Par Pierre CAYE, philosophe et directeur de recherche au CNRS
Il en est de l’économie comme de la politique : l’idéologie a pris le pas sur les faits. Mais l’idéologie revêt ici d’autres noms que ceux que les luttes politiques des XIXe et XXe siècles ont rendu célèbres : les termes de liberté, d’égalité, de partage ou d’ordre ont laissé place à d’autres termes qui ne les recoupent pas nécessairement : innovation, disruption, destruction créatrice. Ce hiatus est l’une des causes sans aucun doute de la crise actuelle de nos démocraties. Il reste qu’aucun système productif, aujourd’hui comme hier, ne peut reposer sur de tels mots d’ordre. Il y a quelque chose d’héraclitéen dans l’idéologie de la croissance, comme si un nouveau soleil, une nouvelle planète, se levait tous les jours[1], comme si la société et ses moyens de productions étaient en mesure de se renouveler en permanence, ex nihilo, en une spontanéité infinie, sans qu’il soit besoin de les réparer et de les entretenir. Il n’en est rien évidemment. Tout système productif repose au contraire sur le maintien de ses conditions de possibilité, que celles-ci soient extra-économiques aussi bien qu’intra-économiques. Conditions de possibilité intra-économiques : les ressources naturelles, la Terre, les infrastructures ; condition extra-économiques : l’éducation la recherche, le droit et la justice sociale. Or, on assiste aujourd’hui à une exacerbation de ce que l’écosocialisme appelle la seconde contradiction du capitalisme[2] : contradiction non pas entre les forces productives et les rapports de production, mais de façon plus cruciale entre ces mêmes forces productives et les conditions de la production. Plus les forces productives croissent, plus les conditions de la production s’épuisent au risque d’épuiser à leur tour les forces productives : moins de ressources, une terre moins féconde, des conditions climatiques de moins en moins propices aux activités humaines. Un cercle vicieux commence à se mettre en place. La théorie de la croissance endogène, le dernier avatar de la destruction créatrice, la version aujourd’hui dominante dans la science économique pour rendre compte de la croissance, consiste à faire dépendre exclusivement les conditions de la croissance de la croissance elle-même et de son effet de ruissellement sur les secteurs extra-économiques, comme si la recherche ou l’éducation n’étaient qu’une affaire de financement, dépourvues de logique propre. Tout doit être mis au service de la croissance, puisque tout est déterminé par la croissance qui apparaît ainsi comme la condition de ses propres conditions. La théorie de la croissance endogène a essentiellement pour but de justifier la marchandisation généralisée de nos sociétés, le fait qu’il n’est aucune de nos activités qui n’ait une valeur marchande et qui ne soit pris dans la circulation monétaire. C’est le coup de génie de la praxéologiqe que Ludwig von Mises définit dans son grand traité à la fois de morale et d’économie L’action humaine (1949). L’économie néoclassique distinguait les actes proprement patrimoniaux consistant à gérer ses biens, actes qui relèvent de la science économique et de sa formalité mathématique, des nombreux autres domaines de la vie humaine étrangers à la gestion patrimoniale et à la vie économique. La praxéologie efface cette frontière : pour elle, aucun acte de la vie humaine n’a à proprement parler une visée exclusivement économique (dans le monde de Mises la spéculation n’existe pas), mais tous les actes ont des effets économiques, même quand l’objectif financier en est totalement absent. L’économie devient dès lors l’alpha et l’oméga de l’ensemble de la vie sociale. La croissance traduit moins l’expansion de l’activité que sa monétarisation généralisée. Si l’on croît, c’est parce que l’on comptabilise plus de choses et d’activités, et non pas parce qu’il y aurait plus de choses et d’activités. La croissance vit alors de la réduction de la part extra-commerciale de la vie sociale, celle qui n’apparaît dans aucune comptabilité, mais qui en réalité est la condition de tout enrichissement comptable. La richesse est de plus en plus nominale, un simple effet d’écriture comptable.
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Il est un théoricien économique du XIXe siècle, l’un des pères du libéralisme économique pourtant, Jean-Baptiste Say, qui a clairement compris combien l’activité économique reposait entièrement sur des conditions naturelles qui échappent entièrement à sa logique : « Il y a un travail exécuté par le sol, par l’air, par l’eau, par le soleil, auquel l’homme n’a aucune part, et qui pourtant concourt à la création d’un nouveau produit qu’on recueillera au moment de la récolte. C’est ce travail que je nomme le service productif des agents naturels »[3]. Davantage, Say étend le service productif des agents naturels à l’ensemble de la cosmologie et de ses lois physiques : « Cette expression, agents naturels, est prise ici dans un sens fort étendu ; car elle comprend non seulement les corps inanimés dont l’action travaille à créer des valeurs, mais encore les lois du monde physique, comme la gravitation qui fait descendre le poids d’une horloge, le magnétisme qui dirige l’aiguille d’une boussole, l’élasticité de l’acier, la pesanteur de l’atmosphère, la chaleur qui se dégage de la combustion, etc. »[4]. Un tel constat conduit depuis quelques années certains économistes à faire l’évaluation économique des services écosystémiques en comptabilisant les services rendus par la biosphère[5]. Quels que soient les chiffres avancés[6], il apparaît à la lecture de Say que ces services sont inévaluables, car comment évaluer ce qui est la condition même de ce qu’on évalue. Plutôt que d’évaluer la condition par ce qui le conditionne, il serait bien plus conforme aux lois de la raison d’évaluer ce qui est conditionné par ce qui le conditionne, c’est-à-dire d’évaluer notre système économique par sa capacité à enrichir les services biosystémiques et tous les autres services extra-économiques qui le rendent possible, et non pas à les appauvrir. Il apparaît aussi à la lecture de Say que le système productif des êtres humains n’est en réalité que l’épiderme du vivant, sa fleur et sa perfection pourrait-on dire aussi, à condition néanmoins qu’il en respecte les conditions de conservation.
C’est dire que tout système productif repose d’abord sur le maintien et la conservation de ses conditions de possibilité, qu’elles soient naturelles ou humaines. Elles sont le point de départ de toute économie, mais elles doivent en être aussi le point d’arrivée. C’est en quoi la maintenance joue un rôle considérable dans tout système productif.
Il est un domaine où la maintenance s’impose avec évidence : c’est l’agriculture. La conversion agricole vers l’agrobiologie, le retour de l’agriculture à des modes de production organiques, dépendent essentiellement de la restauration des sols et de leur force végétative épuisés par des décennies de surexploitation et de traitement aux engrais de synthèse : ce qui relève donc essentiellement de la maintenance. Si l’on veut préserver le potentiel agricole de notre planète, il faut impérativement sortir du modèle productiviste qui a présidé à la révolution agraire d’après guerre, consistant à cultiver la terre ou à élever le bétail à la chaîne, comme si les moissons ou les bêtes n’étaient que de simples artefacts.
L’activité agricole change de signification : il s’agit moins d’exploiter la terre et d’en tirer le maximum de fruits que de la préparer en amont, en restaurant et en enrichissant sa teneur organique. L’agriculture biologique et organique est une affaire de préparation et de protection plus que d’exploitation et de production. Les procédés culturaux eux-mêmes sont essentiellement au service de cette restauration. La production agricole n’en est que la conséquence.
La terre fait partie des conditions naturelles dont dépendent la vie sur Terre et partant la production humaine. Il va de soi dans ces conditions que la maintenance y joue les premiers rôles. La terre ne se change pas, ne se transforme pas, ne croît pas sous l’effet de l’évolution technique, elle ne fait que se dégrader. C’est en quoi elle n’est pas un capital comme les autres. Les premiers économistes – Quesnay, Ricardo, Say –, avaient raison de distinguer la terre du Capital pour en faire un facteur de production tout à fait spécifique.
Il reste que la maintenance ne se contente pas de caractériser le secteur agricole. Elle occupe aussi une place prépondérante dans le secteur industriel, pourtant plus sensible quant à lui aux transformations techniques et au renouvellement de ses conditions de production. L’agriculture est par essence reproductrice, et c’est pourquoi la restauration des sols, ainsi que la préservation de leurs qualités germinatives et nutritives, y sont fondamentales. Soumettre l’agriculture aux lois de la production plutôt que de la reproduction entraîne nécessairement, à court terme, une baisse tendancielle des profits et, à long terme, une baisse des rendements agricoles. Il n’en va pas de même de l’industrie, plus sensible aux lois de la production et aux dynamiques de l’innovation. Pourtant, la maintenance n’y occupe pas une place moins importante que dans l’agriculture. Elle y est, en réalité, partout présente : dans l’entretien des réseaux, des centrales ou des parcs de machines, dans la gestion des déchets, dans les politiques de réhabilitation urbaine, etc. De la bonne maintenance de nos infrastructures dépendent non seulement la sécurité et la fiabilité de notre organisation productive, ou encore le repos et la mobilité des hommes, mais aussi la réduction des effets nocifs de nos activités sur l’environnement. La maintenance est aujourd’hui d’autant plus nécessaire que les milieux industriels deviennent de plus en plus instables et fragiles non seulement sous l’effet de la complexité et de l’automatisation des équipements employés, mais en raison aussi de l’aggravation des intempéries que favorise le dérèglement climatique. L’impact considérable, sur les sociétés et sur leur confiance en l’avenir, des catastrophes (effondrements de pont, ruptures de digue ou de barrage, accidents nucléaires, etc.) et des grandes pannes, en particulier électriques, montre à quel point il importe de prendre soin des infrastructures industrielles comme nous devons prendre soin des sols. Les infrastructures sont à l’industrie ce que la terre est à la production agricole. A cette différence près, que le rapport de la condition de production à la production est sans doute plus lointain et différé encore. Les infrastructures coûtent, et on n’en voit guère le profit direct. Les investissements sont extrêmement lourds et leur amortissement long. Les infrastructures, qui ont joué, tout au long des xiXe et XXe siècles, un rôle fondamental dans la constitution des États industriels et dans la justification de leur légitimité, apparaissent, depuis une ou deux générations, de plus en plus négligées, sous l’effet sans aucun doute des modes de gestion court-termistes du capital, que privilégie la gouvernance néolibérale. Un plan énergétique, comme celui que prépare le gouvernement sur la base du rapport de RTE Futurs énergétique 2050 se projette sur 30 ans voire plus. Qui aujourd’hui dans la logique libérale est capable de prévoir à si long terme ? On ne peut qu’approuver le président Biden d’organiser son plan de relance autour des infrastructures que les États-Unis avaient depuis trop longtemps sacrifiées, et de consacrer plus de 500 milliards de $ à la réparation des routes, des ponts, des chemins de fer, et des réseaux électriques.
La négligence habituelle à l’égard des infrastructures industrielles et de leur maintenance s’explique par deux illusions dont sont victimes leurs gestionnaires : 1) l’illusion que les infrastructures industrielles constitueraient des automates stables et parfaitement huilés ; 2) l’illusion que seuls les flux sont source de valeur et que les infrastructures n’ont de valeur qu’autant qu’elles conditionnent la possibilité de ces flux. Il est à noter que la maintenance agricole est beaucoup moins exposée à ces deux illusions, parce que la terre n’est pas (encore) traitée comme un automate productif (même si l’agriculture industrielle se développe dans cette direction à l’exemple des fermes pilotes aux Pays-Bas, de plus en plus automatisées), et que la valeur du foncier agricole ne s’érode pas à mesure que l’on s’en sert, au contraire du capital fixe des infrastructures industrielles.
Il faut faire durer les infrastructures, et à cette fin les entretenir avec soin, et non réduire leur coût de maintenance pour les amortir plus rapidement : c’est un mauvais calcul qui se paie par leur usure accélérée, voire des accidents majeurs aux effets souvent inestimables. L’infrastructure est dans le dispositif industriel le domaine où la maintenance s’impose comme une urgente nécessité.
Plus paradoxalement, réclament elles aussi une maintenance approfondie les nouvelles industries technologiques, et en particulier l’informatique, qui pourtant évoluent dans une ambiance d’obsolescence spontanée et de renouvellement technique accéléré, portant haut les valeurs de l’innovation et de sa disruption. En réalité, il n’est guère d’industrie qui réclame plus de maintenance que les NTIC. Le système internet, rapidement mis en place sans planification préalable, est devenu trop complexe pour qu’on puisse, à chaque innovation majeure, le remplacer d’un coup, de sorte qu’il se présente bien plutôt comme un échafaudage de générations différentes, qui appelle tout un travail de maintenance afin d’en assurer la compatibilité et la coordination. Ainsi, il n’est guère d’industrie dont la dette technologique à l’égard du passé soit aussi élevée. Dans la plupart des grands projets de logiciel, la maintenance représente la phase la plus longue et la plus coûteuse du développement. On estime ainsi que la seule maintenance logicielle, sans compter la maintenance « matérielle » des machines, constitue jusqu’à 60 % des dépenses totales dans l’informatique[7]. En réalité, l’essentiel de l’emploi en informatique est dédié à la maintenance. C’est dans ce cadre paradoxal que l’on se rend le mieux compte de la place incontournable et de la valeur inestimable de la maintenance autour de laquelle s’organisent et se structurent en réalité l’ensemble de nos activités. Les logiciels sont devenus les actifs les plus précieux de l’entreprise. Or, les logiciels sont des produits fragiles, fortement soumis non seulement au vieillissement et à l’obsolescence, mais aussi aux exigences de la sécurité des réseaux et de la protection des données. Il est donc de la plus haute importance d’établir un régime de maintenance protégeant les logiciels des risques innombrables de panne, d’inadaptation ou de piratage qui les menacent. La place de la maintenance est telle ici que certains préfèrent assimiler le logiciel à un service plutôt qu’à un produit[8]. De prime abord, le logiciel, en raison de sa nature virtuelle, semble à l’abri de la panne. Mais l’impeccabilité fait partie des fausses promesses de la virtualité. Les logiciels menacent en permanence de dysfonctionner, au plus grand dam de leurs utilisateurs. En réalité, tous les logiciels sont « bugués » ; et tous dysfonctionnent plus encore qu’ils ne fonctionnent ; ou, plus exactement, leur fonction passe nécessairement par leur dysfonction. « En réalité, avant même qu’il n’y ait eu un mot pour définir le logiciel, il y avait un problème de maintenance du logiciel. » Maurice Wilkes, l’un des premiers à avoir programmé un ordinateur avec un programme mémorisé, se rappelle bien l’instant exact de juin 1949 où « il a brutalement réalisé qu’il allait dépenser une bonne partie de [s]a vie restante à trouver des erreurs dans [s]es propres programmes »[9]. La livraison du code fonctionnel n’est que la première étape du cycle de vie de l’application. Un programmeur passe la plus grande part de son temps à réparer son système ou celui d’un autre. L’utilisation des systèmes informatiques contemporains est, à bien des égards, le résultat d’une réparation et d’un entretien continus. Le logiciel est une industrie de l’éphémère à laquelle la maintenance donne consistance et durée. Ce faisant, l’ingénieur informaticien non seulement maintient en fonction le logiciel, mais, mieux encore, il l’améliore et le transforme. L’industrie du logiciel constitue ainsi l’exemple le plus probant que l’innovation peut naître aussi de la réparation et de la maintenance.
La maintenance met en valeur le travail par rapport au capital, et sans doute est-ce la raison pour laquelle sa part dans le système productif est à ce point minorée à la fois par la science économique et par les politiques publiques. Assurément la maintenance repose en grande partie sur le travail humain. Il en est de notre système technologique comme de l’automate turc joueur d’échec sous le couvert duquel se dissimulait un nain. En quête permanente d’automaticité, il réclame en réalité un entretien de tous les instants que, la plupart du temps, seul peut accomplir le travail humain. S’il est vrai que la production se prête aisément à l’automatisation, les travaux de réparation et de maintenance résistent aux tentatives de planification, d’automatisation et de rationalisation. L’exemple du pare-brise montre bien en quoi la maintenance est moins automatisable que la production proprement dite[10]. Quand il est neuf, le pare-brise est posé par un robot sur la chaîne de montage de l’usine d’automobiles ; mais quand il s’agit de le remplacer à la suite d’un accident, il est installé par des techniciens dans le garage où l’on fait réparer sa voiture, parce que les tâches ici sont plus complexes : son remplacement demande une adaptabilité en temps réel plus grande que ce que peut faire un robot, du moins de façon rentable. Ainsi la réparation n’a guère à voir avec la production en série. Si la production est aisément standardisable, la maintenance doit tenir compte de la situation de l’objet, ainsi que des circonstances qui, à chaque fois, singularisent l’histoire de son usure et de sa rupture, singularité que la maintenance s’attache à prendre en compte. Toute choses qui en appellent au travail humain, proprement humain.
De même promouvoir la conversion agricole, favoriser le développement de l’agriculture biologique et organique passe nécessairement par un surcroît de travail manuel, non automatisé. Renoncer aux produits phytosanitaires ou aux antibiotiques, désherber mécaniquement, voire, dans certains cas manuellement, et non chimiquement, substituer aux fertilisants de synthèse le marnage passe nécessairement par un appel à la main d’œuvre. Ainsi, l’agriculture chinoise, plutôt que de parler de la fertilité des sols, préfère choisir comme critère de la qualité des terres la quantité de travail nécessaire pour rendre le sol productif. Il n’y a pas ici de sol riche ou de sol pauvre, mais simplement des sols qui demandent plus ou moins de travail préparatoire pour être cultivés. Cette quantité de travail correspond au nombre d’actes nécessaires « pour amender un sol, l’aider dans sa pédogenèse ou dans sa restauration à devenir un sol mûr, bien équilibré, capable de donner une récolte à la fois abondante, nutritive et saine ».[11] L’importance considérable du travail humain que requiert la restauration des sols agricoles implique certes une plus faible productivité par travailleur, mais elle permet aussi de passer, grâce à l’association et à la rotation des cultures, à 2 voire à 3 récoltes par an et non à une seule comme c’est le souvent le cas en monoculture, ce qui compense largement le différentiel de rendement à l’hectare. En réalité, la faiblesse de la productivité de l’agriculture organique n’est qu’apparente, car l’agriculture « productive » réclame de son côté tout un système coûteux de services et d’emplois indirects liés à son industrialisation, qui réduit sa productivité globale. L’agrobiologie ne fait pas baisser la productivité, au contraire de ce qu’argumentent les partisans du statu quo, mais augmente, dans la chaîne agricole, la part du travail direct de la terre au détriment de sa part indirecte. Autrement dit, arguer de la productivité supérieure de l’agriculture industrielle par rapport aux méthodes agrobiologiques pour freiner la nécessaire conversion de nos pratiques culturales relève assurément de l’argument paresseux.
Mettre en valeur la maintenance et en souligner l’importance pour la viabilité de tout système productif conduit à reconsidérer la situation et l’évolution du travail face à l’émergence des nouvelles technologies, de la robotisation et des progrès de l’intelligence artificielle. La problématique de la maintenance révèle en particulier le caractère fallacieux du débat actuel sur les conséquences des gains en productivité que promet au travail le progrès technique, limité par l’alternative entre la fin du travail ou au contraire l’invention de nouvelles tâches à forte plus-value. De fait, pour les uns, les progrès de l’automatisation devraient conduire à la substitution quasi-intégrale de la machine au travail humain, ainsi qu’au découplage entre l’emploi et la production, de sorte que « de moins en moins de travailleurs seront nécessaires pour produire les biens et les services nécessaires à la population[12] ». Ce que Jeremy Rifkin, dans un essai célèbre et influent, appelle « la fin du travail ». Pour les autres au contraire, la substitution de la machine à l’homme et la destruction des emplois qu’elle entraîne dynamisent la croissance de la productivité selon le principe de la destruction créatrice, de sorte qu’en suscitant des besoins nouveaux et en libérant des ressources disponibles aux fins de les satisfaire, elles engendrent de nouvelles activités à forte plus-value. Mais il apparaît qu’aucune des deux thèses n’est véritablement attestée. Le progrès technique n’entraîne pas mécaniquement le chômage technologique, si ce n’est de façon transitoire, pas plus qu’il ne crée de facto de nouveaux emplois plus qualifiés et valorisés qui viendraient nourrir non moins mécaniquement la croissance. Poser la question de la maintenance conduit à soutenir une thèse différente : le progrès technique complexifie le système productif, et cette complexification requiert de nouveaux emplois qui ont pour vocation d’en assurer la soutenabilité. En effet, plus le système productif est complexe, plus il provoque des effets secondaires immaîtrisables, et plus il devient vulnérable et fragile ; la technologie contribue à l’entropie du monde dont elle est à la fois le remède et la cause. Toute innovation technique augmente le danger de rupture et de dysfonctionnement du système. Plus le système productif s’automatise et s’éloigne du travail des hommes, plus il devient vulnérable et fragile, parce que sa fragilité est double, provenant non seulement des erreurs de conception de la machine en elle-même, ou bien de son usure, mais plus encore de la complexité de plus en plus sophistiquée des dispositifs techniques où prennent place les machines. Ainsi, plus le système productif se complexifie, plus il a besoin de soin et d’entretien pour se maintenir – la maintenance proprement dite–, de sorte qu’aucun système productif, aussi automatisé soit-il, ne peut se passer du travail de l’homme. « Il n’existe pratiquement pas de situations dans lesquelles on peut construire des dispositifs artificiels et rationnels qu’on puisse abandonner à eux-mêmes. Ces dispositifs exigent une attention continue et nécessitent en permanence d’être reconstruits et réparés. La complexité artificielle se paie au prix d’une vigilance de tous les instants. »[13]. La maintenance requiert donc un surcroît de travail, puisque chaque geste productif doit être redoublé par un geste de protection et de soin pour en limiter les effets usants et destructeurs. Le travail appelle le travail non pas selon la logique de l’invention infinie de nouveaux besoins et de nouvelles activités productives, mais parce que toute production requiert sa maintenance. Redoubler de travail n’est pas une question de compétitivité, mais de protection. En appeler à la fin du travail, c’est assurément oublier l’importance de cette dernière
La maintenance représente la part néguentropique du travail. Le travail n’entraîne pas seulement l’usure du monde, il peut aussi le restaurer et en prendre soin. En témoignent ces innombrables murs de terrasses et de restanques que les hommes ont dressés non sans effort, des millénaires durant, pour éviter l’érosion des sols sous le ruissellement des eaux de pluie. En témoignent encore les polders sans lesquels les Pays-Bas seraient en grande partie sous les eaux. Ici, la tenue et la maintenance sont partout présentes, d’abord en contenant la terre ou la mer par l’érection de murs ou de digues, puis, une fois l’infrastructure construite, en entretenant continuellement celle-ci. Les nombreuses catastrophes qui émaillent la vie du système productif contemporain et que le système productif capitaliste a l’habitude de compter, non sans désinvolture, parmi ses « pertes et profits » – l’effondrement des ponts ou des barrages, les accidents de centrale nucléaire, les incendies des usines classées « Seveso », etc. –, loin d’être inéluctables, fruits du hasard ou de la fatalité, sont en général dues à la négligence des hommes et aux retards dans les travaux de maintenance.
Le débat de l’avenir du travail témoigne que la maintenance, sans laquelle pourtant aucune production n’est viable à long terme, est en réalité déniée et invisibilisée. Ce que compte l’économie contemporaine est la production et les flux, et non la protection de leurs conditions de possibilité. Pour l’idéologie libérale, les activités de maintenance, en tant qu’elles ne participent pas directement à la production de la plus-value, en tant même qu’elles tendent à réduire les gains de productivité à court terme, sont de l’ordre des charges qu’il importe de réduire. Est jugé ici directement productif ce qui participe de l’intensification des flux, bien plus que de la conservation des stocks. Mais la tradition marxiste elle-même peine à reconnaître l’importance de la maintenance, qui apparaît d’abord comme l’expression de l’aliénation de l’homme à la terre ou à la machine, et qui, en tant que telle, reste étrangère à son idéal d’affranchissement du travailleur. La maintenance n’est pas simplement du travail diminué et dévalorisant ; elle serait, pire encore, l’antitravail, c’est-à-dire ce par quoi le travail ne s’identifie plus à l’essence de l’homme comme accomplissement de son autoréalisation. Dans la perspective marxiste, la maintenance apparaît essentiellement comme le travail du chameau, la transformation de l’ouvrier en domestique, en l’occurrence en serviteur de la machine. « Les travailleurs y sont de service […] plutôt qu’au travail […] La prise des travailleurs sur le produit et sur les finalités qu’ils servent est minime […] L’éthique et les vertus traditionnelles du travail sont donc appelées à céder le pas à une éthique du service et éventuellement de la responsabilité envers la collectivité. »[14] La maintenance se présente donc ici comme le sommet de l’aliénation, pire encore comme l’expression de notre servitude volontaire à l’égard du système productif machinique, car, non contents de nous soumettre à la machine, nous en prenons soin, nous interdisant ainsi d’entrevoir toute possibilité de nous en libérer, point absolu qui dépasse donc en aliénation la division du travail. Il reste que cette éthique du service à l’égard des infrastructures productives (bien plus complexes que la conception marxiste ne le laisse supposer puisque les écosystèmes font aussi partie de ces infrastructures), ainsi que la responsabilité qu’elle nous fait porter vis-à-vis de la collectivité présente et à venir, ne contribuent pas moins, loin de là, à la dignité de l’homme et à la décence du monde.
Encore faut-il rétribuer dignement ce dont le marché du travail peine à reconnaître la valeur. On compte plus aisément le travail productif que la maintenance, et plus aisément la maintenance marchande que gratuite. Si on définit le travail comme l’activité qui crée de la richesse, il s’ensuit que les caractéristiques de la notion de travail sont déduites de ce que chacun entend par richesse. « Dans notre comptabilité nationale, ne sont considérées comme travail que les activités qui constituent une participation à la production de biens et services en échange de laquelle est obtenue une contrepartie monétaire […]. Il nous faudrait une autre conception de la richesse de la société, beaucoup plus large »[15] Au sens strict, n’est considérée comme travail que l’activité qui augmente le PIB, ce qui atteste de sa valeur sociale. À conception étroite de la richesse et de l’utilité, conception étroite du travail. En 2013, la 19e Conférence internationale des statisticiens du travail, réunie sous l’égide de l’OIT, a voulu donner une définition plus étendue du travail, mais tout en continuant à ignorer la maintenance et toutes les tâches de la reproduction au profit de la seule consommation : « Le travail comprend toutes les activités effectuées par des personnes de tout sexe et de tout âge afin de produire des biens ou de fournir des services destinés à la consommation […][16]. » On ne compte ainsi que le travail marchand, l’emploi, mais on ignore la partie immergée du travail, non rémunérée, invisibilisée, la part gratuite de l’économie, sur laquelle repose pourtant la capacité des sociétés à se reproduire, à commencer par le travail domestique et plus généralement par une grande partie des travaux de maintenance. Pourtant le travail non rémunéré participe directement au bien-être de tous et indirectement à la dynamique économique, tout en compensant souvent la faiblesse des dépenses publiques en matière d’infrastructures et de services sociaux. Absent du calcul de la production nationale, il se chiffre pourtant en milliards d’euros. Pour l’année 2010, l’Insee évaluait en France la somme de ces activités à 60 milliards d’heures de travail par an. Le seul travail domestique non rémunéré est évalué à 292 milliards d’euros, c’est-à-dire près de 15 % du PIB de 2010 (1 933 milliards d’euros). Notons que ce montant, qui valorise l’heure de travail domestique au salaire minimum net, sans prendre en compte toutes les tâches domestiques nécessaires à la reproduction de la vie, est de fait fortement sous-évalué. Il n’est pas nécessaire de rappeler que ces tâches non rémunérées sont majoritairement accomplies par des femmes. À l’échelle mondiale, l’Oxfam évalue la part du travail féminin non rémunéré aujourd’hui à 10’800 milliards de dollars (pour un PMB officiellement estimé à 84’740 milliards de dollars en 2018 selon les estimations du FMI). Le refus de reconnaître économiquement ces tâches est à l’évidence l’une des causes majeures de l’inégalité entre les sexes.
La mondialisation ne signifie pas seulement l’internationalisation des échanges et l’abaissement des frontières douanières. C’est une définition superficielle qui minimise la profonde rupture par rapport au passé que représente le nouvel « ordre » économique international en vigueur depuis les années 1980. Deux autres caractères, plus fondamentaux, la caractérisent. La mondialisation repose aussi sur la marchandisation généralisées des activités sociales au service de l‘intensification des interactions entre les agents économiques, source de profit, marchandisation généralisée et intensification des interactions qui à leur tour placent l’économie sous le régime de la complexité (au sens épistémologique du terme avec ses causalités non-linéaires et ses boucles récursives), de sorte qu’il devient difficile désormais de s’en tenir, en matière de justice sociale, au traditionnel suum cuique tribuere, à chacun selon son apport et sa capacité. L’économie se présente désormais sous la forme moins d’un marché que d’une machine intégrée de production et de consommation qui réclame comme toute machine sa part de maintenance. L’économie est devenue collective non à la suite d’une révolution ou de quelque décision ou consensus politique, mais par elle-même, dans le mouvement de sa propre dynamique expansionniste.
C’est la raison pour laquelle s’impose de plus en plus l’idée d’un revenu universel d’existence (RUE), capable de rémunérer l’ensemble de la collectivité en tant qu’elle est, dans globalité même, l’actrice majeure du procès économique. Comme nous l’avons précédemment vu, la maintenance, que la complexité croissante du système économique et productif rend de plus en plus incontournable, s’inscrit pleinement dans le cadre de cette collectivité qu’il importe de rémunérer pour rendre raison de ses services mutualisés et de ses externalités positives. Cependant si une allocation universelle répond mieux à la réalité et à la vérité du fonctionnement économique contemporain que les rémunérations déterminées par le marché du travail, elle ne remet pas en cause le statu quo du système économique existant. Essentiellement au service de la relance de la consommation, le revenu universel inconditionnel ne modifie en rien notre rapport à la production. Pire encore, en dissociant le revenu et le travail, en procurant un filet de sécurité financière à chacun, il ne peut que favoriser la dérégulation et la précarité du travail. C’est la raison pour laquelle il faut préférer au RUE inconditionnel un revenu rétributif et contributif [17] : rétributif, car il rémunérerait ou rétribuerait un service effectif qui, pour être initialement gratuit, n’en est pas moins source de valeur ; et contributif parce que ce service constitue une externalité positive qui contribue au bien-être de la collectivité. Le RUE est proprement individuel tandis que le revenu rétributif s’inscrit dans le cadre d’une approche plus institutionnelle et sociale de l’économie qui s’appuie sur les associations, mais aussi sur les entreprises, voire sur la famille. Rien de bien nouveau ici ! Le premier revenu rétributif a été les allocations familiales, attribuées directement à la mère et non au père de famille à un moment pourtant où les femmes ne bénéficiaient pas encore des mêmes droits patrimoniaux que les hommes, parce que le législateur souhaitait affecter (quasiment au sens juridique du terme) ce revenu complémentaire à la mission spécifique de l’éducation des enfants, et non à la consommation courante de la famille. De même, la politique agricole commune (PAC) de la Communauté européenne, au lieu de financer l’industrialisation de la production agricole, puis, en phase de surproduction, sa destruction, devrait d’abord rétribuer la plus-value patrimoniale qu’apportent au territoire les agriculteurs par la garde des écosystèmes et l’aménagement des paysages qu’ils assurent.
On ne saurait cependant passer sous silence les deux types de critique qui s’opposent à l’idée du revenu rétributif et contributif, l’une de droite, l’autre de gauche. La critique de droite souhaite soumettre exclusivement les revenus du travail aux lois du marché, même si, sous la pression de l’automatisation, des délocalisations et de la dérégulation, la frange la plus basse des salaires se trouverait alors amenée, comme aux États-Unis, à passer sous le seuil de survie, ou pour parler comme Marx de la reproduction de la force de travail. Le krach de 2008, en contraignant les États à financer les banques, a montré combien, dans certaines circonstances, les lois du marché pouvaient être souples et accommodantes, de sorte que finalement ce qui a permis de sauver le capital financier de son chaos pourrait aussi bénéficier au travail mis au service du développement durable. Il n’est pas nécessaire de rappeler que toute une part de la rémunération du travail en France passe, de façon plus ou moins directe, par les subventions de l’État. L’économie est désormais socialisée. La prime d’activité revalorisée pour les salariés proches du Smic, ou la « prime exceptionnelle » accordée par le gouvernement à la suite du mouvement social des Gilets jaunes, sont essentiellement financées par l’État, sans parler du financement du chômage partiel en temps de Covid.
Pour la critique de gauche, financer le travail domestique et, d’une façon plus générale, les services gratuits que les hommes se rendent mutuellement ne peut que favoriser la monétarisation et la marchandisation générale de la société, et partant l’extension de la division du travail à la sphère de la vie privée, au risque de renforcer plus encore la domination sans partage du capital[18]. C’est la raison pour laquelle il faut bien distinguer d’une part le RUE qui sert essentiellement à la consommation sans autre fonction que d’alimenter le marché, et d’autre part le revenu rétributif qui est, en réalité, un revenu affecté à des missions d’intérêt collectif voire d’utilité publique, comme en témoignent les allocations familiales, et qui par conséquent s’apparente moins à un salaire qu’à la reconnaissance effective par la collectivité elle-même de l’existence de fonctions à la fois publiques, économiques et sociales que tous les hommes et toutes les femmes sont susceptibles de remplir à partir du moment où ils contribuent à la maintenance du monde et à la reproduction des conditions de la vie.
Sans doute faudrait-il à cette fin revoir les termes du contrat social et du pacte politique qui s’imposent aujourd’hui sous le terme, complexe, obscur et ambigu, de « gouvernance ». Mais cela est une autre histoire qui dépasse le cadre de la présente étude.
[1] Héraclite, Frag. 6.
[2] James O’Connor, « La seconde contradiction du capitalisme : causes et conséquences », trad. fr. N. Dubois, in Actuel Marx no 12, 1992, p. 30-40 ; id., Natural Causes – Essays in Ecological Marxism, New York – London, The Guilford Press, 1998.
[3] Jean-Baptiste Say, Traité d’économie politique, I 4 , Paris, Guillaumin, 7e éd., 1861 p. 68.
[4] Ibid, p. 69
[5] Pavan Sukhdev, The Economics of Ecosystem and Biodiversity: Mainstreaming the Economics of Nature, rapport ONU, 2010.
[6] Le rapport Sukhdev évalue la part de la Terre dans la production mondiale à 23’500 milliards d’euros, c’est-à-dire à 40 % du produit mondial brut de 2009 (52’200 milliards d’euros), tandis que le récent rapport du Giec sur « le changement climatique et les terres » l’estime aujourd’hui dans une fourchette bien supérieure, comprise entre 68’000 et 77’000 milliards d’euros, c’est-à-dire guère moins que le produit mondial brut (PMB) de 2019 (81’000 milliards d’euros) « IPCC Special Report on Climate Change, Desertification, Land Degradation, Sustainable Land Management, Food Security, and Greenhouse Gas Fluxes in Terrestrial Ecosystems », August 7, 2019 <https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2019/11/SRCCL-Full-Report-Compiled-191128.pdf>, chap. 1, « Executive Summary », 1-1
[7] Rapport Accenture, How Software Maintenance Fees are Siphoning away your IT Budget – and How to Stop it (October 29, 2014).
[8] Irina Kaldrack, Martina Leeker, There Is no Software,There Are Only Services, Lüneburg, Meson Press, 2015.
[9] Maurice V. Wilkes, Memoirs of a Computer Pioneer (History of Computing), Cambridge (Mass.), Massachusetts Institute of Technology, 1985, p. 145.
[10] Emmanuelle Dutertre et Bernard Jullien, « Les artisans de la réparation automobile face aux constructeurs. Vers l’affirmation d’un contre-modèle », Revue d’anthropologie des connaissances, 9/3, 2015, p. 331- 350
[11] Claude et Lydia Bourguignon, Le Sol, la Terre et les Champs, Paris, Le Sang de la Terre, 2015, p. 45.
[12] Jeremy Rifkin, The End of Work: The Decline of the Global Labor Force and the Dawn of the Post-Market Era, NewYork, Putnam Publishing Group, 1995 ; trad. P. Rouve, La Fin du travail, Montréal, Boréal, 1996, p. 14.
[13] Langdon Winner, Autonomous Technology: Technics-out-of-Controlas a Theme as Political Thought, Cambridge (Mass.), MIT Press, 1977, p. 183.
[14] André Gorz, Métamorphoses du travail. Quête du sens, critique de la raison économique, Paris, Galilée, 1988, p. 277-278. On ne peut que s’étonner qu’André Gorz, acteur intellectuel majeur de la convergence entre écologie politique et marxisme dès les années 1980, en France du moins, soit passé à côté de cette question, fondamentale du point de vue social aussi bien qu’économique. Dans les pays anglo-saxons, où cette même convergence s’opère sur d’autres bases (O’ Connor, Bellamy Foster), la place de la maintenance, mieux justifiée du point de vue théorique, est plus aisément reconnue.
[15] Dominique Méda, Le travail, 4e éd., Paris, Puf, 2010, p. 128.
[16] « Rapport de conférence », 19e conférence internationale des statisticiens du travail, Genève, 2-11 octobre 2013, Résolution 1, BIT, Genève, 2013 <https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/—dgreports/- –stat/documents/publication/wcms_234126.pdf>, p. 54.
[17] Bernard Stiegler et Ariel Kyrou, «Le revenu contributif et le revenu universel», Multitudes, 63/2, 2016, p. 51-58.
[18] André Gorz, Métamorphoses du travail, op. cit., p. 277.