Nous publions, au titre de bonnes feuilles, un extrait d’un livre collectif qui ne paraîtra pourtant qu’en mai 2021 aux Puf, Désobéir pour la Terre. État de nécessité (sous la direction de Dominique Bourg, Clémence Demay et Brian Favre). Il nous a toutefois paru opportun de publier sans attendre le dernier chapitre de cet ouvrage. Rédigé par un juriste-philosophe, spécialiste de méthodologie juridique, le Professeur Alain Papaux de l’Université de Lausanne, il nous apporte des éclaircissements décisifs. Ces derniers permettent de couper court aux commentaires à l’emporte-pièce, dont nous avons été gratifiés après le récent jugement du tribunal de Genève sur l’affaire des « mains rouges » et du Crédit suisse ; cela avait été aussi le cas après le jugement du tribunal de Renens, en janvier dernier, au sujet des joueurs de tennis au sein d’une succursale lausannoise du même Crédit Suisse. L’article d’Alain Papaux est d’autant plus intéressant qu’il ne tanche nullement sur le fond. Il éclaire simplement le travail nécessairement interprétatif du juge et le fonctionnement de la jurisprudence. Et c’est pourquoi nous ne pouvons qu’en recommander instamment la lecture.
Nous ne reprendrons pas ici l’ensemble des commentaires produits à l’occasion des ces deux affaires. Ils ont été, et c’est on ne peut plus normal, contrastés. Rappelons ceux de l’ancien juge fédéral Niklaus Oberholzer favorables aux activistes climatiques (https://www.tagesanzeiger.ch/schweiz/standard/im-kalten-krieg-haette-ein-richter-die-aktivisten-wohl-verurteilt/story/13050425). Sur un tout autre plan, mentionnons l’intervention d’Alain Macaluso sur les ondes de la RTS, dans la foulée du jugement, le 20 octobre dernier, lors de l’émission Forum. Alain Macaluso a été présenté comme professeur de droit et de procédure pénale à l’Université de Lausanne, également. Le problème en l’occurrence n’est pas qu’Alain Macaluso n’ait pas apprécié la décision du juge. Non, le problème est autre : 1) les raisons données à l’appui de son appréciation ; 2) le fait qu’il n’ai jamais été mentionné pour l’auditeur de la RTS que ce Monsieur est par ailleurs avocat du Crédit suisse (https://www.rts.ch/info/economie/6744932-un-gerant-de-fortune-proche-de-credit-suisse-implique-dans-une-escroquerie.html ; https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/de/php/aza/http/index.php?highlight_docid=aza%3A%2F%2F04-05-2018-1B_526-2017&lang=de&type=show_document&zoom=YES&) ; 3) que ce avis ait été repris par le site Avis d’experts (http://adetemp.ch/videos/view/12093 ), commun à l’Unil et à la RTS pour valoriser l’expertise des universités romandes. Le point 1 relève de la faiblesse intellectuelle ; le point 2 de la malhonnêteté ; le point 3 d’un détournement d’une procédure par ailleurs intéressante. Qu’a dit Monsieur Macaluso ? Il a qualifié le jugement du tribunal de Genève d' »acte politique », de décision « contraire au droit fédéral », lui a reproché de ne pas avoir « appliqué le droit » et d' »interprétation libre », d' »arbitraire ».
Nous comprenons bien qu’avocat du Crédit suisse, Monsieur Macaluso, s’il avait été juge, aurait jugé autrement. Soit. Il est en revanche, point 1, absurde dire que le jugement est contraire au droit, tout simplement parce que la loi s’interprète, et ne peut que s’interpréter, et qu’il en va précisément du rôle du juge ; ce qu’il aurait dû dire s’il avait parlé en tant que professeur et non avocat, tout en argumentant à l’encontre de l’interprétation retenue par le juge. La loi s’interprète d’autant plus qu’elle doit permettre au juge de statuer sur une réalité mouvante, en l’occurrence très différente de ce que nous connaissions quant à l’urgence du changement climatique, il y a quelques années et décennies. Même les constructions les plus formelles de la physique donnent lieu à interprétations, notamment celles qui opposent les tenants du hasard à ceux du déterminisme pour la physique quantique. Alors la loi rédigée en langage naturel, cherchant à couvrir une réalité sociale mouvante …. échappera d’autant moins à l’interprétation. Le nier revient à confondre positivisme et bêtise. Le point 2 se passe de commentaires, il relève d’un manquement à la morale la plus élémentaire, à laquelle tant notre professeur-avocat que la RTS se sont scandaleusement soustraits. Qu’ensuite, un tel avis, si éhontément partisan, soit repris au titre d’une expertise à laquelle il ne saurait prétendre, ajoute au scandale.
Dominique Bourg
“Civic” disobedience and reviviscence of the “common good”: misinterpretations and misuses
of climate-related court rulings
We are publishing an excerpt from a collective book which will only be released in May 2021, at the University Press of France: Disobeying for the Earth. Climate Necessity. (Directed by Dominique Bourg, Clémence Demay and Brian Favre). Yet, it appeared to us that publishing the concluding chapter of the work without delay would be timely. It was authored by the jurist and legal theorist Professor Alain Papaux from the University of Lausanne and bears enlightening insights. These insights allow us to cut short the rash comments with which we have been gratified following the recent ruling from the Geneva court of law on the case of the “red hands” and Crédit Suisse. This had also been the case after the Renens court ruling last January, regarding the tennis players in a branch office of the aforementioned Crédit Suisse. Alain Papaux’s article is particularly interesting since it does not substantively settle the matter. It simply sheds light on the necessarily interpretative labor of the judge and on the workings of jurisprudence. That is why we highly recommend its reading.
We will not go over the entirety of the comments produced following both cases. They were, as can be expected, of contrasting tone. We can recall those of the former Federal justice Niklaus Oberholzer, which were favorable to the climate activists (https://www.tagesanzeiger.ch/schweiz/standard/im-kalten-krieg-haette-ein-richter-die-aktivisten-wohl-verurteilt/story/13050425). Of a wholly different tone, we can mention Alain Macaluso’s intervention, broadcasted on the RTS radio shortly after the court ruling was issued, on October 20th, during the program Forum. Alain Macaluso was introduced as a professor of law as well as criminal procedure at the University of Lausanne. The quandary at hand is not that Alain Macaluso took issue with the judge’s decision. The problem lies elsewhere: in 1) the reasons given to support his opinion; 2) the fact that the audience was never informed of Mr. Macaluso’s function as Crédit Suisse’s lawyer (https://www.rts.ch/info/economie/6744932-un-gerant-de-fortune-proche-de-credit-suisse-implique-dans-une-escroquerie.html ; https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/de/php/aza/http/index.php?highlight_docid=aza%3A%2F%2F04-05-2018-1B_526-2017&lang=de&type=show_document&zoom=YES&) ; 3) the fact that this opinion was adopted by the site Avis d’experts (http://adetemp.ch/videos/view/12093 ), shared by the RTS and the University of Lausanne to valorize the expertise of the universities of Romandy. The first point denotes sheer intellectual weakness; the second, dishonesty; the third derives from the hijacking of an otherwise interesting procedure. What did Mr. Macaluso say? He called the ruling of the Geneva court a “political act”, a decision “contrary to federal law”, and reproached it for failing to “apply the law”, for its “free interpretation”, for its “arbitrariness”.
We understand that Mr. Macaluso, as Crédit Suisse’s lawyer, would have ruled differently, had he been the judge. Granted! Nonetheless, it is (1) absurd to say that the ruling is contrary to the law, simply because the law is interpreted, and can only be interpreted, and that that is precisely the role of the judge ; which he should have said, had he spoken as a professor instead of a lawyer, whilst arguing against the interpretation followed by the judge. The law is interpreted all the more as it is supposed to allow the judge to statute on a changing reality – in this case one very different from what we knew regarding the urgency of climate change a few years and decades ago. Even physics’s most formal constructions give way to interpretation; notably, in the case of quantum physics, those opposing the proponents of chance to those of determinism. So the law, written in natural language, striving to cover a shifting social reality… cannot escape interpretation. Denying this fact means confusing positivism and foolishness. The second point does not require commenting, it indicates a breach of the most elementary morality, of which both our professor-lawyer and the RTS are guilty. The fact that such a blatantly partisan opinion was then adopted under the guise of an expertise to which it cannot lay claim, only exacerbates the scandal.
Dominique Bourg
Par Alain Papaux, Professeur ordinaire aux Facultés de droit et de Géosciences et environnement, Université de Lausanne.
Deux idées maîtresses défendues dans ce texte consacré à l’urgence d’une saine compréhension des décisions de justice pour le droit climatique, dans le souci de ne pas polluer davantage le débat écologique.
D’une part, que la désobéissance civique – présentée et discutée dans ce collectif d’articles – réhabilite le « bien commun » essentiel ou « naturel », seul horizon politique propre à soutenir un véritable « droit climatique », au rebours des triviales « agrégations » de préférences individuelles et autres additions de bonheurs égoïstes dans les différentes déclinaisons utilitaristes qui fondent au mieux un « intérêt commun » dénommé par erreur (philosophique) « bien vivre ensemble » ou « bien commun » pourtant accidentel seulement.
D’autre part, que les juristes, emportés souvent par leur militantisme (anti-environnementalistes comme pro-écologiques), ont perdu le sens de la mesure (c’est-à-dire du droit) et de la nuance dans la lecture des décisions de justice, un « sens des possibles » que Christian Huglo déploie ici dans la lucidité comme dans l’humilité de la démarche juridique, à laquelle il faut se garder de prêter plus qu’elle ne peut rendre, rendre justice simplement humaine en effet, jugements à jamais imparfaits.
Les deux lignes d’argumentation iront se mêlant, l’oubli de la première conduisant aux errances de la seconde.
Pour empoigner à bras le corps le problème de la qualification juridique (possible ou non) de l’urgence climatique comme état de nécessité, nous analyserons les positions adoptées dans le débat public par des praticiens, avocats en l’occurrence, donnant à voir les mésinterprétations comme les mésusages du droit, invitant dès lors à lire avec bienveillance la foi, bonne mais souvent mal placée, des désobéissants (non professionnels du droit) en la justice.
La réception dans les milieux intéressés, écologistes et juridiques, de la décision du tribunal de première instance dans l’affaire du match de tennis dans une succursale du Crédit suisse, c’est-à-dire dans telle affaire, ce dossier-ci, montre en effet, une incompréhension profonde de ce qu’est un jugement, par voie de conséquence de sa possible portée juridique et sociale.
Les commentaires du jugement ont donné lieu à une symétrie des erreurs dans la manière d’investir le pouvoir de la justice ou du droit en général, erreur oscillant d’un juge maître de (la) justice à un juge esclave de la loi[1]. Erreurs symétriques sur les liens entre loi et cas contaminant aussi bien les thuriféraires d’un activisme judiciaire débridé, par influence de la culture nord-américaine (qu’ils honnissent par ailleurs) que les sectateurs d’un musellement des juges, condamnés à n’être littéralement que les « bouches de la loi », suivant une conception livresque du droit, dite « légalisme » (réduction de tout le droit à la seule loi), ignorant complètement la pratique juridique et la finalité même du droit : dire le juste dans le cas concret, fût-ce à partir de la loi.
Ignorance de l’essence du droit d’autant plus coupable qu’elle est le fait d’avocats, appelés à commenter (lors d’une émission télévisée en l’occurrence) le jugement lausannois portant sur la possible qualification juridique de l’urgence climatique comme « état de nécessité », au sens pénal de l’expression.
Il siéra de montrer, d’une part que le juge est bel et bien le ressort le plus dynamique du droit, lequel n’est figé que par l’habitude et non en soi ; tout y est choix ; dès lors rien ne s’oppose à la qualification de l’urgence climatique comme état de nécessité, sinon l’absence de volonté politique (qui équivaut déjà à un choix axiologique), ouvrant en creux quelque espoir en le « judiciaire environnemental » qu’exposent les présentes contributions. D’autre part, que le juge n’est pas Jupiter, partant que tout jugement n’est pas à même de faire jurisprudence, qu’en droit l’espérance aucunement ne garantit l’extension par analogie de tel arrêt aux occurrences à venir.
1 – Que se taisent les juges : la loi a tout dit. Ou de la mécompréhension du bien commun
Ainsi un parlementaire helvétique a-t-il pu réagir en dénonçant des juges qui se permettaient d’interpréter la loi, sans la moindre légitimité politique, le législatif constituant le pouvoir suprême en démocratie.
Nous ne retiendrons ici que trois erreurs, les plus grossières, témoignant d’une incompréhension profonde du phénomène juridique, dignes d’être relevées en ce qu’elles obscurcissent ce que le citoyen peut raisonnablement attendre du droit en matière environnementale.
A) Une vision sclérosée de la séparation des pouvoirs
En premier lieu, une conception naïve et formaliste de la séparation des pouvoirs, les affirmant distincts absolument, sans influence réciproque, à tout le moins des inférieurs sur le supérieur. En termes de force, le supérieur, le législatif, adopterait ce que bon lui semble. Ce « fait du prince » trouve un démenti dès l’examen le plus superficiel de l’institution judiciaire, l’existence de tribunaux administratifs, a fortiori de cours constitutionnelles, soit le judiciaire contrôlant en pratique le législatif, lequel récupère certes, en théorie, sa primauté par le motif d’une délégation formelle – précisément, à la forme – laissant des choix axiologiques importants dans l’exercice concret du pouvoir de contrôle juridictionnel. La notion anglo-saxonne (nôtre aussi sous les apparences) des checks and balancies reflète mieux l’équilibre dynamique des pouvoirs et contre-pouvoirs entre les trois organes et en leur sein.
Le contrôle mesuré du législatif ou de l’exécutif par le judiciaire au sens large constitue-t-il vraiment un empêchement de la démocratie, à l’exemple des politiques publiques conçues dans certains systèmes juridiques, la France notamment, comme des instruments juridiques dont le bon exercice est redevable des tribunaux ? Les Pays-Bas ont-ils perdu leur qualité de démocratie par la défaite du gouvernement face à des associations environnementalistes dans l’affaire Urgenda ? C’est bien peu comprendre à la démocratie comme vivante et au droit comme dynamique que de le prétendre.
La cause écologique permet au rebours un approfondissement de nos institutions en les interrogeant comme la recherche sur le principe la désobéissance civile, en ce sens véritablement civique. Civique dans l’acception romaine du terme, civis, le citoyen, à l’instar du droit civil romain, le vénérable ancêtre de la méthodologie juridique, certes actualisée, de nos systèmes juridiques contemporains et surtout le porteur d’un esprit global du droit, dans sa dimension anthropologique d’humanisation, de socialisation, et non d’individualisation, d’atomisation de l’homme.
N’est-ce pas cette dimension collective du juridique que tente de réhabiliter le droit de l’environnement ? Le juridique le plus originel, savoir la mesure et non la « con-formité », le respect de la mesure et non la servitude de la forme, sauf à confondre la fin et le moyen[2].
Une essence collective ressuscitée dans l’esprit (en droit international public notamment, dans le patrimoine commun de l’humanité ou l’Autorité des fonds marin agissant au nom de l’humanité selon la Convention sur le droit de la mer de Montego Bay, par exemple[3]), la pratique juridique actuelle ne pouvant suivre en raison de la structure du droit moderne, au sein de laquelle le bien commun ne peut être qu’accidentel, contrat social oblige ; en l’occurrence absout de tous devoirs, sur le principe, en ce qu’ils équivalent à autant de diminutions de la liberté individuelle, suivant le présupposé que l’individu s’« auto-crée » citoyen, que la citoyenneté n’est en rien « naturelle », l’appartenance au collectif « à disposition » de toutes les velléités.
Où se déplie une nouvelle confusion entre le principe – on ne peut pas ne pas appartenir à des collectifs, ce que la fréquentation intense (jusqu’à l’addiction) des réseaux sociaux corrobore de la plus vive façon, – et les modalités – telle organisation du collectif, qui peut disconvenir, engageant alors à lutter pour son changement. Dans cette distinction se love la désobéissance civile-civique classique, au sens d’intégrant le respect des institutions, dans leur esprit, savoir l’acceptation du droit, laquelle ne se réduit pas à une soumission aveugle à la loi, quel qu’en soit le contenu ; de là les marges pour interroger tel type de société ou de citoyenneté. Qui contestera que le cri d’Antigone fût trop souvent étouffé au 20e siècle, et retenu aujourd’hui encore ? Et pourquoi ne pas faire la sourde oreille, à la manière de l’« action par omission », figure précieuse de la responsabilité pénale ? Un authentique choix politique, qu’il conviendrait toutefois d’assumer.
Affirmé ici : qu’il existe des lois injustes – et nous ne disons pas que ne pas inscrire l’urgence climatique dans l’état de nécessité est injuste, mais qu’il s’agit d’un choix, qui partant pourrait être autre – et qu’il n’est pas sain de postuler que toute loi est nécessairement juste, ce qui est non seulement prétentieux d’un point de vue politique, mais logiquement erroné, puisque la loi n’étant que générale et abstraite, elle ne peut garantir que la solution de son application dans un cas est nécessairement juste. Raison pour laquelle les études portant sur le juridique ne devraient jamais se contenter du law in books – à cette aune, le droit de l’environnement, en particulier international, serait admirable avec ses centaines de conventions… et un état de la planète toujours plus déplorable – mais regarder au law in action, là où l’on mesure l’engagement réel des acteurs, la normativité effective de la loi telle que dite par la « juri-diction », réalisée par la parole du juge et non simplement annoncée par le législateur[4] ou pérorée par la diplomatie internationale.
D’où la symétrie des erreurs. Du côté des désobéissants, il ne suffit pas d’arguer de sa propre conception de la justice pour justifier sa position, sincérité qui ne la rend pas ipso facto civique, c’est-à-dire collective. Du côté des autorités, il ne suffit pas d’exhiber des « bons » textes juridiques pour couper court aux remontrances, mais s’appuyer sur le bilan des applications, le « droit en acte », law in action, les décisions de justice singulièrement.
Rien n’interdit dès lors d’interroger la loi dans un esprit constructif par des actions citoyennes, pourvu qu’elles n’excèdent pas la mesure, critère ultime du droit, dénommé encore équité, l’une des « raisons juridiques » (ratio iuris) décisive du jugement « bienveillant » (cf. Ch. Huglo dans ce volume) de la première instance lausannoise. Le juge doit certes rester le maître de l’évaluation de cette marge, mais sans elle aucune désobéissance civique n’est possible. En revanche, affirmer cette marge inexistante n’est jamais qu’un choix, idéologique, celui du légalisme : tout le droit tiendrait dans la loi. Dès lors, hors loi, hors droit ; étouffé le cri d’Antigone…
Cette position d’un juge simple bouche de la loi, démentie par la pratique juridique, constitue pourtant la doctrine philosophique dominante dans le monde juridique dit (pourtant) « civil law » (droit continental, par contraste avec la common law anglo-saxonne), dénommée positivisme juridique légaliste, davantage de l’ordre du discours que des actes ; ce qui laisse apparaître un rôle positif de la désobéissance civique sur le plan de notre représentation du phénomène juridique : la réhabilitation du choix comme ressort ultime du droit[5].
N’en déplaise : en toutes époques de la civilisation occidentale (la seule pertinente pour notre propos), le bien commun constitua le principe organisateur de la Cité et l’horizon d’accomplissement d’une vie humaine réussie, seuls les philosophes modernes y ayant lu une absorption de l’individu dans le collectif, confondant assujettissement au collectif et exhaussement dans la Cité et par elle, dans l’oubli des enseignements de L’Apologie de Socrate.
Mais la notion de « bien commun » s’avère aujourd’hui d’appréhension juridique délicate, le droit moderne ayant construit sa logique à partir du seul individu, homme désincarné, hors sol et partant hors nature. Le bien commun est, en effet, d’esprit inverse, un « […] ensemble de valeurs et d’institutions dans lesquelles tout citoyen raisonnable (c’est-à-dire usant de sa « raison pratique ») se reconnaît en tant qu’elles le grandissent et l’accomplissent comme membre de ce collectif, une communauté qui le finalise dans son être, l’exhausse comme homme bien plus qu’elle ne l’absorbe comme individu. Le bien commun est une notion philosophique et politique, une Idée et des pratiques qui fondent et maintiennent la Cité comme un tout, ce tout étant le milieu naturel d’exercice de l’essence humaine zoon politikon »[6].
Ce bien commun disparu, l’espace pour la désobéissance « civique » n’en devient que plus restreint. Insistons sur « civique » pour souligner le lien intime avec le politique, selon une acception plus large que le sens technique de droits civiques ou droits politiques. Un politique affadit, que traduit le droit devenu « domestique », au détriment de l’espace public, le seul réellement politique, celui de la res publica : « depuis l’accession de la société, autrement dit du « ménage » (oikia qui donnera Oekonomie) ou des activités économiques, au domaine public, l’économie et tous les problèmes relevant jadis de la sphère familiale sont devenus des préoccupations « collectives ». »[7] La chose publique devient domestique, subit la logique privée, consacrée à la seule poursuite des intérêts personnels de l’Individu, de la domus (la maison privée). Le (bien) commun n’a plus « droit de cité » parce qu’il ne fait plus la Cité, simple conglomérat désormais, dans une veine utilitariste appauvrie encore par l’économicisme. Cet affadissement du bien commun se remarque à la place centrale qu’occupe dans le droit moderne la sanction, seule à pouvoir imprimer et garantir une certaine convergence aux actions individuelles, même en cas de menace collective immédiate comme une pandémie[8].
Arendt a-t-elle écrit sur le thème de la désobéissance pour tenter de réhabiliter un peu le politique, le civique au sein de nos sociétés trop « domestiques », selon un double dépassement soutiendrions-nous. De l’absence de bien commun d’une part, du côté de maints détracteurs de l’écologie, l’usage du droit privé n’étant plus interrogé, comme s’il était ontologique, et en ce sens absolu, alors que la liberté individuelle poussée à son extrémité, le néolibéralisme (qui n’a que très peu à voir avec le libéralisme), détruit le droit privé, le marché y compris, puisqu’il conduit inexorablement à des monopoles, même au pays de la dogmatique libre concurrence que sont les États-Unis et leurs GAFA. Du monopole, pourtant partiel et partial, du bien commun dans la sincérité des désobéissants, d’autre part, convaincus d’être dans le « vrai », oubliant que le juste[9] se construit de manière intersubjective partout où règne la contingence (dans les relations sociales éminemment). Au moins peuvent-ils nourrir l’espoir de réveiller les premiers de leur profond sommeil dogmatique.
Comprise en ces termes, la désobéissance civique s’avère affaire de citoyen, amoureux de sa démocratie et cherchant en cela précisément à l’améliorer. Raison profonde pour laquelle le rejet de la violence et l’acceptation de la future condamnation pénale sont souvent des critères avancés par les philosophes pour fonder une désobéissance civile acceptable.
En bref, la désobéissance ne doit pas dépasser la mesure, l’essence même du droit depuis Hésiode au moins et qui, contrairement à une confusion dont les juristes positivistes ou techniciens du droit ont beaucoup de peine de se départir, ne se réduit aucunement à l’ordre du législateur, le commandement, ce dernier pouvant être en effet incommensurable à l’ordre à la totalité, au collectif, l’ordonnancement : le droit n’est pas la loi. La loi n’en est qu’un moyen, un instrument juridique (c’est-à-dire du droit et donc pas le droit), fût-il le plus important en quantité dans nos systèmes juridiques contemporains. La loi n’est qu’une lettre, un des modes d’apparaître du droit, qui plus est statique. Victor Hugo ramasse d’une phrase toute l’infirmité du légalisme : « Tout n’est pas dit quand un code a parlé »[10].
B) Le texte n’est pas la norme… ni le titre la mesure… ni la loi le cas
Pour le formuler dans la terminologie sèche du droit : la séparation des pouvoirs non seulement n’est pas absolue, mais encore est-elle impossible, pointant la deuxième erreur de conception du phénomène juridique : loi (code) et cas ressortissent à des plans logiques différents, la loi étant par définition générale et abstraite alors que le cas est par nature singulier et concret. Aucune inférence automatique, objective, en bref de logique formelle (et en ce sens aucun algorithme), ne permet le passage de la première vers le second. Partant, des jugements de valeurs interviennent nécessairement dans la démarche, qui se révèle ainsi subjective (tout en évitant l’arbitraire), appelant la médiation d’humains tout pénétrés de valeurs et de choix. Une banalité pour tout plaideur, la personnalité du juge et la composition du tribunal, notamment, constituant une donnée à intégrer dans l’argumentation judiciaire.
Le grand écrivain animé de l’esprit de justice ravivait une vénérable distinction aplanie par le formalisme juridique moderne : le titre n’est pas la mesure. Le droit est mesure et la loi l’indique ; et ne peut que l’indiquer, point la commander (l’obéissance est quant à son principe éthique) ni la déterminer à l’avance car la loi n’est que générale et abstraite et le cas singulier et concret. Voilà pourquoi le juge est indispensable, consubstantiel à la loi. Il n’y a pas la loi et le juge mais le juge en la loi. L’exercice interprétatif-constructif[11] de la loi par le juge est d’autant plus créatif que la notion à concrétiser est ouverte… à l’exemple de l’état de nécessité !
C) L’« état de nécessité » comme open texture : une habitude cognitive prise pour une « nature des choses »
Apparaît ici la troisième erreur, l’ignorance de la délégation implicite au juge assortissant nécessairement toutes les notions juridiques de par leur « open texture », les fameuses notions juridiques à contenu variable. Or, toutes les notions fondamentales du droit sont telles, jamais définies, tout juste esquissées : nul ne peut en connaître a priori les termes ou fins, les limites. Pour cause, ce sont des matrices, toujours susceptibles de produire du nouveau, certes dans une continuité tenue selon l’analogie (intégrant ressemblances et dissemblances), mais aux possibilités d’extensions non prévisibles. Le principe de l’état de nécessité n’échappe pas à ce constat scientifique des savoirs croisés de la linguistique, de la sémiotique et de la logique en sa sempiternelle et pourtant toujours ni comprise ni entendue différence de nature entre un type, une proposition générale et abstraite – la loi – et une occurrence singulière et concrète – le cas. Décidément, le droit (législatif comme juridictionnelle) ne se calcule pas, il se juge.
Le droit s’avérant affaire d’argumentation, rien n’empêche sur le principe de faire entrer l’urgence climatique dans l’état de nécessité juridique. Que l’on ne trouve pas convaincant aujourd’hui cette qualification peut parfaitement s’entendre (d’où le succès de l’Appel vaudois) ; que l’on ne peut pas, demain, attribuer cette qualification à l’urgence climatique traduit en revanche une ignorance de ce qu’est le droit, de son essence aussi bien que de son actualisation (son exercice, la vie du droit, sa dynamique), filles de la contingence et du choix. La Chambre d’appel genevoise vient d’ailleurs d’affirmer l’inverse, soit de choisir une autre interprétation. Et la Cour suprême, par la seule vertu procédurale d’être la dernière instance, arrêtera la version qu’elle juge, c’est-à-dire choisit, comme la plus pertinente… pour l’heure.
Sans même discuter le ressort ultime du droit, commun à tous les ordres juridiques, le sentiment de la justice, dont il est difficile d’affirmer qu’il est objectif, identique en tous temps et lieux, immuable. Naguère, les génocides étaient plébiscités et les peines de mort légion…
Le droit peut dès lors évoluer, s’adapter aux nouvelles sensibilités, servir des systèmes de valeurs différents, insufflant l’existence légale à des non-humains, animaux, fleuves ou montagnes, ou inscrivant l’urgence climatique dans une définition renouvelée de l’état de nécessité. Question de temps et de volonté politique, sans qu’aucune « nature des choses » n’y fasse obstacle… au rebours, simple habitude, valant un temps, son temps.
Mais le temps est-il déjà venu de recourir à une ultima ratio (raison ultime et figure exceptionnelle) du droit ou, au rebours, enfin advenu de traduire juridiquement l’urgence climatique afin de prévenir (ralentir seulement) cette catastrophe réelle[12] ?
2 – La jurisprudence ne fait pas toujours… jurisprudence. Ou ne pas prendre ses aspirations écologiques pour des réalités juridiques
Une avocate, d’obédience verte, affirmant, face au parlementaire légaliste, que le jugement allait « faire jurisprudence », sans autre argument que l’évidence de la cause, juste par essence. Si une partie de l’opinion publique pouvait aisément l’entendre, l’observateur juriste mesurait immédiatement l’imprudence de cette opinion, compréhensible dans l’ordre chaud du sentiment, mais inexcusable dans l’analyse froide du droit.
La déception ne tarderait point, histoire d’une désillusion annoncée : Appel victorieux du procureur vaudois et défaite des désobéissants en toute vraisemblance corroborée par la Cour suprême (le Tribunal fédéral). Prendre ses désirs écologiques, aussi respectables et louables soient-ils, pour des réalités juridiques, savoir que la décision favorable dans l’espèce ne peut que s’imposer dans les cas futurs est de bonne rhétorique politique, mais de mauvaise pragmatique juridique. Rien dans la technique juridique, pas plus que dans la théorie du droit, ne permet d’affirmer qu’une décision rendue dans telle espèce fera jurisprudence pour d’autres cours dans des espèces analogues, comme mécaniquement ou par enchantement, un (et non le) juste au triomphe assuré par cette seule qualité. De l’analogie, il faut au reste juger, savoir que les ressemblances entre deux occurrences comparées l’emportent sur les différences ; elle est une construction et non une constatation, une évaluation et non une addition.
L’espérance finira par aveugler la lecture des arguments de l’arrêt, biaisée par le désir d’une avancée écologique jusqu’à passer sous silence les marques répétées de la configuration unique de la conduite jugée exemplaire, en mesure et en retenue en particulier. Le jugement tant désiré « modèle reproductible » met en effet un soin remarquable à souligner l’idiosyncrasie de l’affaire jugée, son caractère éminemment singulier, guère reproductible, témoignant de la parfaite lucidité du tribunal quant à la portée juridique à futur de la décision adoptée. La décision genevoise (en appel), favorable au désobéissant « aux mains rouges », souligne que nul blanc-seign n’est de la sorte donné pour d’autres actes militants.
Ruinée juridiquement sans délai, l’Appel vaudois défavorable venant d’être tranché, le pouvant prévoir sans difficulté, la première instance cherchait bien plutôt à montrer les possibles, à démontrer que l’état de nécessité est une construction juridique, qu’il peut être élaboré d’une autre façon ; que le lien de causalité juridique peut-être étendu à des dangers « non-immédiats » au sens habituel parce que trop diffus suivant les conceptions actuelles, tel le réchauffement climatique, disposant – potentiellement – le droit à une approche plus holistique, plus adaptée aux questions environnementales[13].
3 – Un débat écologique pollué par la confusion du vrai et du juste
La première instance n’a-t-elle pas ouvert une boîte de Pandore ? La philosophie opère des distinctions permettant de séparer le potentiel (possible) du virtuel (utopique ou distopique). Le potentiel est un état du réel, non encore actuel, mais dont le passage à l’acte est inscrit dans l’existant, une tendance, comme le gland vers le chêne : il sera, sauf intervention infléchissant la trajectoire encore contenue, à l’exemple paradigmatique du réchauffement climatique. Le virtuel désigne seulement ce qui pourrait être, pouvant tout aussi bien ne jamais advenir (avec ou sans intervention humaine), une option ontologique sans pré-inscritpion dans le réel.
Le virtuel est étranger au droit, sauf extension démesurée, imprudente, alors que le potentiel doit y entrer, certes suivant le degré d’anticipation politiquement recevable dans la Cité concernée, en considération du juste.
En synthèse, en droit rien n’est écrit dans le marbre. On oublie d’ailleurs que même dans les sciences dures, régies pourtant par un principe de nécessité des relations observées, les théories scientifiques changent, une mutabilité valant a fortiori pour les domaines gouvernés par la contingence et le choix, le droit et la politique éminemment.
Derrière la confusion des relations nécessaires et des rapports contingents se cache une erreur épistémologique grave en ce qu’elle pollue le débat écologique, devant les cours de justice en particulier, un fourvoiement difficile à identifier parce que lové en toute discrétion dans l’ambivalente notion générique d’écologie : l’écologie comme science des habitats recherche le vrai, comme mouvement citoyen ou politique poursuit une certaine conception du juste.
Rapprocher vrai et juste est sans doute sain, surtout en droit pénal, mais s’avère bien plus complexe que ce qu’attendrait l’opinion commune ou le juriste de base. L’expression « état de nécessité » frise l’oxymore, à l’instar de « droit naturel » : en excluant le choix, le nécessaire nous sort du droit, raison pour laquelle l’infraction est lavée et la responsabilité dissoute dans l’état de nécessité. Mais la nécessité juridique n’est pas « ontologique », ne ressortit pas à la nature (des choses) : l’agent peut décider de ne pas sauvegarder l’entité menacée, alors qu’aucun choix ne nous ait laissé par les lois de la nature ; leur désobéir ne se peut.
La confusion des genres juste et vrai[14] induit souvent la mécompréhension de la portée juridique d’une expertise scientifique, un point délicat mais décisif pour tout le droit de l’environnement et plus globalement la justice climatique.
Remarquons en premier lieu que la preuve se trouve définie dans le code de procédure, sélectionnant ce qui existera en droit et ce qui demeurera à l’extérieur de la sphère juridique, selon le critère du juste et non pas du vrai comme le montre l’inadmissibilité des preuves illégales en matière de délit ou la présomption d’innocence ou le principe de précaution : un juste dit en l’absence de vrai établi, malgré cette absence, et sans que ce juste n’en perde pour autant sa légitimité. En ce point, se dessine une seconde médiatisation, celle de la traduction du vrai en juste.
Le droit n’a rien à dire sur le phénomène scientifique du réchauffement climatique, ce dont s’est soigneusement gardé le tribunal, l’évaluant en tant que « fait juridique » configuré pour entrer dans une certaine catégorie du droit, l’état de nécessité en l’occurrence. Les indices scientifiques jouent un grand rôle dans cette opération de traduction du vrai en juste, mais n’imposent rien dans l’ordre du juste. Sauf à rejouer l’« erreur naturaliste », dénoncée par Hume déjà, à savoir prétendre déduire le ought du is, à l’abri de tout choix, une inférence selon un rapport de nécessité, une objectivité qu’aucune logique n’autorise.
Conclusion. Que telle définition de l’état de nécessité n’est nullement nécessaire
La distinction du vrai et du juste porte quelque lumière sur l’examen de la catégorie juridique « état de nécessité ». Cette « nécessité juridique » n’est pas ontologique, elle ne ressortit pas à la nature (des choses). A ce titre, le réchauffement climatique ne commande ni ne décrète la taxe carbone de lui-même, soulageant de la sorte bien des débats parlementaires ; on peut ne pas l’adopter, ne pas se soucier du réchauffement climatique, mais on doit alors l’assumer, fût-ce sous la forme de l’action par omission, inaction de volonté commune et délibérée.
Il n’est dès lors pas vrai que l’urgence climatique ne peut pas être qualifiée d’état de nécessité. Il ne s’agit que d’un choix, souvent masqué par une habitude de pensée prise pour une « nature des choses », démarche d’ontologisation analogue à celle du « texte clair » : limpide, il n’appellerait aucune interprétation alors que sa clarté est précisément le résultat de cette interprétation. Inversion de la logique que Perelman rendait d’une phrase : « comme il ne fait pas l’objet d’interprétations divergentes et raisonnables, on le considère comme clair. »[15]
Une ontologisation du choix juridique qu’un regard superficiel sur le droit ne perçoit plus, mais que l’histoire d’une institution donnée révèle aisément. Ainsi de la prétendue « nature des choses » de la filiation (juridique) maternelle, si bien assurée par l’évidence anatomique, ramassée dans l’adage romain « mater semper certa est » (la mère est toujours certaine). L’accouchement sous X du droit français, soit une mise au monde n’emportant aucune filiation avec la mère, fit mentir l’imposition de la vérité biologique au juste juridique ; les contrats de mère porteuse et les dons de gamète achèvent de « dé-couvrir » les choix présidant à la définition du juste.
Le choix n’est donc pas dicté par la science mais documenté et éclairé par elle. Comme tout choix en démocratie, il dépend de la volonté politique, dont les tribunaux ne sont pas les dépositaires premiers, mais pas non plus les perroquets serviles.
Aux citoyens de ne pas prêter trop à la justice ; à la justice de ne pas mésestimer sa fonction « civique » de défense du bien commun… au risque de passer pour avant-gardiste.
[1] L’expression « juge » désigne dans cette étude de manière générique toute autorité en charge de l’application de la loi, plus finement de dire le droit ou « juri-diction » (juris dictio).
[2] Comme si le 120 km/h (130 km/h en France) désignait la vitesse autorisée en soi, simple forme ou mode d’apparaître de la règle, le critère véritable (la mesure) étant une vitesse adaptée au contexte de la circulation (le juste).
[3] Sur l’idée délicate de communauté internationale (qui n’est malheureusement pas un sujet de droit (international)) et les divers degrés d’internationalité, voir en particulier E. Wyler et A. Papaux, « le mythe structurant de l’humanité : la communauté internationale vivante », in Universalité et diversité du droit international, Leiden-Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2014, pp. 175-200.
[4] Ainsi la Constitution suisse peut-elle déclarer que « la dignité humaine doit être respectée et protégée » (art. 7), certes, mais seul le juge dira si le lancer de nain ou le canonballman constitue une activité « légale ».
[5] Faut-il rappeler que les droits de l’homme-individu ont été collectivement choisis il y a moins d’un siècle, que la Chine décline au reste aujourd’hui, les déclarant pertinents pour les seuls Occidentaux ? Que la peine de mort a été écartée des sanctions licites il y a moins d’un demi-siècle ? Que sa réintroduction a été envisagée en Suisse, il y a peu, par une initiative, heureusement retirée par ses auteurs avant le vote populaire. Que les femmes ont reçu le droit de vote sur le plan fédéral helvétique qu’en 1971 ?
[6] A. Papaux, « Éthique de la nature et philosophie du droit : peut-on (bien) penser l’ingénierie du climat et de l’environnement ? Si faber savait, si sapiens pouvait » à paraître dans un ouvrage sur la géoingénierie dirigé par A. Langlais et M. Lemoine-Schonne, Université de Rennes.
[7] H. Arendt, 1983 (1958), Condition de l’homme moderne, Paris, Pocket, 71.
[8] Combien souvent le montant de l’amende, les fameux 135 euros ont été rappelés ; aveu de l’effacement du sens civique ?
[9] Infra II. la distinction essentielle pour toutes questions environnementales entre le vrai et le juste.
[10] V. Hugo, Les Misérables, La Pléiade, Paris, 1951, 1349.
[11] Inspiré par l’anglais to construct, signifiant en termes de substantifs aussi bien interprétation que construction, un exercice nécessairement créatif, non seulement pour des raisons linguistiques et sémiotiques – il n’existe pas de texte clair ; si on préfère, il n’y a pas d’application sans interprétation -, mais encore pour des raisons politiques au sens fort (et génuine) du bien commun que le droit doit poursuivre pour conserver sa légitimité, comme l’ont si finement montré ici même C. Demay et B. Favre, dans le passage du micro-politique au macro-politique de toute iurisdictio (diction du droit), le « droit-dit », exercé, accompli, par le tribunal.
[12] Le réel s’exprime sous deux modes, intimement liés : le potentiel et l’actuel. En ce sens, le réchauffement climatique est réel même s’il demeure, pour l’heure, en large part potentiel ; ce qui justifie de parler déjà d’urgence climatique d’un point de vue descriptif, et de prendre des mesures politiques (et juridiques) d’un point de vue prescriptif… si le collectif concerné le veut ; sur ces points, cf. III.
[13] Le droit redeviendra alors naturellement macro-politique ; voir ici même la contribution de C. Demay et B. Favre.
[14] Nous en avons traité en matière environnementale dans de nombreuses publications, notamment avec D. Bourg dans un Petit traité politique à l’usage des générations écologique (Uppr éditions, Paris, 2018), et encore récemment « Procès climatiques : le magistrat (à nouveau) au cœur du droit » in Les cahiers de la justice. La cause environnementale, École nationale de la magistrature-Dalloz, 2019, pp. 455-466, revue dirigée par D. Salas.
[15] C. Perelman, Logique juridique. Nouvelle rhétorique, Dalloz, Paris, 1979, p. 36.