeure qui donne au livre de Schrödinger une valeur prémonitoire, fortifie le courant réductionniste, et fait rapidement naître une vulgarisation schématique fondée sur l’informatique. Au demeurant le questionnement sur l’importance du vécu subsiste et Conrad Waddington introduit le concept d’assimilation génétique qui vise à donner un cadre mieux circonscrit à une forme de lamarckisme. Ces idées sont débattues lors d’un célèbre colloque animé par Arthur Koestler et J. R. Smythies, Beyond Reductionism, New perspectives in the Life Sciences (1969), où sont mentionnés les travaux anciens de l’Américain Walter Baldwin (1896). Même si d’après Waddington cette référence est discutable, l’usage répété de cette citation a construit le concept d’effet Baldwin qui désigne aujourd’hui le fait que lors d’un changement d’environnement il se peut que certains individus d’une population présentent des traits qui les avantagent sélectivement même si ces caractères n’étaient pas antérieurement observables.
Peu après le prix Nobel attribué à Jacques Monod, François Jacob et André Wolf (1965), Jacques Monod publie sont très célèbre ouvrage sur lequel nous nous arrêtons un instant. Ainsi que Laurent Loison le montre bien[8], ce livre confirme un tournant dans la vision épistémique de Monod. Partant d’une conception répandue où le microscopique ne pouvait avoir d’effet direct macroscopique que de façon statistique[9], il défend dorénavant un déterminisme moléculaire fondé sur les « complexes stéréospécifiques non covalents » et il dénoue l’opposition avec la thermodynamique statistique en faisant appel à l’interprétation de Léon Brillouin et les notions d’information et de néguentropie. Il range l’ouvrage de Koestler et Smythies dans « les écoles organicistes ou holistes qui telles un phénix renaissent à chaque génération » et se détourne de l’idée d’une « théorie générale des systèmes » de Von Bertalanfy.
Mais la thèse la plus forte de son livre, ainsi que le titre l’indique, réside dans le rôle qu’il fait jouer au hasard dans l’évolution (chap. 7). S’appuyant sur les travaux de Brenner et Crick il énumère différents types d’altérations accidentelles discrètes que peut subir la double fibre d’ADN et énonce ce célèbre postulat :
« Nous disons que ces altérations sont accidentelles, qu’elles ont lieu au hasard. Et, puisqu’elles constituent la seule source possible de modifications du texte génétique, seul dépositaire à son tour des structures héréditaires de l’organisme, il s’ensuit nécessairement que le hasard est la seule source de toute nouveauté, de toute création dans la biosphère. Le hasard pur, le seul hasard, liberté absolue, mais aveugle, à la racine même du prodigieux édifice de l’évolution. » (p.147).
Le livre de Monod est clairement écrit et n’esquive aucune radicalité : « cette notion centrale de la biologie moderne n’est pas aujourd’hui une hypothèse, parmi d’autres possibles ou au moins concevables. Elle est la seule concevable, comme seule compatible avec les faits d’observation et d’expérience » (p.148). Il dépeint l’évolution (chap. 7) comme le résultat de « la roulette de la nature » (p. 159).
Plusieurs auteurs ont rapidement réagi à cette affirmation dont le caractère provocateur pour une part du monde intellectuel, ne constituait pas en soi une validation, et ont pointé sa faiblesse en tant qu’apriori épistémologique, notamment Ernest Schoffeniels et Albert Jacquard qui soulignèrent que l’appel au hasard est une facilité qui peut faire obstacle à la recherche de nouvelles compréhensions.
Il convient de souligner qu’au-delà d’une image vulgarisatrice la notion de « roulette de la nature » a une signification épistémologique fondamentale, je dirais même mathématique. Elle signifie que les mutations non seulement sont soumises à un aléa mais que cet aléa est comme celui de la roulette : ne dépendant d’aucun cadre, d’aucune influence, indépendant au sens stochastique de tout autre hasard, de toute mutation chez un autre individu, hors de tout contexte. Tout au plus accordera-t-on que ce hasard-roulette dépende de l’ADN auquel il est appliqué, l’ADN comme texte abstrait sans repliements, sans états quantiques métastables, sans corrélation avec quoi que ce soit.[10]
Parmi les critiques de Monod, celle du statisticien Georges Matheron (Matheron 1978) est particulièrement intéressante parce qu’elle se situe à la juste place où le problème est épistémologiquement difficile. En tant que statisticien il observe que les acides aminés ne sont pas répartis dans la nature comme s’ils avaient été tirés au hasard. Quand bien même nous considérerions que les phénomènes biologiques sont le résultat du hasard, de ce hasard nous n’avons qu’un seul tirage, une seule trajectoire ; et ce qu’est la nature aujourd’hui – et ce qu’elle fut dans le passé – induit une foule de déterminismes, de sorte que le problème est de partager les sources de hasard s’il y en a, et les causalités multiples et contextuelles. Il n’y a effectivement qu’une seule nature avec un seul parcours, si divers et riche fût-il, et sur une seule planète. La comparaison avec le hasard de la roulette à multiples tirages indépendants est ainsi une pure abstraction. On voit que la question concerne la méthode elle-même des sciences de la nature.
Le cas de René Thom est plus compliqué. Il faut distinguer un pamphlet dirigé contre l’abus des modèles probabilistes dans beaucoup de disciplines (Thom 1980) parce qu’ils sont peu informatifs et difficilement réfutables, et l’application de la théorie des catastrophes à la biologie qui fit l’objet de plusieurs livres (cf. Thom 1972 et Thom 1991) qui, malgré un accueil réservé de certains biologistes, ouvrent une voie très nouvelle et mieux acceptée maintenant pour l’élaboration d’un discours au niveau de l’embryogenèse et du phénotype qui aille plus loin qu’un simple descriptif statistique. La démarche est platonicienne et typiquement celle d’un mathématicien de construire des notions plus abstraites, mais plus simples que ce qui est observé et mesuré.
A la même époque que le livre de Monod paraissait l’article de Kimura et Ohta (1971) qui mettait l’accent sur l’existence de mutations sans effet visible sur le phénotype et soulignait le phénomène de dérive par effacement d’allèles dans les populations restreintes. Dans un de ses nombreux livres Stephan Jay Gould (Gould 1987), narrateur hors pair, se positionne en faveur de la théorie neutraliste de Kimura plutôt que pour l’organicisme de Koestler.
Une autre façon de parler de l’inventivité de la nature est celle de François Jacob qui parle de « bricolage » ou d’Antoine Danchin (Danchin 1991) qui emploie le terme d’opportunisme et prend l’exemple de l’œil chez divers animaux où les tissus employés pour les corps transparents sont des protéines différentes trouvées à l’occasion, issues d’autres usages.
Mentionnons également le mathématicien et linguiste Marcel Schützenberger (Schützenberger 1992) collaborateur de Noam Chomsky qui discute la « convergence » du processus de sélection naturelle comme forme d’algorithme du recuit simulé (simulated annealing).
- La dialectique de Jean-Claude Milner
Il n’est pas étonnant que la dualité soulignée par Cuénot et bien d’autres entre phénotype et génotype ait intéressé des linguistes car le langage est typiquement le jeu d’un formel susceptible d’interprétation : le signifiant et le signifié.
A cet égard, dans un article fort intéressant, « Hasard et langage », le linguiste Jean-Claude Milner (Milner 1991) pointe ce qu’on peut appeler une dialectique de l’approche scientifique du langage. Dans un premier temps la connaissance se place sous le règne du hasard, c’est ce que Ferdinand de Saussure appelle l’arbitraire du signe. Et Milner de faire remarquer que le mot hasard lui-même, venu de l’arabe où il désigne un jeu de dés, pourrait être différent, ce qui donne un sens fondateur au célèbre poème de Mallarmé « Un coup de dé jamais n’abolira le hasard ». Il ajoute :
Mais, ce premier temps, on ne peut rien en faire. A partir du moment où l’on a dit que les configurations linguistiques sont totalement aléatoires, donc qu’elles pourraient être entièrement autres que ce qu’elles sont, le problème de la science du langage n’est pas d’expliquer comment elles pourraient être autres, mais comment elles sont. Le second temps consiste donc à recouvrir, à oblitérer le premier […] il reste à montrer que tel ou tel caractère s’explique en liaison avec tel autre. Cette mise en relation prendra, dans le meilleur des cas, la forme d’une déduction.
La posture radicale de Monod s’apparente au premier temps, dont on ne peut rien faire, d’où les reproches d’Albert Jacquard[11] et d’autres qui réclament une autre approche pour la biologie. N’oublions pas que ce hasard-roulette est sensé gouverner le choix des fonctions et des formes qui, lors de l’évolution, viendront se mettre en relation avec celles des phénotypes existants.
Ouvrons ici une parenthèse pour évoquer une situation se rapportant à notre question, et qui est plus qu’une anecdote.
Elle concerne Ferdinand de Saussure, le célèbre philologue, qui durant les mêmes années où il enseignait à Paris son magistral Cours de linguistique générale, se livrait à des recherches sur la poésie antique dont le fil conducteur et la motivation étaient qu’il devinait des noms de dieux par la musique des vers sans que ces noms soient explicitement écrits. Pourquoi n’a-t-il pas publié ces travaux, très approfondis, dont il a couvert plusieurs dizaines de cahiers conservés à la bibliothèque de Genève ? Parce que ce grand savant a craint qu’on dise que ses trouvailles étaient dues au hasard. On mesure, par ce cas, la pression idéologique que peut exercer la notion de hasard.[12]
Récemment cette problématique des influences mutuelles du génome, de l’épigenèse et du développement ont pris une place considérable dans les recherches et les publications et on doit mentionner les synthèses remarquables de Mary Jane West-Eberhard (2003) et de David Pfennig et al. (2021).
- Les synthèses de Mary Jane West-Eberhard et de David Pfennig et al.
L’ouvrage de Mary Jane West-Eberhard est une somme de 800 pages d’une richesse impressionnante tant par l’analyse de la littérature scientifique que par les idées et les éclairages personnels qu’elle donne sur les questions délicates. C’est passionnant et ce livre a, sans conteste, largement contribué à réorienter les motivations des chercheurs sur les questions liées à la plasticité du développement.
Une notion clé qu’elle avance est celle d’accommodation génétique, qui élargit celle d’assimilation génétique introduite par Waddington. Elle la définit de la façon suivante :
L’accommodation génétique améliore un nouveau phénotype d’au moins trois manières différentes : (a) en ajustant la régulation, pour changer la fréquence d’expression du trait ou les conditions dans lesquelles il est exprimé ; (b} en ajustant la forme du trait, en améliorant son intégration et son efficacité ; et (c) en réduisant les effets secondaires désavantageux. L’accommodation génétique se produit qu’un nouveau trait soit induit par mutation ou par l’environnement, car elle dépend de la variation génétique à de nombreux loci apportés sous un nouveau régime sélectif par le changement phénotypique induit.
Notons que cette définition n’est pas complètement explicite en ce qui concerne le procédé qui va réaliser cette accommodation. En effet si le nouveau trait, supposé avantageux, est dû à la plasticité du développement et n’est pas inscrit génétiquement au départ, on comprend que le génome de cet individu va se répandre dans la population si son porteur est prolifique. Mais comment ce génome, une fois plus répandu, va-t-il «savoir» quelle mutation il faut faire pour fixer le trait ? Les mutations qui vont se produire chez les individus issus du nouveau génome ont toute chance de ne pas trouver quelle modification du génome il faut faire pour obtenir le trait. Car que le trait vécu soit enregistré ou pas sur le génome cela ne se voit pas sur le développement donc cela n’est pas soumis à sélection.
Ajoutons que — en restant dans l’hypothèse de hasard-roulette — les mutations sur une descendance d’un individu ne vont pas partout. Dans l’hypothèse de hasard-roulette à la Monod, les mutations induisent tous les changements. Cela veut dire qu’elles sont à l’origine de toutes les modifications héréditaires du phénotype. Mais cela n’est pas contradictoire avec le fait que si on se donne un changement fixé à l’avance les mutations successives peuvent passer à côté sans jamais l’atteindre. Ce phénomène très important peut se comprendre par similarité avec le fait qu’une promenade aléatoire en dimension 3 et au-delà s’en va à l’infini sans avoir eu le temps de visiter toutes les éventualités (cf. Kesten 1978) en tenant compte de ce qu’un phénotype, si simple soit-il, évolue toujours dans un espace d’état de grande dimension.
Le texte de Mary Jane West-Eberhard (p148 et seq.) qui explique l’accommodation génétique décrit un phénomène et donne des exemples où le génome change en prenant en compte un trait avantageux découvert par plasticité du développement. Mais ce texte n’explique pas comment cette inscription dans le génome se fait dans le cas hasard-roulette, de sorte que cette rédaction peut être comprise comme une critique de l’hypothèse hasard-roulette, plutôt que comme une confirmation de cette hypothèse, selon les avancées futures des connaissances. C’est habile, ou plutôt disons prudent. Cela laisse entendre qu’elle ne souscrit pas aveuglément à l’hypothèse de Monod et qu’elle considère que les explications détaillées viendront des recherches et pourraient varier suivant diverses circonstances expérimentales (elle cite le changement d’allèles à une pluralité de loci, etc.).
L’ouvrage collectif coordonné par David Pfennig reprend cette problématique une vingtaine d’années plus tard. Il est d’une rigueur toute britannique. On a l’impression de lire Bertrand Russell. En particulier la contribution de Pfennig lui-même est d’une limpidité exemplaire.
A la 4e de ses «questions clés» sur la plasticité phénotypique David Pfennig montre que selon la «synthèse moderne», qui réconciliait la théorie de Darwin et la génétique mendélienne, la plasticité ne pouvait affecter l’évolution puisque celle-ci requiert un changement héréditaire. Mais il apporte deux correctifs à cet argument : d’abord que la plasticité peut avoir un impact sur l’évolution même si la réponse plastique spécifique n’est pas elle-même héritée, ensuite que, en fait, certaines réponses plastiques sont transmises héréditairement. Et il dégage trois cas où la plasticité facilite l’évolution :
Premièrement, la plasticité peut faciliter l’évolution indirectement en favorisant la persistance de la population dans des environnements nouveaux, permettant ainsi aux populations de rester viables jusqu’à ce que l’évolution adaptative puisse se produire (l’hypothèse de « l’achat de temps »). Deuxièmement, la plasticité peut faciliter l’évolution directement en exposant à la sélection des variations génétiques auparavant inexprimées, ce qui alimente l’évolution adaptative (hypothèse de l' »évolution induite par la plasticité »). Enfin, la plasticité peut faciliter l’évolution directement en formant la base d’un système d’héritage alternatif sur lequel l’évolution adaptative peut se déployer (hypothèse de l' »évolution non génétique »).
Il illustre ces situations par des cas détaillés. Je renvoie pour cela au livre où également les travaux de ses collègues sont riches de connaissances factuelles et d’observations qui précisent des comportements où se joue une influence du développement vers l’hérédité. C’est la question cruciale du «vécu d’abord» (development first).
N’importe quelle situation particulière peut souvent être lue comme «une mutation au hasard d’abord», (cf. la crainte de Saussure), mais cette facilité devient de plus en plus artificielle car les cas s’accumulent et certaines expériences apportent des confirmations. Le cas des Daphnies, ces petits crustacés d’eau douce, est assez spectaculaire. En présence de certains prédateurs dans leur eau ils prennent un aspect différent avec une sorte de casque et ce trait s’avère transmissible héréditairement s’ils sont dans une eau changée sans prédateurs. Parmi les « trouvailles » célèbres de la nature citons : la moule perlière des rivières qui parvient à ne pas disparaître entrainée par le courant parce que les germes qu’elle disperse dans l’eau s’accrochent aux branchies des truites ou des saumons qui les font remonter en amont où elles éclosent; également le fait que le phacochère qui se met à genou pour fouiller a transmis à ses rejetons une callosité aux genoux qui apparaît sur les embryons avant même leur naissance; les «chaines de vacances» du Bernard l’Hermite qui quitte sa coquille pour une plus grande libérant l’ancienne qui peut ainsi accueillir un autre Bernard l’Hermite et ainsi de suite en chaîne; Cuénot mentionne aussi certains animaux inoculateurs dont le dard au lieu de présenter un trou à l’extrémité possède un orifice sur le côté permettant à la pointe de pénétrer plus aisément. Il y a des conduites de détour, des formes d’opportunisme dont un exemple est que les substances transparentes de l’œil, cet ustensile fondamental, sont souvent faites de protéines spécifiques qui existaient pour des animaux différents pour d’autres fonctions.
On peut interpréter, sinon tous, du moins plusieurs de ces exemples, en suggérant que, par un processus dont on n’a pas le détail et peut-être de plusieurs façons, le développement dessiné par un vécu dans la plasticité phénotypique intervient sous la forme d’un biais favorisant, au moins légèrement, les mutations qui modifient peu ce même développement.
Contrairement à ce qui se passe dans l’hypothèse hasard-roulette où rien, sinon un hasard nouveau étranger à la scène, ne peut jouer sur les mutations, on voit bien qu’une simple influence corrélative entre l’épigenèse et le génome aurait un effet déterminant sur l’adaptation et le gradualisme car elle soumettrait les mutations appuyant le vécu à une sélectivité favorable.
Un tel principe suivrait l’influence imaginée par Raymond Hovasse il y a une cinquantaine d’années (Hovasse 1972, p1679) :
Le fait qu’un organisme donné peut réagir à une action du milieu par une somation, implique, dans son cytoplasma, indépendamment de ses gènes, la possibilité d’un mécanisme réalisateur, déviation d’un mécanisme génique, ou peut-être plasmagénique. Ce mécanisme une fois réalisé ne peut-il être déclenché à nouveau plus facilement ensuite par un phénomène génique ? La somation amorcerait, en quelque sorte, la mutation.
Il y a dans les publications récentes des investigations qui montrent a minima que l’épigenèse peut à la fois être influencée par le vécu et influencer le génome par une qualification du type de hasard qui y intervient : biais, corrélation, mémoire, etc.
Toutes ces recherches montrent que nous sommes maintenant clairement dans la deuxième phase de la dialectique de Milner.
- Les deux préceptes de Jacques Monod
Pour comprendre les aspects éthiques, il faut nous replacer dans cette situation historique extraordinaire où les découvertes sur l’ADN semblent apporter enfin une réponse à la grande question de la vie sur laquelle les religions avaient construit des sentiments et des croyances, et où s’ouvre une nouvelle activité scientifique, la biologie moléculaire, prometteuse d’aborder vraiment concrètement les mécanismes du vivant. Tout un programme. Il faut repenser les idées vagues de Darwin dans une nouvelle réalité opérationnelle pour l’agriculture, l’élevage et la médecine. Les interprétations façonnées par la culture, l’empathie avec les êtres vivants que nous sommes aussi, la ressemblance entre nos nourrissons et des petits animaux, toute cette intuition qui constituait ce qui s’appelait la vie, la nôtre, et notre mort également, et se trouvait au cœur des plus hautes philosophies, tout cela reste mais change de rôle, cela devient les sources du questionnement biologique, non plus les bases de la vérité mais le décor où se joue la pièce scientifique. C’est en cet instant historique unique que Jacques Monod prend la parole, légitimé par sa connaissance reconnue des techniques concernées et qu’il pose des mots sur l’aventure et les éventuels devant lesquels se trouve l’humanité.
Son discours a deux piliers : 1°) le hasard règne en maitre, et 2°) la conscience du scientifique peut tenir lieu d’éthique pour l’avenir.
Mais contrairement à ce qu’il a supposé, l’évolution ne fonctionne pas avec des mutations purement au hasard, indépendantes entre elles et indépendantes du contexte comme tirées à la roulette. C’est au contraire un vaste sujet d’étude de comprendre les influences, les biais induits, leur degré de causalité ou seulement de corrélation entre les changements du génome et ceux de la matrice épigénétique et du développement. Monod cherchant un discours percutant contre toute forme de spiritualisme a saisi le hasard comme arme absolue et, ce faisant, a ouvert en grand l’autorisation morale de faire n’importe quoi. En proclamant une explication facile et caricaturale de la nature, il a rendu sa préservation plus difficile et donné un slogan tout trouvé aux manipulateurs moléculaires sans scrupule éthique.
Le dernier chapitre de son traité intitulé « Le royaume et les ténèbres » constitue, en vingt pages, un véritable manifeste d’une éthique tirée de la « conception moderne de la science ». Pour répondre à l’angoisse de l’Homme devant sa destinée, il s’agit de garder un « discours authentique » qui consiste à relier la vérité scientifique et les valeurs mais en les gardant distinctes sans les confondre. C’est une discipline que s’impose l’homme de science pour l’authenticité de tout discours ou action. « L’éthique de la connaissance, créatrice du monde moderne, est la seule compatible avec lui, la seule capable, une fois comprise et acceptée, de guider son évolution« .
Mais cette foi en l’homme de science est-elle fondée ? Si dieu n’existe pas, l’homme de science prudent et désintéressé est une plus grande fiction encore. Pensons à la naissance en 2018, en catimini, des fillettes génétiquement modifiées par l’équipe chinoise de He Jiankui [13], pensons aux nombreux laboratoires privés qui font commerce d’informations tirées de bases de données de génomes humains pour aider à la sélection d’embryons au niveau du blastomère, n’omettons pas la Darpa qui finance de la biologie de synthèse, sans parler des pays où l’information est contrôlée et qui mènent nombres d’essais tenus secrets. Cette science immaculée conception n’existe pas. Le laisser croire, revient à absoudre à l’avance tous les dérapages.
Monod se faisait une idée assez schématique du social, et cela l’a trompé sur l’avenir de sa propre discipline. Il écrivit en effet : « Sans doute pourra-t-on pallier certaines tares génétiques, mais seulement pour l’individu frappé, non dans sa descendance. Non seulement la génétique moléculaire moderne ne nous propose aucun moyen d’agir sur le patrimoine héréditaire pour l’enrichir de traits nouveaux, pour créer un « surhomme » génétique, mais elle révèle la vanité d’un tel espoir : l’échelle microscopique du génome interdit pour l’instant et sans doute à jamais de telles manipulations ». Cependant, avec les modifications du génome humain, les limites dont il parle sont déjà dépassées et les recommandations éthiques faites lors de la conférence d’Asilomar de 1975 ne sont plus adaptées.
- Conclusion
Dans le monde entier des chercheurs sont préoccupés de comprendre les passages, nombreux mais circonstanciés, que la nature nous montre entre le vécu des êtres vivants et leur l’ADN. Il n’y a pas que le cas étonnant des Daphnies, en Californie c’est à propos des lézards, etc. En France un groupement de recherche (GDR) a été créé sous l’égide du CNRS comprenant 37 laboratoires sur le thème de la plasticité phénotypique.[14] C’est un courant de recherche immense, j’ajoute aux mentions précédentes les travaux de Jonathan B. Losos, Kevin J. Parsons, Ammon Cori, et Blair W. Perry. On a commencé à comprendre qu’il y a comme une continuité entre la permanence de la matrice épigénétique et celle du génome, ainsi qu’une relation progressive entre les changements de l’une et de l’autre. Dans quelle mesure, à quelle échelle ? Work in progress…
Néanmoins les instances institutionnelles de sagesse collective sont tardives à se mettre en place. Dernièrement la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) n’a pas classé parmi les OGM réglementés les produits de mutagenèse aléatoire in vitro qui pourtant modifient le cadre cellulaire de l’ADN (Arrêt du 7 février 2023).
Résumons : Jacques Monod a construit une doctrine qui valide le message aux scientifiques : « vous pouvez tout essayer » ; et dont la morale pour le monde entier est : « faites confiance aux scientifiques ».
Là se trouve l’origine principale du blanc-seing déontologique qui s’est répandu en biologie. Celle-ci doit maintenant se dégager de ces visions radicales et imprudentes.
Références
- M. Baldwin, 1896. « A new factor in evolution » American Naturalist 30, 441–451.
- Bergson L’évolution créatrice, Alcan 1907.
- Bouleau Ce que Nature sait, Presses Universitaires de France, 2021.
- Bouleau La biologie contre l’écologie ? Le nouvel empirisme de synthèse, Spartacus-idh 2022.
- Bouleau, D. Bourg, Science et prudence, Du réductionnisme et autres erreurs par gros temps écologique, Presses Universitaires de France 2022.
- Cori et al. » The Genetic Basis of Adaptation following Plastic Changes in Coloration in a Novel Environment », Current Biology 28, 2970–2977, 2018.
- Cuénot Invention et finalité en biologie, Flammarion 1941.
- Cuénot « L’anti-hasard« , Revue scientifique, n°3235, 1944 (paru en mars. 1946), p.339.
- Danchin « Hasard et biologie moléculaire » in E. Noël Le hasard aujourd’hui Seuil 1991.
Ch. Darwin L’Origine des espèces, (1876), Garnier-Flammarion, 1992.
- Gayon, Th. Pradeu, Philosophie de la biologie, Explication biologique, hérédité, développement, Vrin 2021.
St. J. Gould « Un hérisson dans la tempête » (1987) Grasset 1994.
Ch. E. Guye, L’évolution physico-chimique, Rouge et Cie 1941.
- Hovasse Adaptation et évolution, Hermann 1950.
- Hovasse « La réalité de l’évolution organique », in Biologie Gallimard 1972, pp1547-1696.
- Jaccard « Hasard et génétique des populations » in E. Noël Le hasard aujourd’hui Seuil 1991.
- Jolivet « Le principe de Baldwin ou l’effet Baldwin en biologie, Une bonne explication ou une échappatoire des darwinistes ? » L’Entomologiste, t. 63, 2007, n° 6 : 315-324.
- Kesten «Erickson’s conjecture on the rate of escape of ad-dimensional random walk»,Trans. of the American Math. Soc. Vol.240, (1978) 65-113.
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[1] Charles Darwin 1876.
[2] Cf. Henry Le Chatelier 1908.
[3] Henri Bergson 1907.
[4] La biologie devrait-elle se limiter à un rôle descriptif ? La question de la place de la causalité pour les sciences du vivant est permanente (Ernst Mayr 1961, Jean Gayon et Thomas Pradeu 2021).
[5] Lucien Cuénot 1941 et 1944.
[6] Charles-Eugène Guye 1941, p213 et seq.
[7] Erwin Schrödinger 1944.
[8] Laurent Loison 2016.
[9] Ce point de vue est bien exprimé par Ch. E. Guye : « Si donc l’on admet l’hypothèse selon laquelle l’origine de la vie coïnciderait avec l’apparition, dans la constitution moléculaire, d’une fluctuation dissymétrique d’espèce relativement très rare, on conçoit d’emblée pourquoi nous avons toujours été jusqu’ici dans l’impossibilité de faire sortir la vie autrement que de la vie elle-même. Cela résulte immédiatement du fait que nous ne sommes pas le démon de Maxwell et que nous sommes impuissants à agir sur les fluctuations individuelles par le moyen grossier de nos manipulations physico-chimiques (statistiques) que seules nous sommes capables d’effectuer. »
[10] On comprend mieux au dernier chapitre de son livre pourquoi Monod adopte cette position. Elle semble d’ailleurs contredire le rôle qu’il fait jouer, en s’appuyant sur ses propres travaux, aux « complexes stéréospécifiques non covalents », notion qui dépasse « l’hypothèse d’Anfinsen » que l’action des protéines n’interviendrait que par leurs séquences d’acides aminés.
[11] « Je crois que Jacques Monod nous a rendu un très mauvais service, en donnant l’impression, à la suite de Démocrite, qu’il y avait soit le hasard, soit la nécessité, et que tout dépendait d’eux. Ce service est d’autant plus mauvais qu’il a donné l’image d’un hasard tel un petit dieu grec. » (Jacquard 1991).
[12] Ces recherches ont été publiées et commentées par J. Starobinsky, Les mots sous les mots, Gallimard 1971.
[13] Il s’agit de trois fillettes sur lesquelles on a d’ailleurs peu d’information (cf. H. Morin Le Monde 19 avril 2022).
[14] https://plasticite-phenotypique.cnrs.fr/