Par Robyn Eckersley.
Vol 1 (1) – octobre 2017 – « Les transitions écologiques »
RÉSUMÉ
L’idée que les humains sont maintenant la nouvelle force capable de façonner la Terre s’accompagne de divers arguments en faveur d’un exceptionnalisme environnemental, allant de la géoingénierie à l’autoritarisme écologique. Selon ce dernier point de vue, des concessions devraient être faites à l’égard de la démocratie si nous désirons respecter les limites planétaires et accélérer la transition écologique. D’autre part, ceux qui rejettent cette position ont eux aussi peu de foi en la capacité des démocraties libérales, du multilatéralisme environnemental ou des nouvelles propositions de « gouvernance du système Terre » à conduire une transition écologique. De manière plus générale, le caractère transnational et inter-temporel du changement climatique, ainsi que d’autres problèmes écologiques globaux, constitue un défi fondamental à l’idée de démocratie basée sur un demos fixe et un territoire défini. Cet article revient à la fois sur la défense et sur la critique de la démocratie à l’âge de l’Anthropocène, puis montre comment le paradoxe qui se niche au cœur de la démocratie, celui des limites du demos, peut être exploité pour servir des communautés plus étendues dans l’espace et dans le temps.
ABSTRACT
The idea that humans have now become the new, Earth-shaping force has been accompanied by various arguments for environmental exceptionalism, from geoengineering to eco-authoritarianism. On this view, democracy should be compromised if we wish to respect planetary boundaries and speed up the ecological transition. Yet those who reject this view also have little faith in the capacity of liberal democracies, environmental multilateralism or new proposals for ‘Earth-systems governance’ to usher in an ecological transition. More generally, the transboundary and trans-temporal character of climate change and other global ecological problems provides a fundamental challenge to the idea of democracy based on a fixed demos and a defined territory. This article revisits both the environmental defence and critique of democracy in the age of the Anthropocene and shows how the paradox at the heart of democracy, namely, the democratic boundary problem, might be harnessed to serve wider communities in space and time.
PLAN
- L’Anthropocène : comment interpréter l’action des hommes sur l’écologie
- Le Bon contre le Mauvais : une relecture des limites à la croissance ?
- Le concept d’écoautoritarisme (brièvement) revisité
- L’éco-pragmatisme : la post-démocratie à l’ère du bon Anthropocène ?
- Modernisation réflexive et démocratie réflexive dans l’ère de l’Anthropocène
- Démocratie irréflexive et la question des limites
- La démocratie réflexive à l’ère de l’Anthropocène
- Conclusion
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Que signifie, pour la démocratie, l’introduction d’une nouvelle ère géologique ? Si l’on en croit une grande partie de la communauté scientifique géologique, nous sommes en train de sortir de l’époque postglaciaire de l’Holocène pour entrer dans une époque nouvelle, bien moins stable, où l’homme est devenu la « force géologique » dominante dans l’évolution du système terrestre. À l’inverse de l’Holocène, dont le climat relativement stable avait réuni des conditions exceptionnellement propices au développement de la civilisation humaine au cours des 10 à 12 000 dernières années, l’Anthropocène se caractérise par un environnement qui change de manière imprévisible, parfois même brutale, ce que l’on appelle aussi seuils de rupture. En 2009, une équipe de chercheurs en sciences de la terre, menée par Johan Rockström du Stockholm Resilience Center et Will Stephen de l’Australian National University, a identifié un groupe de neuf limites planétaires à ne pas dépasser, si l’on veut éviter que l’environnement ne subisse des modifications brutales, irréversibles et potentiellement destructrices (Rockström J. et al., 2009). En 2015, ces scientifiques ont pu établir que l’homme avait enfreint quatre de ces limites : le changement climatique ; la perte de la biodiversité et l’extinction des espèces ; la modification des usages du sol ; et enfin les perturbations des cycles biogéochimiques (c’est-à-dire les cycle du phosphore et de l’azote) (Steffen et al., 2015). Le changement climatique et la perte et l’érosion de la biodiversité ont notamment été identifiés comme des « limites fondamentales » parce que plus nous les enfreindrons, plus nous courrons le risque d’entraîner le système terrestre vers un nouvel état, dont le potentiel destructeur nous est totalement inconnu. Pour résumer, les spécialistes du système terrestre nous mettent en garde contre l’obsession des hommes à produire une nouvelle Terre, que seule l’observation stricte de l’« espace opératoire de sécurité » des limites planétaires peut empêcher de rendre incompatible avec la civilisation humaine.
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Pour consulter cet article : https://www.cairn.info/revue-la-pensee-ecologique-2017-1-p-b.htm
Pour citer cet article : Eckersley Robyn.2017. La démocratie à l’ère de l’Anthropocène. La Pensée écologique, 1 (1), b-. doi:10.3917/lpe.001.0032.