Par Éloi LAURENT (OFCE, Sciences Po et Université de Stanford) [1]
RÉSUMÉ
Cette étude examine quelques grands chantiers structurants dans l’avancement de la transition sociale-écologique dans cinq villes françaises. Elle propose de définir les enjeux de la transition sociale-écologique urbaine en France selon deux modalités. La première consiste à diviser les domaines de la transition sociale-écologique en quatre grands axes couvrant un certain nombre de thématiques clés et les politiques qui s’y rapportent. La seconde vise à préciser les compétences sociales-écologiques des communes selon le droit en vigueur. La première partie de cette étude est consacrée à la définition de cette double grille d’évaluation. Et la deuxième détaille quelques grands chantiers mis en œuvre dans les cinq villes retenues. En conclusion, on tire quatre enseignements de ce panorama partiel.
ABSTRACT
This study examines some major structuring projects in the advancement of the social-ecological transition in five French cities. It proposes to define the challenges of the urban social-ecological transition in France in two ways. The first consists in dividing the fields of social-ecological transition into four main domains covering a certain number of key themes and the related policies; the second aims to specify the social-ecological competences of the municipalities according to existing law. The first part of this study is devoted to the definition of this double evaluation framework. And the second details some major projects implemented in the five selected cities. In conclusion, the study draws four lessons from this partial panorama.
KEY WORDS Urban social-ecological transition, Paris, Grenoble, Nantes, air pollution
JEL Codes : Q3, Q5, D3, D6.
La décennie qui s’ouvre est celle du défi écologique : face au dérèglement du climat, à la destruction de la biodiversité et à la dégradation des écosystèmes visibles et sensibles partout sur la planète, il faut aux collectivités humaines engager une transformation profonde des attitudes et des comportements de leurs membres pour éviter que le 21e siècle ne soit celui de l’autodestruction du bien-être humain[2].
Ce processus de transformation, que l’on peut choisir de nommer transition écologique, met notamment en jeu deux questions stratégiques. La première est l’articulation du défi écologique à la question sociale. Comme l’a montré la brutale crise des « Gilets jaunes » en France, les politiques de transition doivent, pour être justes, acceptées et donc efficaces, prendre en considération la dimension sociale des questions écologiques. La seconde est la mobilisation des espaces urbains dans cette transition sociale-écologique, eux qui concentrent désormais une majorité d’habitants (qui atteint 75-80% en Amérique du Nord et en Europe) et qui, tout en n’occupant que 5% de la surface de la planète, représentent notamment 66% de l’énergie consommée et 75% des émissions de CO2.
Cette étude examine quelques grands chantiers structurants dans l’avancement de la transition sociale-écologique dans cinq villes françaises. Le choix des villes a été dicté par le double critère de leur orientation politique (soit sociale-démocrate au sens large, soit écologiste compte tenu de l’angle de cette étude) et de leur pertinence par rapport au sujet : on a retenu deux villes parmi les dix plus importantes en taille dirigées par des sociaux-démocrates qui ont fait des enjeux écologiques leur marque de fabrique au cours de la dernière mandature et trois villes dirigées par les écologistes dont les deux plus importantes en taille et une troisième qui n’est pas une ville mais une commune reconnue comme un laboratoire de l’innovation sociale-écologique[3].
Cette dynamique de transition sociale-écologique apparaît comme particulièrement saillante à l’approche du scrutin municipal de mars 2020, un certain nombre d’enquêtes d’opinion indiquant que celui-ci pourrait être le plus « vert » de l’histoire politique française, à la fois du fait du poids électoral des écologistes et plus encore de l’influence politique des idées écologistes dans les équipes municipales briguant les voix des citoyennes et des citoyens.
Comment définir les enjeux de la transition sociale-écologique urbaine en France ? Cette étude propose de le faire selon deux modalités. La première consiste à diviser les domaines de la transition sociale-écologique en quatre grands axes couvrant un certain nombre de thématiques clés et les politiques qui s’y rapportent ; la seconde vise à préciser les compétences sociales-écologiques des communes selon le droit en vigueur. La première partie de cette étude est consacrée à la définition de cette double grille d’évaluation. Et la deuxième détaille les grands axes mis en œuvre dans les cinq villes retenues. En conclusion, on tire quatre enseignements de ce panorama partiel.
- La transition sociale-écologique urbaine en France : enjeux et compétences publiques
On peut définir quatre angles d’approche de la soutenabilité des villes en ayant recours à quatre disciplines différentes[4]. Une ville est d’abord un lieu administratif et géographique. Les villes peuvent être définies, dans cette première approche, comme des espaces de vie collective denses et interconnectés. La notion de « systèmes urbains » reflète ces interrelations spatiales et humaines. La question de la hiérarchie entre les espaces (au vu notamment de la logique contemporaine de métropolisation, qui voit la mise en relation d’un pôle urbain et d’une ou plusieurs périphérie) induisant des mobilités plus ou moins maîtrisées entre eux, apparaît d’emblée comme essentielle du point de vue de la soutenabilité environnementale. Elle amène naturellement à la deuxième approche des systèmes urbains, l’approche économique, centrée autour des notions d’agglomération et d’étalement. Dans cette perspective d’économie urbaine, une ville est essentiellement un lieu d’agglomération efficace (d’emplois, de biens, de services, de personnes, d’institutions et d’idées). Mais, dans une perspective de soutenabilité, l’agglomération peut aussi s’avérer inefficace, engendrant des coûts environnementaux et sociaux considérables, comme ceux qui sont attachés à la pollution de l’air.
La troisième définition que l’on peut donner des espaces ou systèmes urbains provient de la sociologie et définit les villes comme des espaces de coopération sociale. L’espace urbain doit être partagé pour remplir sa vocation essentielle : selon cette troisième approche, une ville est le produit de la densité humaine et de la diversité sociale et incarne de fait une certaine vision de la justice sociale.
Enfin, la ville, entreprise de coopération humaine, est soumise aux conditions de son environnement et l’affecte en retour, au plan local et mondial. Les concepts clés ici sont ceux de métabolisme urbain et d’adaptation urbaine, notamment au changement climatique. Le métabolisme urbain considère la ville comme un organisme vivant ou un écosystème et se concentre sur la quantité de ressources dont elle a besoin pour fonctionner (eau, énergie, etc.) et qu’elle rejette. L’adaptation urbaine fait quant à elle référence au processus d’ajustement des systèmes urbains au changement environnemental global (changement climatique, destruction de la biodiversité, dégradation des écosystèmes) compte tenu de ses effets observés ou attendus.
Ces quatre approches dessinent quatre grands axes de la transition sociale-écologique urbaine :
- Axe 1 : Mobilité-environnement-santé: mobilité pour l’accès au logement, à l’emploi, aux loisirs et aux services publics en lien avec les pollutions associées et leurs effets sur la santé humaine (santé environnementale) ;
- Axe 2 : Justice sociale et environnementale: inégalités environnementales dans l’accès aux aménités[5] et l’exposition aux risques ; aides sociales à la transition écologique ;
- Axe 3 : Qualité de vie: amélioration du bien-être humain et intégration des indicateurs de bien-être dans les politiques publiques ;
- Axe 4 : Empreinte et vulnérabilité: métabolisme urbain (consommation de ressources naturelles, pollutions et déchets générés) et adaptation au changement climatique ;
Les compétences municipales[6] en matière de transition sociale-écologique ainsi définie sont, en France, larges. On propose ci-dessous deux tableaux récapitulatifs et un schéma de correspondance entre compétences en matière d’environnement et compétences en matière sociales, schéma qui ouvre une large gamme de politiques publiques en lien avec les quatre axes qui viennent d’être précisés.
Compétences municipales environnementales[7] | ||
Occupation des sols et urbanisme | Qualité de l’environnement | Gestion des risques |
Occupation des sols, plan local d’urbanisme | Collecte des déchets, circulation des véhicules dans les espaces naturels, plan communal de sauvegarde (risques) | Avalanches, inondations, incendies, pollutions d’installations classées |
Lutte contre la pollution de l’eau, air, préservation des espaces naturels ; sécurité et tranquillité publiques | ||
Plan climat-énergie territorial | ||
Assainissement | ||
Alimentation en eau destinée à la consommation humaine ; évacuation, traitement, élimination et utilisation des eaux usées et déchets ; lutte contre les bruits de voisinage et la pollution atmosphérique d’origine domestique. |
Compétences municipales sociales[8] | ||||
Santé | Logement | Action sociale via le centre communal ou intercommunal d’action sociale (CCAS ou CIAS) | Information sociale | Enfance et personnes âgées |
---|---|---|---|---|
Aide apportée à l’Agence Régionale de Santé | Intervention en matière foncière ; opérations d’aménagement | Prestations remboursables ou non remboursables | Etablissement de fichiers pour recueillir les informations utiles à l’intervention des services sociaux et sanitaires auprès des personnes âgées et des personnes handicapées (identité, âge, adresse du domicile …). | Accueil des jeunes enfants (moins de 6 ans). Création et gestion des services destinés aux personnes âgées |
Services communaux d’hygiène et de santé | Salubrité des habitations | Instruction des demandes d’aide sociale légale (aide médicale, RSA, aide aux personnes âgées, …) | ||
Programmes de santé spécifiques relatifs à certains risques | Aide sociale facultative | |||
Aides en matière sanitaire | ||||
Services municipaux de désinfection et services d’hygiène et de santé | ||||
Vaccination de la population et alerte sanitaire |
Il est bien entendu impossible, faute de temps et d’espace, de traiter l’ensemble des sujets afférents à ces quatre axes. On choisit donc dans les développements qui suivent de se concentrer sur quelques chantiers emblématiques menés par les villes étudiées en matière de transition sociale-écologique. De ce fait, tous les axes ne sont pas également développés pour les cinq villes étudiées (l’Axe 1 est omis pour les deux plus petites communes étudiées).
- Cinq villes françaises dans la transition sociale-écologique
PARIS
Population | 2,2 millions |
Superficie | 105 km² |
Région | Ile de France |
Budget municipal | 10,5 milliards d’euros |
Couleur politique (alliés) | Parti socialiste (écologistes et gauche) |
Durée du mandat de la majorité actuelle | 6 ans |
Parmi les grandes métropoles mondiales, Paris présente la double particularité d’avoir longtemps ignoré les enjeux environnementaux mais de s’être résolument engagée depuis le début du 21e siècle dans la transition écologique, transition qui s’est fortement accélérée avec la dernière mandature municipale. Qui plus est, Paris a su, dans la période récente, articuler cette nouvelle ambition écologique avec un souci de justice sociale. Il n’en est que plus important de mettre en lumière les insuffisances, réelles, de la transition sociale-écologique dans la capitale.
Axe n°1
La lutte contre la pollution de l’air et ses ravages sanitaires et sociaux est sans doute la plus grande réussite sociale-écologique de Paris dans la période contemporaine. La capitale a pris pour ce faire des mesures comparables aux métropoles européennes les plus avancées en la matière, à même de pouvoir enfin atténuer dans les espaces urbains français le fléau sanitaire qu’est la pollution atmosphérique, contre lequel la France en tant qu’Etat et les villes françaises en tant que juridictions locales ont été mises en demeure d’agir tant par le juge européen que national.
La mise en place d’une zone à faibles émissions, qui a d’abord concerné le territoire intra-muros avant d’être en partie élargie à l’été 2019 au Grand Paris, accompagnée d’une interdiction programmée des véhicules diesel, puis essence, à horizon 2030, sont des mesures sans équivalent en France. Elles viennent consolider des mesures qui touchent la régulation des voies de circulation, certaines anciennes, d’autres nouvelles et adoptées dans l’adversité. Les résultats sont probants : la qualité de l’air à Paris est en voie de nette amélioration depuis 2011 (+30 points de pourcentage en moins d’une décennie), et cette amélioration s’est poursuivie après 2014.
Graphique 1. Pourcentage de jours où la qualité de l’air est considérée comme bonne ou très bonne selon l’indice Citeair*
Source : Airparif et calculs de l’auteur pour l’agglomération parisienne. *L’indice Citeair a pris le relais de l’indice Atmo en 2011.
Note : En moyenne, cet indicateur était de 51% pour la période 2011-2014 et de 64% pour la période 2015-2019.
Le développement des pistes et des pratiques cyclables (pratiques accélérées par les usages contraints lors de la grève de l’hiver 2019-2020), qui s’accompagne de bienfaits sanitaires à la fois pour les usagers et les piétons, est également à mettre au crédit de l’actuelle municipalité, qui a permis de rattraper une partie importante du retard accumulé en la matière par Paris par rapport à certaines métropoles européennes.
Cette progression s’est accompagnée d’une régression en matière de mobilité partagée dite « douce ». Alors que Paris avait été pionnière dans l’économie urbaine de la fonctionnalité en développant les services Vélib puis Autolib, la dernière mandature a été marquée par une insécurisation des trottoirs parisiens du fait des licences accordées aux entreprises de location de vélo et de trottinettes électriques en « free floating » qui, paradoxe ironique, entravent la mobilité des habitants de la capitale, en particulier celle des personnes les plus vulnérables (enfants, personnes âgées, handicapés). Paris, qui se voulait la « vitrine mondiale de la mobilité douce en libre-service », a transformé en quelques mois ses trottoirs en zones de non-droit. La réaction de la municipalité, aussi bien pour rétablir les services de libre-service à stations fixes, que pour commencer à réguler l’insécurité des trottoirs, a été trop lente, face aux entraves à la mobilité des habitants et aux risques sanitaires encourus.
Axe n° 2 :
Non seulement Paris a innové en matière de reconnaissance du lien entre santé et environnement en créant le Service parisien de santé environnementale en 2016, mais Paris fait également figure de pionnière dans la reconnaissance des inégalités sociales en matière d’accès à la qualité de l’environnement. Ainsi, en novembre 2017, la capitale a adopté le premier Plan santé-environnement de son histoire, dans lequel figure une définition opérationnelle des inégalités environnementales : « une inégalité environnementale, qui peut être la simple observation empirique d’une disparité, se traduit par une injustice sociale dès lors que le bien-être et les capacités d’une population particulière sont affectés de manière disproportionnée par ses conditions environnementales d’existence, même si cette situation résulte d’un choix ».
Cette reconnaissance est d’autant plus importante que la répartition inégale des nuisances telles que les déchets, le bruit ou les pollutions ou l’accès inégal aux aménités telles que les espaces verts, sont particulièrement marqués dans la capitale. Pour ne prendre que l’exemple de la qualité de l’air, la Mairie de Paris a elle-même publié sur son site web une série de cartes en septembre 2019 illustrant et documentant la pollution atmosphérique dans la capitale, ou plutôt les pollutions atmosphériques auxquelles est soumise la population parisienne (dioxyde d’azote, ozone, particules fines, benzène). Parmi toutes les cartes proposées, celle des « hotspots » ou points noirs de pollution aux particules fines PM 2,5 – lieux dans lesquels la population parisienne a été exposée entre septembre 2018 et septembre 2019 à des niveaux de PM 2,5 dépassant la moyenne de la ville (elle-même au-dessus des normes de l’OMS) au moins 60% du temps – est particulièrement frappante. Il apparaît en effet que les populations les plus exposées à la pollution urbaine aux PM 2,5 vivent en majorité dans des territoires vulnérables, de classes moyennes ou de mixité sociale (notamment le long du périphérique), tandis que les territoires parisiens les plus aisés de l’Ouest et du Sud sont largement épargnés par cette pollution.
Et pourtant, au moment de dresser un bilan de l’action municipale en matière environnementale et de tracer des perspectives pour l’avenir en septembre 2019, l’adjoint à l’urbanisme à la Maire de Paris n’articule pas sa vision écologique avec une réflexion sur la justice sociale et les moyens d’atténuer les inégalités environnementales ou territoriales dans la capitale[9]. Les enjeux de la justice et des inégalités environnementales permettent précisément de dépasser la juxtaposition d’une « ville solidaire » et d’une « ville écologique » pour penser et mettre en œuvre leur articulation.
Pour autant, la capitale a beaucoup progressé dans l’accompagnement social de la mobilité écologique en développant une gamme unique en France d’une trentaine d’aides financières à destination des particuliers et des professionnels[10].
Axe n°3 :
C’est notamment sur l’amélioration de l’alimentation dans la restauration collective que Paris a le plus avancé en matière de qualité de vie de ses habitants, le Plan alimentation durable, adopté au Conseil de Paris le 1er juillet 2015, prévoyant de porter à 50% la part de l’alimentation durable dans la restauration collective municipale d’ici à fin 2020 (la part de l’alimentation durable dans la restauration collective est passée de 7% en 2008 à 42,5 % en 2017, dont 36,5 % d’alimentation biologique).
En revanche Paris ne s’est pas engagée à ce jour dans la mise en œuvre d’un indicateur de bien-être de ses habitants qui puisse informer les politiques municipales et servir à les évaluer dans le temps.
Axe n°4 :
Le nouveau Plan Climat Air Energie territoriale (PCAET) a été adopté à l’unanimité le 22 mars 2018 par le conseil de Paris. La capitale vise désormais l’objectif de réduire de 50% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 (en portant notamment à 45% la part d’énergies renouvelables dans son mix énergétique), pour devenir en 2050 neutre en carbone (et alimentée à 100% par les énergies renouvelables).
Ces efforts sont nécessaires car Paris est triplement en retard en matière de politique climatique, avec des émissions en baisse de seulement 12% en 2016 par rapport à 1990. En retard par rapport à ses propres objectifs (la ville a prévu de réduire ses émissions de 25% en 2020), en retard par rapport aux villes comparables (30 villes du réseau C40 ont réduit leurs émissions de 22% sur la même période, avec des réductions allant de 30% pour Londres ou Berlin, jusqu’à 60% pour Copenhague) et en retard par rapport à la maîtrise de son empreinte carbone au-delà de ses frontières municipales (les émissions de consommation de Paris pourraient, selon le C40, être trois fois plus importantes que ses émissions de production[11]). L’organisation des Jeux Olympiques en 2024 est une mauvaise nouvelle de ce point de vue : les Jeux de Rio de 2016 ont conduit à des émissions de 2000 kilotonnes de gaz à effet de serre pour le transport des équipes et de 2500 kilotonnes de gaz à effet de serre pour celui des spectateurs, ce qui équivaudrait à une hausse d’environ 20% des émissions annuelles de Paris en seulement deux semaines de temps.
LANGOUËT
Population | 600 |
Superficie | 7 km² |
Région | Bretagne |
Budget municipal | 420 000 euros |
Couleur politique (alliés) | Ecologiste (partis de gauche) |
Durée du mandat de la majorité actuelle | 20 ans |
Langouët est un village de 600 habitants qui est devenu en l’espace de deux décennies un laboratoire d’innovations sociales-écologiques sur des questions majeures pour la population française comme le logement social, l’agriculture et l’alimentation, le financement écologique participatif ou la régulation des substances toxiques[12].
Axe n°2 :
Alors que les espaces ruraux français sont, dans leur majorité, soumis à une désertification humaine synonyme de désaffiliation sociale, Langouët a fait de son café associatif (La Cambuse) le lieu clé de la socialisation du village orienté vers la transition sociale-écologique et plus particulièrement l’économie sociale et solidaire à vocation écologique.
Cette politique de sociabilité a notamment permis de développer rapidement sur un mode participatif des projets à vocation sociale-écologique dont le coût financier aurait été difficilement surmontable pour une commune de 600 habitants. En 2016, Langouët a ainsi réussi à lever en quelques semaines 65 000 € (soit 15% de son budget annuel) en ayant recours à la plateforme Collecticity (tableau 1).
Tableau 1. Caractéristiques de deux projets participatifs de transition sociale-écologique de la commune de Langouët
Montant collecté par rapport à l’objectif | Montant collecté en euros | Nombre d’investisseurs | Durée du prêt | Taux de retour sur investissement offert | |
Urbanisme rural et économie circulaire (2016) | 100% | 40 000 € | 37 | 72 mois | 2 % |
Permaculture et autonomie alimentaire pour tous (2016) | 100% | 25 000 € | 42 | 72 mois | 1.8 % |
Source : Collecticity.
Ce financement participatif a pour objectif de soutenir des projets qui ont eux-mêmes vocation à initier de nouvelles pratiques écologiques et sociales, en créant une connaissance commune visant à initier et à ancrer les meilleures pratiques d’écologie du quotidien parmi les habitants et un effet de démonstration pour les visiteurs nationaux et internationaux, de plus en plus nombreux dans la commune.
Axe n°3 :
Langouët fait également figure de laboratoire en matière de qualité de vie, et notamment de qualité de vie des enfants, avec une école maternelle qui fut la première à devenir 100% bio et locale au début des années 2000. Cette démarche s’est depuis répandue dans toutes les villes de France à des degrés divers (on l’a vu avec Paris notamment). La commune a plus largement engagé une politique d’indépendance alimentaire (donc de résilience sociale-écologique) en développant des « maisons-potagers ».
De même, la décision prise d’interdire l’utilisation des pesticides à moins de 150 mètres des habitations et des locaux professionnels, qui pose la question des compétences sociales-écologiques des Maires, a conduit à une émulation positive : plusieurs dizaines de communes rurales, suivies elles-mêmes par Paris, Nantes et Grenoble (également étudiées dans cette note), ont adopté un arrêté municipal similaire. Le tribunal administratif de Rouen a annulé cette décision le 25 octobre 2019 sur la base de compétences municipales insuffisantes, mais c’est un pouvoir d’interpellation écologique qui a été utilisé par le Maire de Langouët et il est tout à fait effectif : un débat de plus en plus précis et transparent est à présent engagé en France sur la question de la dangerosité pour la santé humaine d’un certain nombre de pratiques agricoles et sur l’insuffisance des actions gouvernementales en la matière. Cette compétence d’interpellation écologique ou de lanceur d’alerte écologique des villes, et notamment des communes rurales, se révèle de première importance et fait écho au devoir d’information et d’alerte sanitaire des municipalités françaises.
Axe n°4 :
Langouët a développé des projets d’urbanisme écologiques et sociaux en matière scolaire et de logement. Ainsi, l’école maternelle de la commune, construite intégralement en bois, est équipée de panneaux photovoltaïques et d’un système de récupération des eaux de pluie servant aux sanitaires.
Le programme engagé en 2016 à la suite de la campagne de financement participatif vise quant à lui à développer des logements sociaux passifs sur le plan énergétique et 100% circulaires. Un projet de démonstration récemment achevé, appelé BIOCLIM HOUSE, a mis en fonction des logements « triple zéro » (une consommation nulle d’énergie, des émissions de GES nulles et une production nulle de déchets).
La génération d’énergie de la ville provient d’une centrale solaire, la commune étant de fait alimentée à 100% par les énergies renouvelables, et les bâtiments publics à énergie positive (la production d’électricité étant supérieure à la consommation).
NANTES
Population | 310 000 |
Superficie | 65 km² |
Région | Pays de la Loire |
Budget municipal | 480 millions d’euros |
Couleur politique (alliés) | Parti socialiste (écologistes et gauche) |
Durée du mandat de la majorité actuelle | 6 ans |
Sixième ville de France par la taille de sa population, Nantes s’est engagée depuis 2014 dans un politique de transition assumée, la Maire de la ville faisant part de son ambition de porter un « nouveau contrat social et écologique ». Celui-ci se développe dans différentes directions, dont les plus marquantes sont la tarification solidaire des transports en commun, de nouvelles règles écologiques appliquées à l’urbanisme et le développement des réseaux de chaleur.
Axe n°1 :
La politique de mobilité mise en œuvre par l’actuelle équipe municipale combine le développement des transports collectifs et leur accessibilité sociale. Ainsi 9 nouvelles lignes de bus ont été créées, qui donnent satisfaction aux usagers[13]. Tandis que depuis le 1er janvier 2016, Nantes Métropole a mis en place une tarification solidaire sur le réseau des Transports en commun de l’agglomération nantaise (TAN). Les habitants dont les revenus sont faibles (sur la base de leur quotient familial) se voient accordés des réductions importantes de leur abonnement de transport quel que soit leur lieu d’habitation (Tableau 2).
Tableau 2. La tarification solidaire dans les transports en commun de Nantes
Quotient familial | Revenu correspondant pour une personne seule | Revenu correspondant pour une famille avec enfants | Réduction consentie |
0-350 | 0-125 | 0-450 | 100% |
351-500 | 125-350 | 450-900 | -70% à -80% |
501-600 | 350-700 | 900-1800 | -50% à -70% |
Source : Nantes Métropole et calculs de l’auteur.
De même, Nantes continue d’investir dans son réseau de près de 600 km d’aménagements cyclables à l’aide de deux plans vélos successifs.
Même si la ville n’a pas adopté le principe d’une zone à faible émission permettant de programmer l’interdiction des véhicules à énergie fossile, elle a innové dans la protection de la santé des habitants en direction des enfants. La lutte contre la pollution de l’air s’est ainsi accompagnée de la création, encore très rare en France, de quatre « rues scolaires » pérennes, c’est-à-dire de voies dans lesquelles, du fait de la présence d’une école, l’accès est interdit aux véhicules motorisés aux heures d’entrées et de sorties des établissements scolaires.
Axe n°2 :
La ville de Nantes se caractérise par le développement de jardins collectifs (jardins partagés ou familiaux), couvrant un total de 24 hectares qui offrent des bénéfices sociaux et environnementaux aujourd’hui bien documentés.
On sait notamment que ces espaces verts partagés en milieu urbain importent du point de vue de la préservation de la biodiversité, du développement des liens sociaux (parfois de l’insertion sociale quand ils sont mobilisés par des programmes de réinsertion professionnelle), d’adaptation au changement climatique ou encore de sensibilisation et d’éducation écologiques. Il y a de ce point de vue un déséquilibre au sein des 40 jardins collectifs nantais, 25 d’entre eux étant des jardins familiaux et seulement 15 des jardins partagés.
Axe n°3 :
Le nouveau plan local d’urbanisme métropolitain (PLUm) qui est entré en vigueur en 2019 vise à concilier densité humaine et biodiversité naturelle : d’un côté, la ville s’efforce de contrer l’étalement urbain en favorisant les constructions à l’intérieur du périphérique, dans les centres-villes et le long des axes de transports publics afin de limiter la mobilité pendulaire domicile-travail, particulièrement forte et écologiquement nocive en France ; de l’autre, la ville a introduit un « coefficient de nature en ville » à respecter dans chaque projet urbain qui devrait permettre de préserver 4000 hectares d’espaces boisés classés, 10 000 hectares de zones humides, 10 000 hectares d’espaces paysages et 15 000 hectares de zones agricoles.
Axe n°4 :
L’extension significative des réseaux de chaleur de la ville (qui se sont agrandis de 60km ces dernières années), avec le lancement du réseau Bellevue Nantes – Saint Herblain et la prolongation et la rénovation du réseau Centre Loire, permet à la fois des bénéfices environnementaux et sociaux. Ces réseaux sont en effet alimentés par des énergies renouvelables et ils permettent, en stabilisant les prix de l’énergie, de lutter contre la précarité énergétique du fait du logement, qui touche en France près 3 millions de ménages, soit environ 7 millions de personnes, soit encore près de 12% de la population.
GRANDE-SYNTHE
Population | 25 000 |
Superficie | 22 km² |
Région | Hauts-de-France |
Budget municipal | 87 millions d’euros |
Couleur politique (alliés) | Ecologiste (partis de gauche) |
Durée du mandat de la majorité actuelle | 19 ans (jusqu’en oct. 2019) |
Depuis 2001, la ville de Grande-Synthe, deuxième plus grande ville de France dirigée par un Maire écologiste jusqu’en octobre 2019, développe un projet « d’écologie sociale » dont la particularité est de s’inscrire dans un territoire qui a été frappé de plein fouet par la désindustrialisation et qui doit inventer un nouveau modèle urbain aussi bien par ambition que par nécessité.
Axe n°2 :
Une des initiatives les plus marquantes de la municipalité depuis deux décennies en matière de transition sociale-écologique est le lancement du revenu de transition écologique, inspiré par les travaux de l’économiste et philosophe suisse Sophie Swaton (Université de Lausanne). Le 30 avril 2019, la ville a signé un partenariat avec la Fondation ZOEIN au terme duquel celle-ci verse à la ville une subvention de 30 000 euros visant à amorcer le financement du revenu de transition écologique.
Celui-ci est versé à des habitants exerçant une activité rémunérée ou bénévole reconnue comme écologique et sociale (voir encadré 1) par une Coopérative de transition écologique (CTE), qui prend la forme juridique d’une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Ce revenu peut prendre différentes formes : soutien à la formation, complément de salaire, financement d’études.
Encadré 1. Exemples d’activité éligible au revenu de transition écologique
– Maraîcher convertissant son exploitation en agriculture biologique ; – Boulanger adoptant des normes environnementales et sociales ; – Créateur d’une entreprise de nettoyage engagé dans la fabrication de produits écologiques ; – Créateur d’une entreprise de réparation de meubles ; |
Source : Mairie de Grande-Synthe
Ce revenu de transition écologique fait écho à une initiative sociale de René Carême, maire de la ville de 1971 à 1992. Au début des années 1980, René Carême avait en effet lancé un Minimum social garanti (MSG), une des sources d’inspiration du gouvernement Rocard quand celui-ci décidera de créer en 1988 le Revenu Minimum d’Insertion (RMI). Comme pour mieux souligner la continuité de ces deux initiatives sociales prises dans des contextes historiques différents, les deux allocations, le RTE et le MSG, sont cumulables.
Axe n°3 :
Grande-Synthe fut en 2011 la première ville française de plus de 20 000 habitants à atteindre l’objectif de 100% d’alimentation biologique dans ses cantines scolaires ; elle a également développé, comme ailleurs en France, des fermes urbaines.
La particularité de la ville du point de vue de la qualité de vie est la densité des espaces verts, avec une moyenne de 127 m2 d’espace vert par habitant (Paris compte environ 10 m2 d’espace vert par habitant, Nantes environ 35 m2), ce qui permet une action à la fois sanitaire (les espaces verts étant favorables à la santé physique et mentale des habitants) et environnementale, dont la préservation de la biodiversité, pour laquelle la ville a été distinguée en 2010.
Axe n°4 :
La ville de Grande-Synthe a été pionnière en France dans son activisme juridique contre l’Etat pour inaction climatique. Un recours gracieux est ainsi déposé par la municipalité mi-novembre 2018 pour « inaction en matière de lutte contre le changement climatique ». En janvier 2019, devant l’absence de réponse de l’Etat, une plainte est déposée pour le même motif au Conseil d’État.
Cette action a préfiguré le lancement en décembre 2018 de « l’Affaire du Siècle », recours contre l’Etat français portée par 4 organisations de protection de l’environnement et de solidarité internationale (Notre Affaire à Tous, la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France et Oxfam France). La pétition de soutien à l’Affaire du Siècle a recueilli plus d’un million de signatures en moins de 48h, puis franchi deux millions de signatures en 3 semaines devenant la mobilisation en ligne la plus massive de l’histoire de France. De nouveaux recours ont été depuis lors lancés[14].
GRENOBLE
Population | 160 000 |
Superficie | 18 km² |
Région | Auvergne-Rhône-Alpes |
Budget municipal | 320 millions d’euros |
Couleur politique (alliés) | Ecologiste (partis de gauche) |
Durée du mandat de la majorité actuelle | 6 ans |
Grenoble est une ville singulière du point de vue de la transition sociale-écologique pour deux raisons, l’une historique et l’autre plus conjoncturelle. A partir des années 1960, on commence à évoquer l’idée d’un « laboratoire » grenoblois pour désigner l’invention dans la ville à la fois de nouvelles démarches démocratiques locales et de nouvelles approches de l’urbanisme. De manière plus conjoncturelle, l’élection en 2014 du premier Maire écologiste de l’histoire de la ville, soutenu par une large coalition de gauche, a fait naître l’espoir de faire de Grenoble non seulement un centre d’innovation technologique, mais aussi d’innovation sociale-écologique. En dépit d’avancées indéniables dans la transition écologique, force est de constater que Grenoble n’est pas devenu le laboratoire social-écologique espéré[15].
Axe n°1 :
C’est notamment sur l’amélioration de la qualité de l’air que la nouvelle municipalité était attendue, alors que celle-ci a stagné à des niveaux préoccupants entre 2004 et 2014 et que Grenoble excède par exemple les seuils sanitaires définis par l’Organisation mondiale de la santé pour les particules fines PM 10 et PM 2,5 (ce qui est le cas de 17 des 20 plus grandes métropoles françaises). Sur ce plan, la seule innovation véritable concerne l’adoption de la circulation différenciée lors des pics de pollution en 2016, une première en France.
La Mairie a certes annoncé un plan pour diviser par deux les émissions de particules fines, généralisé la vitesse à 30km/h sur tout le territoire métropolitain et créé puis étendu une zone à trafic limité pour les poids-lourds et les véhicules utilitaires, mais aucune de ces mesures n’est particulièrement innovante dans le paysage actuel des métropoles françaises ou européennes (en 2018 on compte 227 de ces zones dans l’Union européenne et 14 territoires français se sont engagés dans cette démarche, initiée par l’Etat, en même temps que Grenoble). En outre, les véhicules particuliers ne sont pour l’heure pas inclus dans ce système (mais ils pourront bénéficier d’une aide financière pour l’acquisition de véhicules particuliers moins polluants, mise en œuvre à partir de janvier 2020 tandis qu’un programme d’accompagnement à la mobilité écologique, lancé en 2017, connait un taux de succès de l’ordre de 20% la première année d’existence). Enfin, la question de la règlementation stricte du chauffage au bois individuel non performant, responsable de la moitié de la pollution de la ville aux PM 10, se pose, au-delà des aides à la reconversion (comme la Prime air bois en vigueur).
Sur l’enjeu stratégique des alternatives aux véhicules thermiques, il semble que trop peu de progrès aient été accomplis. Selon les associations d’usagers, le réseau de tram et de bus, qui a été prolongé par l’actuelle municipalité et augmenté de lignes de bus Chrono, est vieillissant et en partie saturé[16]. De même, moins de 10% du programme d’extension des pistes cyclables de la ville annoncé pour 2022 auraient été pour l’heure réalisés[17]. Les systèmes MétroVélo et sa tarification solidaire ont été mis en place avant 2014 (même si le prix de l’abonnement MétroVélo a été abaissé de 60% pour les personnes socialement précaires depuis 2014). De même, le chiffre souvent mis en avant de 15% d’utilisateurs de vélos est tiré d’une enquête de l’INSEE parue en 2017 sur la base de données datant de 2015[18].Il n’en demeure pas moins que Grenoble figure en tête du classement publié en février 2020 par la Fédération française des Usagers de la Bicyclette pour les villes de 100 000 à 200 000 habitants.
Il existe un moyen objectif de prendre la mesure des progrès de Grenoble dans la lutte contre la pollution de l’air : l’indice Atmo. Celui-ci indique que la qualité de l’air s’est légèrement dégradée dans la ville entre 2014 et 2019 (voir tableau 3).
Tableau 3. La qualité de l’air à Grenoble, 2014-2019
Qualité de l’air | 2014 | 2019 | |||
Nombre de jours | Pourcentage de jours dans l’année | Nombre de jours | Pourcentage de jours dans l’année | ||
Bonne à très bonne | 249 | 68%* | 243 | 67%* | |
Moyenne à médiocre | 107 | 29% | 119 | 33% | |
Mauvaise à très mauvaise | 9 | 2% | 3 | 1% |
Source : ATMO, indice régional pour l’agglomération grenobloise.
Note : * En moyenne, cet indicateur était de 63% pour la période 2009-2014 et de 61% pour la période 2015-2019. Il était exactement de 67% en 2004.
Axe n°2 :
Grenoble s’est engagée dans les dispositifs existants de tarification solidaire de l’électricité et de l’eau. La loi dite « Brottes »[19] prévoit ainsi la possibilité d’expérimenter une tarification solidaire de l’eau et de l’assainissement. En 2017, 9455 ménages grenoblois ont reçu en moyenne un chèque de 53 € soit un coût total de 500 000 € dont 25% est financé par le budget de la métropole, une aide étant attribuée quand la facture d’eau de référence des ménages dépasse 2,5 % des revenus (en 2018, seuls 9132 ménages étaient couverts par ce dispositif, expérimentés par 25 collectivités territoriales en France depuis 2017).
Axe n°3 :
Une des mesures les plus marquantes adoptées dès la première année d’existence de l’équipe municipale élue en 2014 a consisté a retiré 325 panneaux publicitaires pour aboutir à supprimer la publicité dans les rues de la ville, mesure contestée et combattue, mais qui a indéniablement amélioré la qualité de vie des habitants et qui mériterait d’être reprise dans d’autres villes françaises. La publicité urbaine est en effet à la fois source de pollution visuelle (parfois de pollution lumineuse) et de consommation d’espace public rare et précieux.
Il faut également relever, au chapitre de l’amélioration de la qualité de vie, l’augmentation à 50% de l’alimentation bio et locale pour les cantines scolaires, l’instauration d’un à deux repas végétariens par semaine et la mise en place d’une ferme urbaine 100% bio qui alimente la restauration collective.
Enfin, dans la perspective d’une mesure, d’un suivi et d’une amélioration du bien-être des habitants, la Ville a accueilli en juin 2018 le Forum International pour le Bien Vivre, mais la municipalité n’en a pas tiré de mesure tangible à ce jour.
Axe n°4 :
Grenoble a annoncé un plan ambitieux pour diviser par quatre ses émissions de CO2 d’ici 2030 (soit nettement plus que le plan voté par le Conseil de Paris en 2018) qui s’appuie notamment sur un effort soutenu de rénovation thermique des logements. Il faudra des mesures concrètes d’une ambition équivalente pour réduire les émissions routières, sans quoi les instruments risquent de ne pas être à la hauteur des objectifs. Certes, la Ville a prévu de couvrir la consommation en électricité des ménages de la ville avec des sources 0% fossile et 0% nucléaire d’ici à 2022 mais l’électricité consommée par les particuliers n’est pas en France le problème majeur s’agissant des sources d’émissions de gaz à effet de serre : c’est encore et toujours les émissions routières qui sont le nœud du problème.
- Trois recommandations et une mise en garde pour l’avenir de la transition sociale-écologique urbaine en France
Cette étude vise à identifier des mesures significatives mises en œuvre par cinq municipalités françaises en matière de transition sociale-écologique pour illustrer la manière dont toutes les villes de France, quelle que soit leur taille, peuvent s’engager activement dans cette voie. Il ne s’agit pas ici d’établir un palmarès des villes étudiées, notamment parce qu’elles ne sont pas comparables et parce que l’émulation et la coopération importent bien plus en la matière que la comparaison ou la concurrence : beaucoup d’initiatives explorées par des municipalités pionnières sont ensuite reprises (et parfois améliorées) par d’autres.
Sans compter que l’industrie du classement des villes françaises et européennes sur des critères partiels et souvent douteux participe du maintien en vigueur d’indicateurs dépassés au 21e siècle comme « l’attractivité », qui vise à évaluer une ville à partir des préférences de celles et ceux qui n’y vivent pas. On préfère donc formuler en guise de conclusion trois recommandations et une mise en garde pour l’avenir de la transition sociale-écologique urbaine en France.
- Rendre compatible transition écologique et justice sociale
Une des questions légitimes que soulève l’approche sociale-écologique est celle de l’arbitrage entre les questions sociales et les enjeux écologiques. Les politiques de transition écologique sont-elles conduites au détriment de la justice sociale (comme lorsqu’une fiscalité carbone est mise en œuvre sans compensation sociale ou qu’un espace urbain est interdit aux véhicules les plus polluants sans aide à la reconversion) ? Observe-t-on au contraire des synergies sociales-écologiques, les progrès environnementaux se doublant de progrès sociaux (comme dans le cas de l’isolation thermique d’un logement, qui réduit les émissions de gaz à effet de serre tout en diminuant la précarité énergétique) ? L’étude des cinq villes retenues, qui représentent bien entendu un petit échantillon, tend à conclure à la compatibilité de la transition écologique et de la justice sociale.
- Accélérer les innovations sociales-écologiques
Il existe a priori un arbitrage entre la taille des villes et leur capacité d’innovation sociale-écologique : plus la ville est petite, plus il est aisé de lancer des expérimentations à visage humain, dont l’enjeu sera ensuite, précisément, la transposition à une échelle plus large. Plus la ville est grande, plus cette capacité d’innovation sociale-écologique est limitée par la complexité et la fragmentation de la gouvernance urbaine. Cet arbitrage taille-innovation n’apparaît pas, au vu du petit panel de villes retenues, comme une loi d’airain. Qui plus est, non seulement Paris a été capable d’innover mais de diffuser ses innovations à l’échelle européenne via ses recours en justice en droit européen sur la question de la pollution de l’air qui ont abouti à poser le principe de la représentativité des villes, et non plus seulement des Etats-Nations, vis-à-vis du juge européen. Cette capacité d’innovation sociale-écologique des espaces urbains, y compris de taille modeste, est capitale, comme le montre l’exemple de Langouët sur la question des pesticides et de Grande-Synthe sur la question des recours pour inaction climatique.
- Développer un tableau de bord de la transition sociale-écologique
Il importe de développer pour les mandatures qui commenceront en mars 2020 de manière systématique une boîte à outils et un tableau de bord de la transition sociale-écologique permettant de la piloter, de la mener à bien et de l’évaluer. Dans le tableau de bord, on peut imaginer des indicateurs de bien-être élaborés par des conférences citoyennes visant à sortir des logiques d’attractivité économique et de discipline financière pour donner la priorité au bien-être vécu des habitant(e)s ; des indicateurs de santé environnementale en particulier pour les enfants ; des indicateurs de justice environnementale, qu’il s’agisse de l’exposition ou de la sensibilité des populations urbaines aux nuisances, pollutions et risques ou d’accès aux aménités dont l’énergie, l’eau, les espaces verts, l’alimentation de qualité, etc.
- Une mise en garde: Décélérer la transition numérique
Enfin, la question de l’incompatibilité croissante entre la transition numérique d’une part et la transition sociale-écologique de l’autre se pose. Il y a là deux enjeux majeurs: la soumission des villes et de leurs habitant(e)s à ce qu’il convient d’appeler les nuisances numériques aussi bien sociales qu’écologiques, c’est à dire les effets indésirables des entreprises numériques sur les espaces urbains en matière de disponibilité et de prix des logement, de pollution, de déchets, de congestion, de mobilité ; d’autre part, la transformation numérique des villes elles-mêmes au motif des vertus sociales et écologiques supposées de la « smart city ». En réalité, cette transformation induit des problèmes considérables en matière de libertés civiles qui contreviennent à la vocation d’émancipation humaine des villes, tandis que les bienfaits écologiques de la transition numérique urbaine sont douteux, notamment parce que nombre de solutions écologiques sont en réalité low tech. A quelques rares exceptions près et sur certains sujets seulement (comme le logement), les villes françaises n’en sont, sur ces enjeux, qu’au stade de la prise de conscience.
[1] Cette étude est une version légèrement amendée d’une note réalisée pour la Friedrich-Ebert-Stiftung. Elle s’appuie sur une série de travaux personnels ou en collaboration réalisés depuis une dizaine d’années, dont on trouvera une synthèse dans É. Laurent, The New Environmental Economics – Sustainability and Justice, Polity Press 2020 et É. Laurent, « Soutenabilité des systèmes urbains et inégalités environnementales : le cas français », Revue de l’OFCE n°165, 2020. En plus des informations contenues sur les sites web et documents officiels des villes étudiées, les rapports du WWF, de Greenpeace et du RAC consacrés à la pollution de l’air et au changement climatique dans les villes françaises ont été pour l’auteur particulièrement éclairants.
[2] Pour prendre la mesure de la dégradation de la Biosphère, soubassement du bien-être humain, on pourra se référer aux rapports récents du Panel des Nations Unies sur les ressources (2017), du GIEC sur le dérèglement du climat (2018) et de l’IPBES sur la destruction de la biodiversité et l’altération des écosystèmes (2019).
[3] D’autres choix étaient possibles pour les villes sociales-démocrates, par exemple Strasbourg.
[4] A nouveau, voir E. Laurent, Soutenabilité des systèmes urbains et inégalités environnementales : le cas français, Revue de l’OFCE, 2020
[5] Les aménités environnementales peuvent être définies comme des avantages ou des agréments tirés des ressources naturelles tels que la beauté (pour les paysages) ou la qualité de l’air (dans le cas des espaces verts).
[6] On mélange ici de manière trop imprécise les compétences du Maire, du Conseil municipal et des intercommunalités. De même, on ne précise pas le champ de compétences des métropoles.
[9]Le Nouvel urbanisme parisien, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/816/original/Terra-Nova_Le-nouvel-urbanisme-parisien_JL-Missika_180919.pdf?1568746400
[10] Voir Rapport WWF.
[11] https://www.c40.org/researches/consumption-based-emissions
[12] On laisse de côté l’Axe 1, la question de la mobilité n’étant pas un enjeu aussi central que dans des communes plus étendues, bien que certaines initiatives d’autopartage aient récemment vu le jour.
[13] Voir les témoignages des associations nantaises dans le Rapport Greenpeace sur la pollution de l’air.
[14] Voir https://notreaffaireatous.org/
[15] Un laboratoire s’entend comme un lieu d’expérimentation et d’innovation.
[16] Voir Rapport Greenpeace 2018, témoignages des associations d’usagers. https://www.greenpeace.fr/panorama-mobilite-durable-2018-grenoble/#commun
[17] Source : https://www.greenpeace.fr/panorama-mobilite-durable-2018-grenoble/#velo
[18] « Aller travailler à vélo, une pratique très urbaine », INSEE Flash, 2017 https://www.insee.fr/fr/statistiques/2547163
[19] LOI n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes.