Par Romain Ferrari
Vol 1 (1) – novembre 2017
RÉSUMÉ
Cet article est tiré d’une note remise au Ministère de la Transition écologique et solidaire, lors de la réunion de lancement de la « feuille de route de l’économie circulaire » le 22 octobre 2017. L’intention est d’élaborer un cadre rompant avec les politiques antérieures, permettant le plus haut niveau d’efficacité en matière de mise en œuvre de l’économie circulaire. Il s’agit d’étendre le périmètre à toutes les dimensions de l’efficacité des ressources et donc de fixer des objectifs qui vont au-delà de ceux des quantités recyclées ou mises en décharge ; de modifier les dispositifs réglementaires et fiscaux tant au niveau national qu’au niveau des collectivités locales ; de mobiliser l’ensemble des instruments de politique publique et particulièrement ceux de la commande publique.
Nous proposons ici, au titre de contribution à la « feuille de route de l’économie circulaire » lancée par le Ministère de la Transition écologique et solidaire, le séquençage de six mesures concrètes, réunies deux par deux, sur un plan pluriannuel de 5 ans. L’idée est d’élaborer un cadre réglementaire, fiscal et politique, garantissant le plus haut niveau d’efficacité en matière de mise en œuvre de l’économie circulaire, tout en conservant un bon niveau d’acceptabilité tant pour les agents publics que privés. Sous une forme légèrement différente dans sa forme, ce texte a donné à une note remise au ministère lors de la réunion de lancement du 22 octobre 2017. L’état des lieux dont nous partirons, tant sur le plan global qu’hexagonal, réclame une politique d’économie circulaire en rupture avec celle qui n’a pas permis d’atteindre ces objectifs.
FLUX DE MATIÈRES GLOBAUX: ÉTAT DES LIEUX
Le dernier rapport du Panel international pour la gestion durable des ressources (IRP) hébergé par le Programme des Nations Unies pour l’environnement, intitulé Global Material Flows And Resource Productivity [1] résume à lui seul l’urgence et la dimension des actions à mener en termes de productivité des ressources. La quantité de matières premières extraites de la planète a triplé en 40 ans, passant de 22 milliards de tonnes en 1970 à 70 milliards de tonnes en 2010 – les pays riches en consommant en moyenne 10 fois plus que les pays les plus pauvres et deux fois plus que la moyenne mondiale. A cet égard, force est de constater que la stratégie de l’Union européenne, comme celle de la France, en faveur du développement durable, qui visait au découplage entre la croissance du PIB et la consommation de ressources sous-jacente, n’a pas atteint ses objectifs. Les neuf milliards d’habitants de la planète auront besoin de 180 milliards de tonnes de matières premières chaque année à l’horizon 2050. Cela équivaut à trois fois la quantité de ressources actuelle, ce qui pose des questions en termes d’accessibilité des ressources, et surtout en termes d’impacts environnementaux relatifs à leur extraction et affinage.
Le découplage promis par la stratégie européenne de développement durable n’a pas eu lieu, et c’est le moins qu’on puisse dire. Une remarque qui vaut bien sûr pour la France. L’empreinte écologique des matières premières par habitant en Europe, comme en Amérique du Nord, se situait en effet entre 20 et 25 tonnes par habitant en 2010 ; c’est la plus élevée. En comparaison, l’empreinte écologique de l’utilisation des matières premières de la Chine était de 14 tonnes par habitant et de 13 pour le Brésil. En France, la consommation intérieure de matières [2] s’élevait à 784 Mt en 2013 (RMC ou Raw Material Consumption). De 1990 à 2008, elle a augmenté de 30 %, tandis que la consommation annuelle de matières par habitant (14 tonnes) est restée stable sur cette période. Depuis 2009, à la suite de la récession, la contraction de l’activité économique semble avoir accentué la hausse de la productivité des matières, essentiellement liée à la baisse de la consommation intérieure de matériaux de construction. Sur la période 2009-2013, la consommation moyenne par habitant aurait en effet décru avant de se stabiliser à 12 tonnes.[3] On pourrait douter de ce chiffre compte tenu de la difficulté à mesurer l’empreinte ressources sur les articles importés malgré tout le sérieux des études dont nous disposons (notamment l’écart entre RMC et DMC Domestic Material Consumption). Les étapes d’extraction des matières constituant les articles importés sont en effet de plus en plus intensives en ressources, au fur et à mesure de la raréfaction des matériaux stratégiques. Ces impacts sont difficiles à caractériser du fait de l’éloignement et la diversité des acteurs de ces filières.
Sur ce point le constat du rapport du Programme des Nations Unies pour l’Environnement est alarmant et bouleverse notre perception des enjeux. Depuis 1990, il n’y a eu que peu d’amélioration de l’efficacité mondiale des matières premières. En fait, l’efficacité matière a commencé à décliner dans les années 2000. L’économie mondiale a désormais besoin de plus de matières premières par unité de PIB qu’il n’en fallait au tournant du siècle, en raison du déplacement de la production des pays aux économies de matériaux efficaces comme le Japon, la Corée du Sud et l’Europe, vers des pays aux économies de matériaux beaucoup moins efficaces comme la Chine, l’Inde ou encore l’Asie du Sud-Est. En clair, le découplage relatif entre croissance du PIB et consommation de ressources tant espéré, s’est globalement inversé dans le mauvais sens depuis les années 2000. Stefan Bringezu, expert du GIER, a proposé une cible pour fixer un niveau durable de consommation de matières premières au niveau mondial de 3 à 6 tonnes de consommation de matières par habitant exprimées en équivalent matières premières (RMC) à l’horizon 2050.
C’est dans ce contexte qu’est lancée fin octobre l’initiative du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire en faveur d’une feuille de route pour l’économie circulaire en France. Et c’est dans ce cadre que nous avons soumis les propositions et l’architecture en matière d’économie circulaire qui suivent. Ce constat réclame effectivement une politique d’économie circulaire nouvelle, qui tranche avec celle qui a conduit à la situation où nous sommes, malgré les efforts importants et les tendances positives, aux résultats toutefois nettement insuffisants.
FRANCE : ÉTATS DES LIEUX
Pour la France, et en vue de cette feuille de route, il convient de compléter le constat général d’un état des lieux plus précis. D’autres points restent en effet particulièrement critiques, alors que les acteurs publics et privés en France se sont engagés dans des initiatives ambitieuses.
De nombreuses filières de collecte et de recyclage sont dans des situations économiques calamiteuses. La rentabilité des investissements reste très problématique en France, ce qui limite le développement de nos capacités de production. Etrangement, les quelques entreprises françaises qui conçoivent et proposent des équipements innovants sur ces marchés du recyclage, exportent plus facilement leurs technologies de pointe qu’ils ne trouvent des clients en France.[4] La réglementation REACH, qui dès le départ n’a pas pris en compte les contraintes particulières du recyclage, constitue aujourd’hui une difficulté majeure pour certaines filières qui, là aussi, n’ont d’autre choix que de se tourner vers l’exportation hors Europe pour vendre leurs matières recyclées. Evidemment, la question n’est pas de mettre en danger la santé et d’aggraver les effets environnementaux par la remise le marché de substances ou préparations incompatibles avec les exigences REACH, ou plus généralement toxiques. Des aménagements particuliers et sûrs doivent donc pouvoir être réalisés, afin de lever ces obstacles sans compromettre le niveau de sécurité des applications. Certaines normes, particulièrement dans le bâtiment, peuvent constituer aussi des freins au développement de l’utilisation des matières recyclées. L’importation toujours plus importante d’articles en provenance des pays situés hors Europe constitue un gisement croissant de déchets pour le recyclage. Ce gisement, contrairement à celui des déchets d’articles produits en Europe, est plus difficile – dans les faits – à contrôler, notamment en termes de conformité REACH, ce qui rajoute encore de la difficulté à les recycler en Europe. Ce point est à mettre en perspective avec la très récente position de la Chine sur l’arrêt de l’importation de déchets … (Notification CHN1211 à l’OMC applicable avant fin 2017).
La transition énergétique constitue une opportunité en France pour innover et créer de nouvelles activités. Certaines de ces solutions, comme l’éolien ou le photovoltaïque, dépendent de l’accès à certaines ressources stratégiques que seuls quelques pays hors Europe possèdent (terres rares : néodyme, praséodyme, indium, etc.). Ces ressources sont déjà sous forte tension, et paradoxalement, la France depuis 10 ans n’a pas développé de filières de recyclage de ces matériaux, voire, a fermé certaines capacités existantes. Ce point met en péril le développement de ces solutions de transition bas carbone.[5]
Cet état des lieux plaide également en faveur de la mise en œuvre d’une nouvelle politique d’économie circulaire. Il convient de donner à la France la possibilité de prendre un leadership en ligne avec les initiatives récentes comme celles de la French Tech, French Touch et de la French Fab.[6] Toutefois, cet engouement pour la Croissance Verte et sa vision microéconomique ne doit pas nous détourner des enjeux méso- et macroéconomiques critiques. Une économie authentiquement circulaire ne se réduit surtout pas à la notion de recyclage. Des indicateurs de circularité[7] doivent nous permettre de rester lucide et d’impulser une politique de réduction de consommation matérielle et énergétique de nos activités avant même de recycler les ressources. C’est tout l’enjeu d’une nouvelle politique d’économie permacirculaire (Arnsperger, Bourg, 2017).
Pour mesurer l’intérêt d’alléger avant même de circulariser, il faut juste rappeler que le recyclage ne permet pas de reporter significativement l’échéance de rareté des ressources dans une économie dont la croissance de la demande en matériaux dépasse les 1% par an (Grosse, 2010).
Enfin, les spécificités de la France, ne doivent pas nous empêcher de nous inspirer des pratiques d’autres pays qui ont conduit à des résultats significatifs. Une comparaison des différentes politiques montre des points communs auquel on aurait tort de se soustraire.[8] Il convient de :
- Placer l’économie circulaire au cœur du programme de développement économique, de création d’emploi et de réduction des inégalités.
- Etendre le périmètre à toutes les dimensions de l’efficacité des ressources et donc fixer des objectifs qui vont au-delà de ceux des quantités recyclées ou mises en décharge.
- Adresser les dispositifs réglementaires et fiscaux tant au niveau national qu’au niveau des collectivités locales.
- Accompagner une Loi Cadre de plans pluriannuels adaptés en fonction des niveaux d’avancement constatés.
- Décliner ces plans par grand secteur afin de s’adapter aux différents niveaux de potentialité et être certain d’être efficace à lever chaque point de blocage.
- Appliquer un principe de subsidiarité à chaque secteur afin de mettre les agents économiques face à leurs responsabilités, tout en leur laissant la liberté d’agir dans un cadre fixé ; le rôle des pouvoirs publics en France n’étant pas de piloter telle ou telle activité particulière (ou de subventionner les pertes de certaines d’entre-elles en dehors de cas très limités et sur des périodes très courtes).
- Mobiliser l’ensemble des instruments de politique publique et particulièrement ceux de la commande publique.
PROPOSITIONS CONCRÈTES
Nos propositions concernent différents dispositifs tant réglementaires qu’économiques dont la combinaison permettrait de faire basculer les pratiques industrielles et commerciales. Nous commencerons par en dresser la liste avant de proposer de les associer de façon différente selon les secteurs d’activités, voire certains segments de ces activités. Les actions nationales prenant leur place au sein d’un ensemble mondial, et le plus souvent d’un cadre international, comme c’est le cas avec l’accord de Paris, nous proposons une première mesure à une échelle internationale.
- Proposition n°1 : Accise sur les Matières Premières
Le rapport cité, Global Material Flows And Resource Productivity, recommande de « fixer un prix aux matières premières lors de leur extraction et de leur utilisation afin de refléter les coûts sociaux et environnementaux associés et de viser à réduire leur consommation. Les fonds supplémentaires générés ainsi pourraient être investis par la suite dans la recherche et le développement des secteurs de l’économie à fort besoin en ressources. »
Dans le même esprit, mais orienté sur le climat, la Fondation 2019 a proposé le prélèvement d’un droit d’accise à l’extraction des ressources fossiles,[9] c’est-à-dire une taxe carbone intrinsèque ex-ante à l’extraction et non pas extrinsèque, ex-post à l’émission de CO2. Prenons un exemple pour illustrer la démarche. On sait qu’un baril de pétrole émettra quoi qu’il arrive 400 kg de CO2, qu’il soit brûlé pour produire de l’énergie de chauffage ou propulser un véhicule, ou converti en matière de synthèse comme des matières plastiques. Pour une Valeur Sociale du Carbone de 25$/tCO2-eq, le montant du droit d’accise applicable à un baril de pétrole serait de 10 $ (0,4 x 25). Clairement, cet écart de 10 $ est parfaitement absorbable par la chaîne économique mondiale, dans la mesure où cette mesure est appliquée de façon universelle. Les cours du pétrole ont subi des variations d’une toute autre amplitude sans déséquilibrer les équilibres fondamentaux de l’économie. Un droit d’accise étant fondé sur une valeur physique, il ne tient pas compte de la valeur monétaire de son assiette. Un baril à 40 $ passerait à 50 $, et si son cours montait à 80 $, le prix final deviendrait 90 $. Ce dispositif d’accise (désignant un droit « d’accès » au marché) permettrait de lever immédiatement pas moins de 300 milliards de dollars, rien que sur le pétrole.
Cette mesure étendue au charbon et au gaz pourrait lever très rapidement un Fonds « Climat » de plus de 1000 Mrds $ par an, avant 2020, sans perturber les équilibres économiques. La déprime conjoncturelle des prix des énergies fossiles sur les marchés donne une opportunité historique d’introduire maintenant cette contribution carbone internationale.
Ce nouveau fond « Climat », redistributif au niveau mondial, dont la gestion serait confiée forcément à une organisation mondiale, permettrait de lancer des programmes ambitieux :
- de sanctuarisation de zones naturelles, comme celle du parc de Yasuni en Equateur, qui n’a pu l’être, etc. ;
- de protection et d’adaptation des pays moins développés et très exposés aux effets climatiques ;
- de transition énergétique des pays émergents et développés, ces derniers ayant pour mission de montrer l’exemple par anticipation. Le fonds servirait alors au soutien des investissements bas carbone dans un modèle proche de celui proposé par France Stratégie.[10]

Ce dispositif ne peut être appliqué efficacement qu’à l’échelle mondiale. Il agit en début de chaîne et permet de façon relativement discrète de lever des fonds très importants afin de faciliter le financement des investissements de l’économie circulaire. Pour mémoire nous mentionnons l’Avis du Comité pour la Fiscalité Ecologique portant diagnostic sur la fiscalité et le financement de l’économie circulaire adopté le 12 novembre 2013 ; il avait évoqué sans la retenir cette possibilité au niveau national : « Une évaluation de la pertinence d’une taxe « amont » sur les produits non soumis à des programmes de Responsabilité Elargie du Producteur. »
- Proposition n°2 : TVA circulaire
L’idée est ici de rendre les produits éco-conçus moins chers pour inciter les producteurs à s’y intéresser et les consommateurs à les acheter. C’est le principe de base de la TVA circulaire.
Comme le relève Albrecht en 2006 (2006 : 88-103), le long passé de l’UE dans le domaine des taxes environnementales a montré les limites de ce système de taxation basé sur l’usage de ressources fossiles ou sur les émissions de polluants. Par exemple, les taxes sur l’énergie n’ont pas contribué à réduire la consommation d’énergies fossiles car leur impact sur le prix final est faible. Dans ce contexte, la Fondation 2019 œuvre pour la création d’instruments opérationnels permettant de favoriser l’offre de produits et services responsables, notamment ceux qui s’inscrivent dans une approche d’économie circulaire. Ainsi, la Fondation 2019 propose l’instauration d’instruments de réglage des marchés (sensiblement différents des Market Based Instruments ou MBI).
Au-delà des dispositifs existants (taxes, péages, droits de douane, etc.), le projet d’instauration d’une taxation différentielle, ou TVA circulaire, a pour ambition d’intégrer ces externalités dans le prix global des produits et services. Cela permettrait de rétablir une équité concurrentielle vis-à-vis des producteurs responsables, tout en limitant l’augmentation des dépenses publiques et en permettant au plus grand nombre d’accéder à ces offres responsables sans perte de pouvoir d’achat. En effet, la dépense fiscale consécutive à la réduction de TVA se verrait compensée par la diminution des dépenses publiques liées à la réduction des préjudices reportés sur la collectivité.
Un Proof-of-Concept de cette démarche est lancé officiellement, planifié sur 2017 et le premier semestre 2018.[11] Il réunit des partenaires industriels français dans les domaines du mobilier, de l’électroménager et des services de nettoyage. Essentiellement applicables en B to C sur des produits et services d’utilité incontestée, les outils développées pour la TVA Circulaire pourraient servir à d’autres fins et instruments : appels d’offres d’achats publics « au coût du cycle de vie » ou émission de monnaie complémentaire en rétribution du gain d’externalités.
Ce dispositif constitue un puissant levier en B to C capable de mobiliser toute la chaîne de production (B to B). Il est très incitatif pour accélérer l’introduction de matières recyclées dans les articles mis sur le marché, répondant ainsi à l’obstacle majeur ressenti par les acteurs de la filière : le manque de demande en matières recyclées et le faible consentement à payer des matières recyclées de haute qualité.
Basé sur une approche de cycle de vie, il prend en compte à la fois les efforts d’allègement (offrir mieux avec moins) ainsi que ceux qui permettent d’allonger la durée de vie des produits par stratégie de réparabilité ou de durabilité fonctionnelle.
- Proposition n°3 : achats publics au coût du cycle de vie (CCV)
La notion de coût du cycle de vie permet de prendre en compte certains coûts externes (externalités) supportés par la société. Il convient de ne pas la confondre avec le coût global qui englobe seulement les coûts d’acquisition et l’ensemble des coûts d’utilisation, de maintenance et de fin de vie supportés directement par l’acheteur, mais pas le coût des externalités.
Le coût du cycle de vie (CCV) est basé sur une approche par unité fonctionnelle de type « Cycle de Vie ». Cette approche est susceptible de prendre en compte l’ensemble des étapes de tous les composants des produits et services. La monétarisation des résultats permet d’agréger un certain nombre d’indicateurs sous forme de valeur monétaire.
La norme ISO 20400:2017 [Achats responsables – Lignes directrices] fournit aux organisations, quelle qu’en soit la taille ou l’activité, des lignes directrices pour intégrer la responsabilité sociétale dans leur processus achats, comme décrit dans l’ISO 26000. Elle est destinée aux parties prenantes impliquées dans ou impactées par les décisions et processus achats.
Ce dispositif constitue un puissant levier capable de mobiliser toute la chaîne de production. Il est très incitatif pour accélérer l’introduction de matières recyclées dans les articles mis sur le marché, répondant ainsi à l’obstacle majeur ressenti par les acteurs de la filière : le manque de demande en matières recyclées et le faible consentement à payer des matières recyclées de haute qualité.
Tout comme le dispositif de TVA Circulaire, ce dispositif basé sur une approche de cycle de vie prend en compte à la fois les efforts d’allègement (offrir mieux avec moins) ainsi que ceux qui permettent d’allonger la durée de vie des produits par stratégie de réparabilité ou de durabilité fonctionnelle.
- Proposition n°4 : adapter les TGAP de mise en décharge et incinération (TGAP)
La taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) « déchets » est une taxe comportementale, destinée à inciter au recyclage en augmentant le coût de la mise en décharge et de l’incinération. Sa recette n’est malheureusement, qu’en partie, affectée au financement d’actions visant en priorité la réduction de la production de déchets ainsi que l’augmentation de la valorisation des déchets.[12] Une réaffectation totale de la TGAP aux actions de développement de l’économie circulaire enverrait un message clair et contribuerait à rétablir un climat de confiance autour des questions de fiscalité écologique.
Cette action sur les coûts doit être accompagnée d’un plan de gestion des déchets ainsi déviés de la mise en décharge, pour éviter les effets pervers : mise en décharge sauvage ou exportation illégale de déchets par exemple. C’est ainsi que l’Allemagne, le Royaume-Uni et le Danemark ont, simultanément à l’augmentation du coût de la mise en décharge, mis en place des politiques favorisant la valorisation matière et la valorisation énergétique de ces déchets à certaines conditions.
Ce dispositif à lui tout seul ne pourra corriger les situations de concurrence déloyale qui persistent en Europe et qui constituent un signal redoutable pour décourager les initiatives de collecte et de recyclage en B to B.

Cette action, permet indirectement de mieux rémunérer certaines filières de recyclage (consentement à payer un Gate Fee par le détenteur du déchet) et d’encourager leur développement.
- Proposition n°5 : Mettre en place une tarification incitative sur les déchets ménagers
Une telle tarification consiste à faire payer les usagers du service de gestion des déchets selon les quantités qu’ils produisent. Ce système concerne aujourd’hui 5 millions d’habitants en France. Il s’avère très efficace pour inciter au tri et à la réduction des déchets : dans les collectivités où il est appliqué, les quantités d’emballages et papiers triés augmentent d’un tiers et les quantités de déchets non triés sont réduites d’un tiers.
Les comportements des usagers commencent à changer dès l’année précédant l’entrée en vigueur de la tarification incitative. Ainsi, la préparation et l’accompagnement de cette mesure (information des usagers, mise à disposition de composteurs, etc.) sont des éléments essentiels de son efficacité.[13]
- Proposition n°6: Interdire par étapes l’accès des déchets non dangereux aux centres d’enfouissement
L’Allemagne a décidé d’interdire la mise en décharge en 2005. Depuis cette date, seuls les déchets prétraités comprenant moins de 5 % de carbone organique et les déchets inertes sont dorénavant acceptés en décharge. Ce mécanisme présente les avantages d’une forte augmentation du taux de captation disponible pour le recyclage (mais sans garanties absolues), voire la production de CSR ou l’incinération avec récupération d’énergie.
Cette action sur les flux doit être accompagnée d’un plan de gestion des déchets ainsi déviés de la mise en décharge, pour éviter les effets pervers : mise en décharge sauvage ou exportation illégale de déchets par exemple.
- Proposition n°7 : Imposer par étapes des matières recyclées dans les produits neufs
La transition vers l’économie circulaire pourrait être effectivement engagée au moyen d’un premier pas, prudent mais décisif, à savoir imposer progressivement, dans les produits et équipements neufs à destination des consommateurs et de l’industrie, une proportion minimale, d’abord faible, puis croissante par seuils au cours des années suivantes, de matières premières recyclées d’un côté, et de matières biosourcées de l’autre.
Cela ne pourrait se faire que dans le cadre d’une directive européenne, adaptée aux différents secteurs d’activité, dont le gouvernement français pourrait lancer l’initiative. Des incitations fiscales aux entreprises devançant les échéances pourraient s’y ajouter.
Déjà depuis une dizaine d’années, les constructions publiques du canton de Genève comportent un pourcentage imposé de béton recyclé.[14]
Ces deux dispositifs (6 et 7) constituent des contraintes fortes mais combinées entres-elles, elles peuvent plus facilement être mises en œuvre par les agents économiques et produire rapidement des effets sans provoquer un basculement non souhaitable entre décharge et incinération.
STRATÉGIES DE DÉPLOIEMENT DES PROPOSITIONS
Le schéma suivant positionne les différentes propositions par rapport aux critères de facilité de mis en œuvre et d’impact potentiel sur la transition vers une économie circulaire.
Cette représentation permet aussi d’envisager quelles seraient les séquences de déploiement (par groupe de mesures), lesquelles permettraient à leur tour d’augmenter encore l’acceptabilité des mesures ainsi que leur efficacité.
- L’imposition de MPS (matières premières secondaires) et l’interdiction séquentielle des décharges peuvent se compléter utilement par étape.
- La crainte légitime d’une dépense fiscale non immédiatement compensée par la réduction des dépenses publiques consécutives à la baisse des externalités de la TVA Circulaire, pourrait justifier de coupler le dispositif TVA CIRC avec celui de l’augmentation des TGAP.
- De la même façon, le dispositif Achats Publics au CCV pourrait être avantageusement couplé avec la Tarification Incitative au niveau des collectivités.
La proposition d’Accise sur les Matières Premières a été abandonnée à ce stade de l’étude.
Ainsi le séquençage de ces mesures pourrait être envisagé de la façon suivante :
Chaque mesure comportant un risque de déséquilibre budgétaire se voit ainsi précédée d’une mesure anticipant ce risque. Le séquençage permet ainsi de monter graduellement en puissance sans déstabiliser les équilibres économiques tant privés que publics.
Romain Ferrari – Fondation 2019
BIBLIOGRAPHIE
Arnsperger Christian et Bourg Dominique. 2017. Ecologie intégrale, Pour une société permacirculaire. Paris : Puf.
Grosse François. 2010.“Is recycling “part of the solution” ? The role of recycling in an expanding society and a world of finite resources. S.A.P.I.E.N.S [Online], 3 (1). URL : http://sapiens.revues.org/906
Johan Albrecht. 2006. “The use of consumption taxes to re-launch green tax reforms”. International review of Law and Economics. 26 (1) : 88–103
NOTES
[1] UNEP, Global Material Flows And Resource Productivity, http://www.fondation-2019.fr/ged/public/resources/view/9409
[2] Somme de l’extraction intérieure de matières brutes et des importations de matières brutes et de produits manufacturés, de laquelle est déduite l’exportation de ces mêmes matières et produits.
[3] Indicateurs nationaux de la transition écologique vers un développement durable (Indicateurs SNTEDD 2015-2020) http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/indicateurs-indices/li/indicateurs-nationaux-transition-ecologique-vers.html
[4] Exemple : MTB Recycling https://www.mtb-recycling.fr/fr/
[5] The Growing Role of Minerals and Metals for a Low Carbon Future, World Bank 2017, http://www.fondation-2019.fr/ged/public/resources/view/10085
Séminaire du COMES sur les métaux de la transition énergétique http://www.fondation-2019.fr/ged/public/resources/view/10084
Green Energy Choices: The benefits, risks and trade-offs of low-carbon technologies for electricity production http://www.fondation-2019.fr/ged/public/resources/view/10082
Métaux de la transition énergétique http://www.fondation-2019.fr/ged/public/resources/view/10081
[6] La French Fab, c’est la manière française de faire de l’industrie, c’est l’écosystème de l’industrie française qui est trop méconnu et qui mérite toute notre considération http://www.bpifrance.fr/A-la-une/Dossiers/La-French-Fab
[7] D. Bourg, C. Arnsperger, « Vers une économie authentiquement circulaire – Réflexions sur les fondements d’un indicateur de circularité », OFCE n°145 février 2016, http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/6-145.pdf
[8] Voir l’excellente analyse : « Comparaison internationale des politiques publiques en matière d’économie circulaire », Études et documents – Numéro 101 – Janvier 2014, http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/ED101.pdf
[9] Article Les Echos 22 mars 2016 p10 COP21 : transformer les bonnes intentions en actions de Romain Ferrari, Serge Orru et Christian de Perthuis
[10] ] Une proposition pour financer l’investissement bas carbone en Europe http://www.fondation-2019.fr/ged/public/resources/view/7595
[11] MODEXT (ProServ), pour Modélisation des Externalités Environnementales, Produits Manufacturés ou Services http://www.fondation-2019.fr/wp-content/uploads/2017/06/Fondation-2019-MODEXT-v3.2-PDF-.pdf
[12] Pourquoi il faut améliorer la taxe sur l’élimination des déchets ? http://www.fondation-2019.fr/ged/public/resources/view/9330
[13] Déchets ménagers : efficacité de la tarification incitative http://www.fondation-2019.fr/ged/public/resources/view/9475
[14] D. Bourg, R. Ferrari et F. Grosse, « Economie circulaire : imposer des matières recyclées dans les produits neufs », lemonde.fr, 9 juillet 2017, http://www.lemonde.fr/tribunes/article/2017/07/09/economie-circulaire-imposer-des-matieres-recyclees-dans-les-produits-neufs_5158140_5027560.html#PMwCCRcGY3HOH5gO.99
POUR CITER CET ARTICLE
Ferrari Romain. 2017. Développer l’économie circulaire en France, par une succession d’incitations économiques et de mesures réglementaires, fortes. lapenseeecologique.com. Points de vue. 1(1). URL: https://lapenseeecologique.com/developper-leconomie-circulaire-en-france-par-une-succession-dincitations-economiques-et-de-mesures-reglementaires-fortes/