Par Dominique Bourg
(voir suite suivi procès)
Un peu partout la Covid a eu raison de l’activisme climatique. Mais ici, dans le Canton de Vaud (Suisse), les juges ont apparemment décidé, d’un commun accord, d’épauler le virus. Depuis quelques mois les procès pleuvent sur les activistes, emportant avec eux une pluie d’amendes salées, destinées à écraser sous le poids de l’argent toute velléité morale de protestation.
Curieuse justice en effet qui fragmente le procès des participantes et participants à une même action, qui distribue donc des sanctions potentiellement différentes pour les mêmes infractions, comme si l’équité n’avait rien à voir avec la justice.
Curieuse justice que celle qui refuse témoins et experts sous prétexte que la cause climatique est « notoire ». A tiens donc ! je suis le sujet depuis trente ans et en apprends tous les jours. En outre, je ne suis pas certain, et c’est un euphémisme, que l’on puisse comprendre, tant ce qui nous arrive – un dérèglement climatique rapide et violent altérant l’habitabilité d’une planète vivante déjà exsangue, phénomène expérimenté par aucune génération humaine –, est inouï.
Curieuse justice que celle où les juges prétendent « appliquer strictement la loi », entendre mécaniquement. Mais à quoi servent-ils alors ? Prétention absurde, la loi se veut universelle, en réalité abstraite, alors que les cas sont par définition singuliers. S’il est besoin de juges, c’est précisément pour apprécier ces singularités. A la différence de ce qui se passe dans un tribunal français, les prévenus ne sont pas en pays de Vaud interrogés sur leurs motivations, comme s’il pouvait exister des infractions sans contexte. D’autant plus absurde qu’en l’occurrence le contexte est scientifiquement fondé et renvoie au destin incertain de l’humanité. Ce matin, (20 décembre 2021) au tribunal de Montbenon, une prévenue, jeune doctorante – et donc horrible délinquante avec couteau entre les dents, sapant les fondements de la société –, est tout de même parvenue à faire témoigner sa grand-mère de 92 ans. Témoignage terriblement émouvant : la grand-mère a simplement rappelé l’humanité et l’effroi de sa petite-fille, victime sanitaire de la canicule de 2019, dont elle pâtit encore corporellement aujourd’hui.
Curieuse justice où les juges ont une appartenance politique déclarée et où les partis contribuent à leur désignation. Et franchement, cela se voit, au premier chef quand il s’agit d’écologie et de climat. Sincèrement, je ne parviens pas, en suivant ces procès, à me départir du sentiment d’une justice partisane et aveugle, plus policière que judiciaire, étrangère à ce qu’on est en droit d’attendre d’une institution séculaire, ayant appris à mettre à distance instincts et a priori.
Curieuse justice que celle qui répond à une écoanxiété que seule l’inculture peut vous épargner, par l’argent, le moteur de toutes les destructions écologiques. Je rappellerai ici que selon une étude de la revue The Lancet Planetary Health, dans laquelle 10’000 jeunes de 16 à 25 ans issus de dix pays (dont l’Inde, le Brésil, le Nigeria et les Philippines) ont été interrogés, 75% d’entre eux décrivent leur avenir comme « effrayant », 56% s’interrogent sur la pérennité de la vie humaine sur Terre et 39% hésitent à avoir des enfants … Et bing, prends ton amende et tais-toi ! Quelle justice ! que sauvent seuls discours des prévenus et plaidoiries des avocates !
Mesdames et Messieurs les Juges, sauvez-vous et sauvez-nous ! Respirez l’air des Hautes Cours européennes !
Alors quel rapport avec l’ancien président de la République française Georges Pompidou ? Aucun justement, et tel est bien le problème ! Juste l’envie de ressusciter un court instant l’ancienne droite, celle qui devait faire front à la menace totalitaire, attachée à certains principes comme à la prunelle de ses yeux. L’envie de rappeler qu’il fut un temps où le conservatisme n’interdisait nullement l’amour sensible de la nature, en l’occurrence des arbres … alors qu’aujourd’hui il vous interdit la moindre sensibilité à l’avenir tragique de la jeunesse mondiale, sur fond de sixième extinction et de chaleur humide.
SUITE :
Les faits sont les faits et je dois corriger mon appréciation précédente après le jugement rendu hier (22 décembre 2021) au tribunal de Montbenon, dont j’ai suivi la procédure toute la matinée. L’objet jugé était l’affaire de l’occupation de l’UBS le 14 janvier 2019, avec dépôt de charbon dans le hall de la succursale UBS du centre de Lausanne, et ce en vue de protester contre les investissements carbonés de la banque (depuis lors, ils ont été singulièrement réduits !). Un jugement conduit par le juge avec humour et humanité. In fine un acquittement pour les chefs d’accusation les plus importants. Les raisons de cette décision : une plainte déposée par UBS dont le collège de la défense a démontré l’irrecevabilité formelle ; et une contradiction, mise également au jour par la défense, entre la vidéo montrant l’état du hall de la banque (vers la sortie) au moment de la sortie des activistes et une photo produite par la banque avec amas de charbon à ce même endroit. Une belle démonstration de l’exercice de la justice, c’est-à-dire dans un cadre formellement délimité, donnant aux arguments leur poids.
Acquittement également, sur l’essentiel, le même jour (22) dans l’affaire des 200 jugée deux jours avant.
Lettre de Georges Pompidou à Jacques Chaban-Delmas, le 17 juillet 1970 :
Mon cher Premier ministre,
J’ai eu, par le plus grand des hasards, communication d’une circulaire du ministre de l’Équipement – Direction des routes et de la circulation routière – dont je vous fais parvenir photocopie.
Cette circulaire, présentée comme un projet, a en fait déjà été communiquée à de nombreux fonctionnaires chargés de son application, puisque c’est par l’un d’eux que j’en ai appris l’existence. […] Bien que j’ai plusieurs fois exprimé en Conseil des ministres ma volonté de sauvegarder “ partout” les arbres, cette circulaire témoigne de la plus profonde indifférence à l’égard des souhaits du président de la République. Il en ressort, en effet, que l’abattage des arbres le long des routes deviendra systématique sous prétexte de sécurité. Il est à noter par contre que l’on n’envisage qu’avec beaucoup de prudence et à titre de simple étude, le déplacement des poteaux électriques ou télégraphiques. C’est que là, il y a des administrations pour se défendre. Les arbres, eux, n’ont, semble-t-il, d’autres défenseurs que moi-même et il apparaît que cela ne compte pas.
La France n’est pas faite uniquement pour permettre aux Français de circuler en voiture, et, quelle que soit l’importance des problèmes de sécurité routière, cela ne doit pas aboutir à défigurer son paysage. La sauvegarde des arbres plantés au bord des routes – et je pense en particulier aux magnifiques routes du Midi bordées de platanes – est essentielle pour la beauté de notre pays, pour la protection de la nature, pour la sauvegarde d’un milieu humain.
La vie moderne dans son cadre de béton, de bitume et de néon créera de plus en plus chez tous un besoin d’évasion, de nature et de beauté. L’autoroute sera utilisée pour les transports qui n’ont d’autre objet que la rapidité.
La route, elle, doit redevenir pour l’automobiliste de la fin du XXe siècle ce qu’était le chemin pour le piéton ou le cavalier : un itinéraire que l’on emprunte sans se hâter, en en profitant pour voir la France.
Que l’on se garde donc de détruire systématiquement ce qui en fait la beauté !
Georges Pompidou.