Avertissement
Le texte qui suit est issu du transcript du colloque réuni au Collège des Bernardins (11 décembre 2021), dont l’initiative revient à Corinne Lepage et l’accueil au père Frédéric Louzeau qui doit en être très sincèrement et chaleureusement remercié.
Il a nécessité de nombreuses adaptations et relectures afin que le texte écrit reste aussi fidèle que possible aux discours prononcés.
Ceci a impliqué un minutieux et patient travail qui est le fruit d’une collaboration active avec les participants et les exécutants. Bien sûr, il comporte encore des imperfections.
En tout cas, que soient ici particulièrement remerciées Isabelle Dos Santos, Margaux Berthelard, et Martine Plessis.
Nous avons ajouté trois annexes :
1/ Un texte de Gérard Rabinovitch
2/ Les biographies des participants
3 / Le texte de la DDHU
PS : Nous vous signalons la tenue d’une deuxième colloque tenu à Sciences Po Paris le 17 octobre 2022 suite à la signature de la DDHU par le directeur de Sciences Po Monsieur Mathias Vicherat, le jour même, sous la présidence de Monsieur François Hollande.
Le texte consacré au rayonnement de la DDHU est disponible sur le site de la DDHU (DDHU | Déclaration des Droits de l’humanité | Corinne Lepage).
Christian Huglo, fait à Paris, le 21 octobre 2022.
Sommaire :
Avertissement au lecteur ………………………………………………….2
Introduction par Corinne Lepage …………………………………………4
- Premier thème : Droits collectifs et droits individuels ………9
- Droits et devoirs …………………………………………………9
- Biens communs et générations futures ……………………..23
- Deuxième thème : Droit de la nature et droits humains …..34
- Conclusion ……………………………………………………..48
Annexes :
- Biographies des intervenants ……………………………………49
- Contribution de Gérard Rabinovitch …………………………….54
- Texte de la DDHU …………………………………………………58
Pourquoi un séminaire de réflexion de nature philosophique ou religieuse autour des notions que porte la DDHU ?
Introduction de Corinne Lepage
La Déclaration universelle des droits de l’humanité se veut un texte fondateur à vocation universaliste, ce qui implique de réfléchir avec des personnalités connaissant les grandes civilisations sur les bases desquelles la déclaration fait appel.
Tel est l’objet de ce séminaire qui réunit de hautes personnalités des différentes religions mais aussi des libres penseurs, philosophes et juristes autour de deux grandes thématiques qui sous-tendent la déclaration, à savoir le rapport entre les droits et les devoirs collectifs, individuels ainsi que la place de la nature.
Sur le premier sujet, les enjeux collectifs auxquels nous sommes confrontés, qui ne doivent évidemment pas faire disparaitre les enjeux individuels d’intégrité des personnes et des droits de l’homme, rappellent une nouvelle réflexion sur la double dialectique des droits et des devoirs à l’échelle collective comme à l’échelle individuelle.
Le sujet est, en réalité, au cœur de toutes les problématiques contemporaines, qu’il s’agisse des rapports intergénérationnels, du droit des générations futures ou des obligations des pays du nord à l’égard des pays en développement.
Cette même notion d’obligation se retrouve, bien entendu, dans la question des rapports avec la nature, la nécessité ou non d’en faire un sujet de droit et, surtout, un sujet de droit doté ou non de la capacité d’agir en justice.
Les débats passionnants qui ont eu lieu le 11 décembre -grâce à l’accueil des Bernardins- sont retranscrits dans le présent document. Je remercie très chaleureusement tous ceux qui ont accepté de se prêter à cet exercice et leur exprime toute ma reconnaissance.
La DDHU: intérêt par et pour les grands courants de pensées religieux et philosophiques
Père Louzeau
Je suis le père Frédéric Louzeau, enseignant chercheur au Collège des Bernardins. J’ai été doyen de la Faculté de théologie Notre-Dame il y a une douzaine d’années et j’ai dirigé aussi le pôle de recherche de ce lieu. Lorsque Corinne Lepage et Christian Huglo m’ont demandé d’intervenir dans cette séance de travail sur la DDHU et qu’ils cherchaient un lieu pour cette séance, j’ai évidemment proposé le Collège car ce lieu magnifique est en résonnance avec le travail de la DDHU. L’idée du cardinal Jean-Marie Lustiger était d’ouvrir dans Paris un lieu d’histoire et de culture, conçu comme une interface entre l’Église et la société contemporaine, mais on s’est vite aperçu qu’il était aussi un lieu de dialogue à l’intérieur même de la société. C’est Marcel Gauchet, qui nous a accompagné pendant des années et qui a été titulaire d’une chaire sur l’éducation, qui nous a fait remarquer que le Collège était un des rares lieux en France où des hommes et des femmes d’opinions différentes, d’options spirituelles diverses pouvaient débattre, se rencontrer et échanger de manière franche et sans intérêts partisans. Ces lieux sont devenus très rares. Donc tout le bien que je nous souhaite pour cette matinée, c’est de pouvoir échanger sur des sujets graves, complexes de manière apaisée, parce qu’il ne vous a pas échappé qu’en bien des d’endroits la polémique a remplacé la raison (je ne suis pas sûr que notre campagne présidentielle déroge à cette règle malheureusement…).
Par ailleurs, je voulais préciser que ce collège est doté d’un Pôle de recherche qui rassemble à peu près 200 chercheurs répartis en six départements thématiques et une Chaire dont le titre est Laudato Si’, du nom de l’encyclique du Pape François sur l’écologie, auquel s’ajoute un sous-titre : « pour une nouvelle exploration de la terre ». Cette chaire a été confiée à un historien de l’environnement, le professeur Grégory Quenet, de l’Université de Saint-Quentin-en-Yvelines, l’historien ayant introduit en France l’histoire environnementale née aux États-Unis dans les années 70, discipline qui consiste à élaborer le récit d’un lieu, d’un événement, ou d’une série d’événements, pas simplement comme une affaire qui engage seulement des êtres humains qui « font l’histoire » mais aussi des êtres non-humains comme le climat, des animaux, des virus, bref toutes sortes d’êtres vivants ou non vivants qui peuvent jouer un rôle dans les événements. L’objectif de cette chaire est de faire travailler, pendant plusieurs années, des personnes qui sont en train d’observer les mutations de la terre mais qui n’ont pas l’habitude de le faire ensemble : c’est-à-dire d’un côté des scientifiques du système terre (physiciens, géologues, bio-géochimistes, écologues…), de l’autre des représentants des sciences humaines et sociales. C’est quelque chose de très rare que des personnes qui réfléchissent à l’avenir de la démocratie et au renouvellement de l’économie, par exemple, croisent leurs réflexions avec ceux qui explorent le système terre. Il y a quelque chose de fou dans cette espèce de sectorisation des disciplines. C’est pour cette raison que la Chaire a pour objectif une « nouvelle exploration de la terre », car nous estimons qu’un nouvel ordre politique et une nouvelle économie ne peuvent se fonder qu’en explorant la terre qui nous est largement inconnue. Nous nous retrouvons finalement dans une situation presque équivalente à celle du XVIe siècle sauf que, dans notre cas, il ne s’agit plus de faire le tour de la terre ou de traverser un autre continent, mais d’apprendre à connaître le lieu ou le territoire où on vit soi-même, et qui reste très mystérieux, largement inconnu. Je pourrais donner beaucoup d’exemples qui montre combien il n’est pas très raisonnable d’envisager l’avenir de nos démocraties sans essayer de s’ancrer dans une exploration de la terre, telle qu’aujourd’hui des scientifiques sont en train de la mener. J’avais invité le professeur Quenet à notre séance mais il avait une obligation à laquelle il ne pouvait se soustraire. En tout cas, il est de tout cœur avec nous et je l’ai tenu au courant des différents documents que nous avons déjà partagés. Je lui ferai rapport de nos échanges. Merci beaucoup.
Corinne Lepage
Nous vivons un moment assez magique, dans le tumulte parfois assez nauséabond dans lequel nous sommes aujourd’hui, car il nous est donné le pouvoir, pendant un petit moment, de travailler sur ce qui fait notre dignité commune c’est-à-dire notre capacité de s’écouter, notre capacité de se comprendre, notre capacité d’essayer de résoudre ensemble nos problèmes communs. Il s’agit bien de quelque chose de vraiment très privilégié et je dois vous dire que je vous suis infiniment reconnaissante d’avoir accepté, les uns et les autres, cet exercice : Il n’y a ici que des amis de la Déclaration qui pour certains l’ont signée dès l’origine en novembre 2005 au Conseil Economique Social et Environnemental lorsque nous l’avons lancée ou qu’ils l’ont soutenue depuis en novembre 2015.
C’est vrai que ce texte, qui a été pensé par un petit comité de rédaction dont Catherine Le Bris et Christian Huglo faisaient partie, a, en fait, aujourd’hui une portée beaucoup plus importante que celle à laquelle nous avions pensée : Tout simplement parce que depuis le début, les questions que nous avons soulevées sur le progrès, sur le climat, sur la santé, sur le vivant, sur le non-vivant nous ont explosé, si je puis dire, à la figure. L’objet de cette matinée est de discuter entre nous des thématiques que nous avons choisies à savoir : d’une part,les rapports droits individuels / droits collectifs et devoirs individuels /devoirs collectifs parce que cette thématique des droits et des devoirs est au cœur de toutes nos préoccupations actuelles.
Tous les débats, par exemple sur la Covid, mettent en cause la liberté individuelle les obligations collectives. Sur le climat c’est exactement le même type de problématique donc il nous a semblé à nous tous qui avons réfléchi sur ces sujets qu’il s’agissait bien d’une thématique qui méritait d’être largement discutée.
Je dirais que ce débat occupera les trois quarts de notre réunion et puis il y a un deuxième sujet qui est le rapport avec le vivant non-humain visant, en particulier, les biens communs qui déterminent les conditions du vivant. Il s’agit là d’un problème tout à fait majeur.
Pour commencer, je voudrais simplement rappeler très rapidement ce qu’il y a dans la DDHu, je ne vais pas lire les articles mais vous rappelle qu’avant les droits et devoirs collectifs, il y a d’abord il y a trois principes concernés :
- le premier qui reconnaît la responsabilité qui est au cœur de tout
- le deuxième qui affirme la dignité de l’humanité et la dignité de la famille humaine et fait ainsi le lien avec les droits de l’homme car on retrouve dans la Déclaration des Nations Unies de 1948 cette référence à la dignité, c’est en toute connaissance de cause que nous avons utilisé ce mot dans les principes fondamentaux de la Déclaration précisément parce que nous voulions affirmer des liens précis avec la Déclaration universelle des Droits de l’Homme
- et enfin le dernier principe est celui de l’équité intergénérationnelle parce que, bien évidemment, la question de l’équité est à la fois spatiale et intemporelle. La manière dont nous nous comportons vis-à-vis des générations qui viennent est évidemment un sujet tout à fait essentiel et je dirais que pour moi la bonne nouvelle c’est que tous ceux qui considéraient que finalement les générations futures n’avaient pas beaucoup d’importance (car chacun a ses règles et ses propres problèmes et que les autres feraient comme on a fait nous-mêmes) sont, si je puis dire, rattrapés dans la course puisque ce sont les générations présentes qui sont aujourd’hui concernées et pas seulement les générations futures.
Tels sont donc les trois principes de la DDHu interpellés par le premier sujet. Puis nous avons les articles. Ces derniers sont nombreux parce que les droits et les devoirs correspondent à une déclaration sur les droits collectifs : les droits sont le droit au développement, la protection du patrimoine, la préservation des biens communs, la paix et le libre choix de son destin, dans les devoirs collectifs nous avons l’effectivité, la préservation du patrimoine, la préservation du climat et des équilibres, l’orientation du progrès technologique dans le sens du bien-être humain (chose très importante) et enfin l’intégration du long terme.
Voilà donc comment la DDHu s’est intéressée au sujet sur lequel je vous propose de débattre ce matin.
Donc la première thématique sur laquelle je vous propose de réagir est le thème du passage des droits individuels aux droits collectifs. Nous pourrions ainsi nous intéresser aux générations futures, sur le thème de la responsabilité individuelle et collective, intérêts communs et biens communs (1er thème) et à un autre sujet les rapports entre les droits de l’Humanité et les droits de la Nature (2ème thème plus court.
Donc je lance le débat sur le passage des droits individuels aux droits collectifs qui, à mon sens, pose d’abord la question de la liberté individuelle et celle de la question de la dignité de la personne et de l’humanité (1er sous thème) mais elle contient également une interrogation sur les rapports entre le bien commun et les générations futures (ce sera le 2ème sous thème).
- Droits collectifs / droits individuels
- Droits et devoirs collectifs, droits et devoirs individuels
Alain Juillet
Concernant l’individualité, moi je suis très frappé par cette évolution qu’on a connue depuis plus de deux siècles au moins et qui nous amène à l’individualisme que je qualifierais de forcené c’est-à-dire que nous sommes aujourd’hui dans un monde où les gens ne regardent presque plus qu’eux même et en plus l’arrivée du numérique dans notre vie fait que nous nous trouvons de plus en plus face à nous-mêmes, face à un écran qui fait à la fois une sorte de miroir et que nous voyons de moins en moins de gens ce qui nous fait dialoguer avec nous mêmes ou à travers d’autres personnes qui sont en définitive nous-mêmes et nous n’arrivons plus du coup à pouvoir échanger autrement que dans une idée pour une pensée convenue donc cela ça me paraît un problème fondamental parce que si aujourd’hui dans la DDHu, on montre l’importance justement de l’échange avec les autres dans un but qui est l’humanité, la finalité de l’humanité, la continuité de l’humanité c’est dans ces domaines qu’il faut bien reconnaître que la plupart d’entre nous, conditionnés par notre environnement, n’en tient aucun compte et que nous vivons dans ce que j’appelle l’Éternel présent, c’est-à-dire qu’on refuse ( et c’est là la civilisation dans laquelle nous vivons avec les modes actuels : Lee woke, la cancel- culture et tout ce qui se passe, où on voit que nous refusons complètement l’histoire parce qu’on ne veut plus avoir de références qui pourraient nous gêner et on réécrit tout dans une vision déformée avec un but bien précis ) d’affirmer la prééminence je dirais même l’absolutisme de ce qui se passe aujourd’hui et de nos interprétations d’aujourd’hui en refusant tout le reste. Et ce qui est frappant, dans cette espèce d’éternel présent c’est que bien entendu on refuse d’envisager le futur qui ne nous concerne pas, cela me paraît très inquiétant pour plusieurs raisons. Quand on regarde aujourd’hui ce qu’on appelle les GAFAM, quand on voit ces grandes sociétés qui sont en train de travailler sur l’évolution de l’humanité où on va connecter les hommes à des machines pour les rendre plus intelligents, où on va changer les constituants de leur corps pur en les remplaçant par d’autres choses et, dans ce cadre là en définitive, on nous annonce comme un paradis une vie à perpétuité ce qui est exactement la même chose et en plus on ne veut pas se rendre compte du nombre de gens qui auront accès à cette super connaissance et il y aura deux problèmes : Qu’est ce qui se passera quand on les débranche ? Et de l’autre côté, toute une partie de la population humaine ne sera pas connectée et là on crée des esclaves qui n’auront pas accès à ce savoir. Donc quand on regarde cela et qu’on voit aujourd’hui qu’il y a une bonne partie de la population au niveau des intellectuels, des médias, et penseurs qui trouve cela génial on peut que s’inquiéter parce qu’on est en train de remettre en cause, en définitive, l’humanité telle qu’elle est et là je pense que si on ne met pas en place des règles qui nous rappellent un certain nombre de réalités (je reviens à la DDHU) comme par exemple que nous ne sommes pas seuls contrairement à ce qu’on veut nous faire croire mais issus d’un environnement. Il est bien évident que l’homme a évolué et donc croire que cet homme est unique personnellement je m’en inquiète prodigieusement parce que je crois que l’homme fait partie d’un tout, “une partie de la nature” (Spinoza). Et dans ce cadre-là, puisque nous faisons partie d’un tout, il faut qu’on en assume les conséquences c’est-à-dire que non seulement nous avons un devoir mais un droit de chercher à s’élever dans la connaissance, pour la prévention des problèmes ou de la compréhension de l’être humain. Mais au-delà de cela il faut qu’on réfléchisse à notre environnement, et si on n’a pas de règles, on n’y arrivera pas car chacun est trop individualiste : Aussi les réflexions d’aujourd’hui sont très utiles pour la suite.
Ghaleb BenCheikh
Pour le sujet qui nous intéresse ce matin, j’ai cru comprendre que pour cette première partie c’est comment passer des droits individuels à des droits collectifs. Je place les choses dans le sillage de ce qu’a dit Alain Juillet, je pense que notre humanité passe un temps fort dans sa longue et lente maturation. On nous dit qu’après le langage articulé et la production du droit c’est le passage de l’écrit à la machine de Gutenberg ; maintenant nous vivons la révolution numérique qui accélère les choses et ceci n’est pas sans un effet certain sur l’humanité en tant que telle et ceci a donné lieu à deux thèses concurrentes (heureusement c’est moi qui souligne) l’une commence à l’emporter sur l’autre et en tout cas la seconde qui a moins en moins maintenant d’écho est de dire : « pourquoi se prendre les pieds avec cette affaire d’écologie, d’environnement ? Faisons confiance à la science d’une « manière effrénée cela a toujours été comme ça. Si la planète Terre est dévastée « en attendant d’aller coloniser d’autres planètes nous aurons les stations orbitales « avec l’oxygène et la gravitation et c’est ainsi qu’il est dans l’ordre naturel des « choses pour l’humanité de continuer aller vers le progrès ».
Quand on leur avait objecté « peut-être mais dans les stations orbitales il n’y a pas de rose, il n’y a pas de tigre » on avait rétorqué de l’autre côté « mais est-ce bien nécessaire si l’esthétique a aussi une émotion nécessaire pour l’humanité et la beauté salvatrice ». Je ne rentre pas dans ce débat philosophique ou métaphysique. Je dirais d’abord, de mon point de vue de citoyen en plus que de responsable d’une fondation de l’Islam écrit avec la majuscule, on pense plus à la civilisation et aux cultures et non aux questions cultuelles ou proprement religieuses. Je donnerai mon avis aussi comme homme de foi. Dans les sagesses ou la sagesse de l’humanité notamment les sagesses et grandes traditions religieuses , dans la famille abrahamique monothéiste il y a cette idée heureusement de nos jours qui n’est plus celle où l’homme de dominer la création mais plutôt comme quoi la planète Terre est un cadeau de noces offert d’une manière imagée et romancée au premier couple original et tout cadeau, il y a lieu de le chérir de le préserver et de le léguer comme un patrimoine important à la descendance. Et c’est cette idée de préserver ce bien qui détermine le fait que lorsqu’il y a ce manquement à cette idée de sauvegarde on est en faute et on doit en répondre. Et je finirai sûrement ma première réponse avec cette idée de droit collectif. D’abord les droits et les devoirs sont l’envers et le revers d’une même effigie et on ne peut jouir véritablement de ses droits que lorsqu’on se sera acquitté de ses propres devoirs pour que les droits demeurent de manière inaliénable. Mais dans une approche responsable, éthique et engagée, il faut toujours s’acquitter de ses devoirs. Et le second point est que l’être humain fait partie d’une grande famille, c’est une espèce, si j’ose dire l’espèce humaine, d’égale dignité et le respect d’un seul homme est consubstantielle à la dignité de l’humanité tout entière. Donc on ne peut plus raisonner en individuel, si on persiste on raisonne comme un hologramme et l’holographie c’est que tout se trouve dans la partie donc l’humanité toute entière et dans l’individu et l’individu concentrant lui l’humanité toute entière. Donc ce passage d’un droit individuel à un droit collectif opposable doit devenir contraignant.
Père Louzeau
Sur ce passage des droits individuels aux droits collectifs, je pense que, du point de vue de l’Église catholique, il faut d’abord retourner à l’histoire car l’histoire du rapport entre l’Église catholique et la Déclaration des droits de l’homme de 1789 est pour le moins complexe. Pour faire bref, entre 1789 et 1944, les différents papes qui se sont succédé se sont opposés aux droits de l’homme, à la démocratie et à la liberté religieuse. Et ce n’est qu’en 1944, dans un discours de Noël devenu fameux, que le pape Pie XII, peu enclin au progressisme, a reconnu l’importance de la démocratie et des droits de l’homme.
Que s’est-il donc passé pendant 150 ans ? Ce passage d’une condamnation de la démocratie, des droits de l’homme et de la liberté religieuse à leur défense est tellement énigmatique pour les catholiques eux-mêmes, qu’une partie de ces derniers ont fait sécession à ce sujet. Quand on lit les textes des Papes de la période dite « intransigeante », on repère que leur opposition aux droits de l’homme et à la démocratie repose sur la critique de trois principes de la Révolution française :
- La négation de ce que la théologie chrétienne appelle la Révélation comme fondement de l’ordre social.
- Le rationalisme, c’est-à-dire la prétention de vouloir organiser l’ordre humain uniquement à partir de la raison.
- Enfin la souveraineté absolue du peuple et de la nation dans l’ordre politique.
Que s’est-il passé pour que le pape Pie XII apprécie différemment la démocratie et les droits de l’homme ? Il faudrait, bien sûr, relire précisément le discours de 1944 mais ce qui a changé, c’est qu’en s’affrontant aux régimes totalitaires, les démocraties comme l’Église ont muté. Les idéologies totalitaires niaient en effet, en théorie comme en pratique, le fondement transcendant des droits de l’homme et de l’humanité. Elles proposaient un nouveau point de gravité, qui n’était plus une dignité transcendante mais l’intérêt de la race aryenne ou de la classe de prolétaires. Le fait d’avoir lutté contre ces idéologies, jusqu’à prendre le risque de mourir, a métamorphosé les régimes démocratiques. Ils se sont battus pas seulement contre des tanks et des canons mais contre des visions du monde, et ce faisant, ils se sont transformés de l’intérieur. Ce n’est pas un hasard si, des décombres de la Seconde guerre mondiale, le nouvel ordre international s’est construit autour d’une déclaration universelle des droits de l’homme et le pape Pie XII y a reconnu un événement fondamental de l’aventure humaine. Voilà ce qui, à mes yeux, explique le « tournant » dans l’histoire tumultueuse des rapports entre l’Église catholique et les droits de l’homme.
Pour répondre à la question posée sur le rapport entre le droit individuel et le droit collectif, il faut ajouter un deuxième point : dès Pie XII, les papes ont aperçu qu’il y avait quelque chose à corriger dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et qui est le problème de l’individualisme. Dans les documents où l’Église « bénit » la Déclaration des droits de l’homme, tout de suite la question des devoirs est mise en avant, comme un miroir. Pas de droits sans devoirs ! On trouve cet équilibrage notamment dans l’encyclique Pacem in terris du pape Jean XXIII en 1963. Une seconde manière de « rectifier » l’individualisme des droits de l’homme sera de reconnaître des droits et des devoirs à des communautés humaines, à l’intérieur desquelles la personne humaine se réalise concrètement, notamment les familles et les nations. En 1983, le pape Jean-Paul II fait rédiger une charte des droits de la famille. Dans la pensée de l’Église, les droits de l’humanité comme une espèce ne tiendrait pas non plus s’il n’y avait pas aussi le droit de toutes ces communautés intermédiaires. En 1995, pour son deuxième discours à l’ONU, Jean-Paul II va parler du droit des nations : droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, à garantir leur existence etc… Entre l’humanité entière et la personne individuelle, il y a toute une série de collectifs, comme des pelures d’oignons, dont les principaux sont les familles et les peuples. On ne peut passer de l’individu à l’humanité que par toutes ces couches successives, la grande difficulté étant de savoir comment on les ordonne les unes par rapport aux autres.
Dominique Bourg
Je voulais revenir à l’amont de la question de l’articulation des droits individuels et collectifs en rappelant, j’en suis désolé, quelques banalités : la première, l’individualisme est un phénomène social qui n’affecte en rien l’ontologie relationnelle de la réalité humaine, le caractère collectif des mouvements de pensée qui façonnent les sociétés. A une échelle plus subjective, je renvoie au un travail philosophique de Francis Jacques dans Différences et subjectivité où il montre que la relation je/tu précède et le je et le tu ; je pourrais égalemnent renvoyer aux travaux de Simon sur l’individuation. L’atomisme social lié au libéralimse et plus encore au néolibéralisme produit des effets anthropologiques dévastateurs, ce qui a été rappelé par Alain Juillet.
Je voulais donc faire voir cet individualisme extrême au travers de quelques phénomènes :
- Me frappe en premier lieu l’indifférence migratoire, le fait que la Méditerranée devienne un cimetière, et la Manche n’en est pas très loin, et le tout sur fond de campagne électorale présidentielle nauséabonde. Nous constatons une indifférence au devoir d’humanité dont en fait très peu de sociétés sont porteuses. Et puis je dirais que l’indifférence migratoire est proche de l’indifférence écologique. Je renvoie ici à une étude publiée à la mi septembre où ont été interviewés une dizaine de milliers de gens entre 16 et 25 ans de 10 pays dont l’Inde, le Brésil, le Nigeria, les Philippines, le Maroc, ce ne sont pas des pays dits riches et anciennement industriels. Il ressort de cette enquête que 3 jeunes sur 4 taxent leur avenir d’« effrayant ». C’est probablement la première manifestation d’un affect global. Les résultats de de Glasgow ne risquent guère de changer la situation : est attendue une augmentation de 14% par rapport à 2010 de nos émissions d’ici à 2030, alors qu’il faudrait les réduire de moitié. Une indifférence analogue donc. Et une quasi-absence de ces enjeux en outre dans la campagne électorale française présidentielle.
- Je voudrais évoquer un autre effet de l’individualisme extrême, qui n’a plus grand chose à voir avec le respect dû à la personne humaine. Nous assistons en effet à l’affirmation de logique marchande comme principe absolu, à l’affirmation de la liberté d’option des individus sur un marché au-dessus de toutes les autres formes de liberté. Je ne suis pas un nostalgique de l’ORTF, mais quand il y avait quelques chaînes de télévision et pas de Web, il y avait un monde commun. Concernant les nouvelles au-delà du cercle familial et des proches, tout le monde disposait des mêmes faits à partir desquels il était loisible de construire des interprétations différentes. En revanche, aujourd’hui, nous assistons à une fragmentation du paysage de l’information avec de multiples chaînes commerciales et les médias sociaux. Ces chaînes sont soumises à une logique de chalandise : le problème de Fox News est d’avoir des chalands ; si vous mettez un journaliste de CBS à Fox News, l’audience s’effondre car elle est attachée à une information outrancière, si ce n’est contrefactuelle. Là aussi s’exprime un individualisme extrême débouchant sur des niches regroupant des individus opposés aux autres. Les algorithmes de YouTube sont destinés à décrédibiliser les informations des médias classiques pour attirer le chaland vers des vidéos pour le moins absolument fantaisistes. Aux États-Unis, ce sont 75 millions d’électeurs qui continuent à penser que le l’élection de Trump lui a été volée. Les niches complotistes se multiplient : le platisme, le récentisme, les humano-reptiliens, Q’Anon, et j’en passe. La démocratie devient difficile. Le parti républicain suit Trump et refuse une enquête parlementaire sur les émeutes du 6 janvier. Ce type d’extrémisme était également très présent lors de la campagne présidentielle française durant laquelle les thèses absurdes de Zemmour étaient présentes jusqu’à l’écœurement.
La fragmentation du paysage de l’information détruit aujourd’hui la possibilité même d’un monde commun. Souvenez-vous, il y a 2 ou 3 ans, Fox News avait affirmé que s’était produit un attentat en Suède qui n’avait pas eu lieu. Trump avait réagi en fustigeant la Suède ! Déni d’un monde commun et affirmation d’un monde alternatif, à l’instar des nazis pour Poutine et les médias russes. Côté chinois, on va même jusqu’à surveiller et noter la population.
Dans ce contexte, la DDHU apparaît comme une perle dans un océan de boue ! II n’y a guère de motifs de confiance, sans même évoquer l’état écologique de la planète.
Matthieu Ricard
Commençons disons par cette différence que vous avez suggéré entre droits individuels et droits collectifs. Il est certain que la notion de droit individuel ne peut plus être considérée comme un simple instrument, un si grand esprit qu’Aristote pensait qu’une centaine d’esclaves pouvait faire le bonheur de milles personnes. C’était acceptable éthiquement, mais nous en sommes plus là. Mais cela peut conduire à une exacerbation de l’individualisme et notamment au fait j’entendais par exemple une jeune fille dire sur la BBC anglaise que la liberté pour elle était de faire tout ce qu’elle voulait sans que personne ne puisse y trouver à redire, à cela William Shakespeare répondait déjà que la liberté sans frein est mariée avec le malheur donc cela est évidemment inconcevable et donc les droits collectifs ne sont plus basés pour essayer de résoudre des questions d’éthique pour des individus qui existent aujourd’hui et qui peuvent à la fois être conscients de leurs droits à revendiquer des droits et permettre une forme de réciprocité par rapport à autrui ce qui est généralement considéré comme le fait qu’on peut pas avoir de droits sans réciprocité mais à partir du moment on parle de droit collectif le droit des générations à venir de droit des êtres non humains cette question de réciprocité et de temporalité n’existe plus.
Sur la notion de liberté on peut aussi envisager de quoi vient cette hyper individualisme qui nous pousse à dire finalement j’ai le droit de faire exactement ce que je veux, on peut revenir à ce que disait aussi Gandhi qui disait que le degré de liberté extérieure dépend de notre liberté intérieur c’est à dire à quel point allons-nous être conditionnés par nos pulsions par notre animosité, par notre obsession, par notre arrogance vient de savoir si nous sommes intérieurement ou non l’esclave de nos pensées donc cette jeune fille qui revendique le droit de faire tout ce qui lui passe par la tête sans que personne n’y trouve à redire en fait elle était l’esclave de ses pensées comme les herbes à la surface d’un sol qui penche d’un côté ou de l’autre selon la direction du vent donc c’est évidemment ce type d’individualisme exacerbé qui mène à des excès et sont sans limite donc d’où l’idée de d’établir des droits collectifs d’établir de la réciprocité et que la limite de la liberté c’est bien sûr à partir du moment on commence à nuire à autrui c’est ce qui est des articles 2 et 4 je crois de la déclaration universelle des droits de l’homme ; Notre liberté s’arrête lorsqu’ on commence à nuire à autrui et que les lois vous interdisent tout, comme disait je crois Montesquieu, ce qui nuit à autrui et sinon on a le droit de tout faire ce qui n’est pas qui n’est pas interdit par cela. Voilà plus que quelques petites considérations préliminaires et je reviendrai plus avant par rapport à ce que disait Dominique bourg sur la l’article du Lancet : non seulement 75% des jeunes pensent que l’avenir est extrêmement sombre mais 56% pensent que l’humanité est vouée à la disparition ce qui est quand même pas très optimiste espérons que ça sera pas de cette façon probablement beaucoup ne survivront mais au prix de quelles souffrances et on reviendra là-dessus sur la question des droits des générations à venir c’est que si par exemple nous allons jusqu’à 4° ou 3° degré même de réchauffement climatique la population humaine pourrait se réduire de 7 à un milliard, on peut se dire que la question de la surpopulation sera réglée et là l’espèce humaine survivra, la planète s’en remettra forcément mais au prix de combien de souffrances et c’est là évidemment que la souffrance de l’autre entre en jeu et cette notion disons de droit universel c’est on pourrait dire le droit de vivre et de ne pas souffrir de manière injuste c’est peut être ce qui caractérisait qui serait applicable la façon la plus large possible non seulement à nous autres êtres humains présents ici et aujourd’hui de garantir aux générations futures, qui ont le droit d’être pouvoir vivre une vie convenable, des droits passifs même s’ils ne sont pas encore là et des autres espèces qui aspirent à vivre à ne pas souffrir et on ne peut pas il est peu dire qu’il est juste et moral d’infliger des souffrances inutiles à des êtres sensibles.
Alain Papaux
Moi j’aimerais me placer de manière neutre mais en amont des discussions qui ont précédées. L’individualisme c’est de montrer les fondements politico-juridiques de l’Europe qui est la seule civilisation que je connaisse.
Quand on prend une définition aussi consensuelle et innocente comme “ma liberté s’arrête où commence celle d’ autrui” en la triturant peu philosophiquement on se rend compte que si autrui n’est pas là, ma liberté ne s’arrête pas et là on a pour moi le ressort de toutes les difficultés devant lesquelles nous sommes aujourd’hui selon principe « notre liberté est infinie ». Toute la modernité pense à la liberté comme infinie certes non finalisée aussi bien qui n’a pas de terme de limites au sens plus peut être métaphysique, qui ne connaît aucune finalité naturelle nous n’avons plus aucune finalité naturelle. On revient au constat fait par Matthieu Ricard ou Dominique Bourg sur la liberté comme absence d’obstacles extérieurs : je suis libre pour autant que rien ne s’oppose à ma volonté quelle qu’elle soit et c’est la définition sur laquelle nous avons construit le droit moderne qu’on appelle les droits subjectifs.
Il suffit de regarder d’ailleurs les avatars de cette notion de liberté infinie pour constater à quel point est profondément enracinée en nous l’idée d’autonomie moderne. L’autonomie est elle-même l’auteur de la norme… donc à nouveau nous retrouvons la liberté infinie. La notion de contrat social n’est que l’échange de volontés réciproques et concordantes, quel qu’en soit le contenu il suffit que les volontés soient réciproques et concordantes, il n’y a donc plus aucune considération du contenu dans la manière de penser le droit aujourd’hui nous sommes dans des théories procédurales du droit. Si la liberté est infinie, puisque nous n’avons plus de finalité naturelle alors la société elle-même est un artefact et le tout collectif devient un pur artefact ce sera pour nous dans ce groupe une question très difficile de savoir- enfin échapper à cette accusation terrible à partir de la liberté des modernes- si la liberté infinie fait que l’humanité serait, elle aussi, un artefact ou un mot qui connote un ensemble d’individus mais, en réalité, n’existerait ultimement que ces individus pour le dire en termes plus simples où philosophiquement nous avons perdu la notion de vivant politique, nous ne sommes plus naturellement destinés à vivre avec autrui – je dis bien dans la construction philosophique ou juridique- je crois que nous vivons une dissonance cognitive et affective très forte puisque le discours est celui de la liberté infinie mais nos pratiques et nos sentiments sont évidemment encore tout à fait indexés ou si vous voulez découlant de la notion de vivant politique. Donc pour cet humain politique le fait de disposer d’une liberté infinie dont l’avatar est l’individualisme conduit à la disparition de tout le bien commun puisque rien ne transcende l’individu, vous ne pouvez plus penser à partir du droit subjectif, c’est aujourd’hui la notion de bien commun, vous pouvez penser comme nous indiquent les économistes que celles “d’intérêt commun” peut être une somme optimale des intérêts individuels mais aucune transcendance à tout le moins par rapport aux desiderata des individus.
Hannah Arendt a des formules à mon avis quasiment définitives sur la question qui fait remonter malheureusement ce poison de l’individualisme déjà aux théories modernes qui reprenaient soit disant le droit romain à savoir que la logique qui préside la politique aujourd’hui est une logique domestique, c’est-à-dire la logique de la « Domus » de la maisonnée à la grecque ou à la romaine c’est à dire ce qui se passe dans la vie privée, donc anti-Agora ou ‘contra la respublica’, cela ne regarde pas la politique.
Or, c’est bien quand on parle de privatisation de la société (en réalité c’est pas une privatisation du tout au sens du droit privé mais c’est beaucoup plus profond et beaucoup plus grave) on aboutit à une domestication de la politique au sens où ce sont les intérêts privés et la logique de la maisonnée qui président à la construction même de la politique, qui nie en réalité toute possibilité même d’un authentique bien commun c’est la raison pour laquelle on vit dans la modernité, la liberté comme un arrachement aussi bien aux déterminations naturelles qu’aux déterminations historiques et pas du tout comme une insertion dans une tradition dans un collectif et encore moins ce qu’on devrait peut être faire aujourd’hui une sorte de liberté d’immersion de l’individu c’est à dire qu’il serait redevenu citoyen dans la biosphère.
Cette liberté d’immersion elle-même exigerait alors la reconnaissance de notre finitude et là je vois évidemment un rôle absolument central des religions ou des spiritualités pour participer disons à l’érection d’une notion d’humanité puisqu’au fond tous les messages de spiritualité sont des messages fondés d’abord sur la reconnaissance de la finitude humaine la plus essentielle, peut être originelle, où originale de cette liberté des modernes est l’abandon du monisme âme corps qui faisait l’humain quand il se pensait entièrement naturel et entièrement culturel, vous pensez forcément comme un être fini puisque la nature vous indique en tout point que nous sommes des êtres finis mais nous savons qu’en Occident nous sommes rentrés dans un système éminemment dualiste et que, par conséquent, là où aujourd’hui le ‘mind,’ ou le ‘spirit’ est censé pouvoir vivre sans nature d’où les transhumanistes et cela conduit à un mépris quasiment mécanique de tout.
Catherine Le BRIS
Dans une plainte au Comité des droits de l’enfant des Nations Unies (plainte qui a été déclarée irrecevable), Greta thunberg soulignait à trois reprises que le climat est une « préoccupation commune à l’humanité ». Elle y invoquait l’intérêt des générations présentes mais aussi et surtout futures, avec en filigrane l’idée d’un destin commun du genre humain. Pourtant, faute de mieux, les droits qu’elle invoquait étaient des droits individuels, à savoir le droit à la vie et le droit à la santé notamment. Comme si, finalement, le climat était l’affaire de chacun, détaché les uns des autres, mais non de tous.
Pour comprendre les liens entre climat et droits de l’homme, il faut rappeler que, sur un plan juridique, ils ont longtemps suivi des chemins séparés. Les intervenants précédents l’ont souligné, les droits de l’homme sont profondément imprégnés de la philosophie individualiste alors que la protection du climat comme le droit de l’environnement dans son ensemble cherchent plutôt à assurer l’avenir commun de l’humanité sur la planète. Il est vrai que cette sphère respective entre le climat et droits de l’homme n’était pas totalement hermétique : la Déclaration de Stockholm reconnaissait déjà en 1972 le droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes dans un environnement de qualité. Toutefois, ce rapprochement restait purement déclaratoire. Il a fallu attendre l’Accord de Paris en 2015 pour que ce lien se renforce. Pourtant, ce rapprochement, qui a été obtenu de haute lutte, reste, lui-même, confiné au préambule de l’accord ; or, ce préambule a, lui aussi, un caractère purement déclaratoire. On a donc peu avancé.
Malgré un rôle actif de certaines institutions onusiennes, la poussée du climat dans le champ des droits de l’homme est plutôt venue de la société civile, des ONG. Il y a beaucoup d’affaires dans ce domaine ; je ne vais pas développer parce que Christian Huglo, qui connaît très bien la question, reviendra lui-même sur ce thème, mais beaucoup d’affaires relatives au climat font référence aujourd’hui aux droits de l’homme. Le juge suit parfois les requérants dans cette logique tandis que d’autres fois, ce n’est pas le cas : ainsi, en France, récemment, s’agissant de « L’affaire du Siècle », le juge ne s’est pas engagé sur le terrain des droits de l’homme.
On retrouve aussi cette tendance d’approche du climat en termes de droits de l’homme au niveau supranational. On vient d’évoquer l’affaire Greta Thunberg mais il y a d’autres affaires, notamment devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies contre l’Australie pour inaction climatique. Il faut aussi rappeler le recours des jeunes Portugais devant la Cour européenne des droits de l’homme. Les droits de l’homme sont donc très présents dans le champ du climat. Pourtant, malgré des atouts certains, leur apport est limité. Il ne s’agit pas ici d’affirmer que les droits de l’homme n’ont aucun rôle à jouer dans le champ du climat : ils sont essentiels ici comme ailleurs. En revanche, ils ne sont pas suffisants, c’est à dire qu’ils ne peuvent pas absorber toutes les demandes ; ils ne sont pas taillés pour. Les droits de l’homme ont été pensés pour répondre à certains besoins et ils ne peuvent pas spécifiquement être adaptés aux défis globaux que soulève la crise climatique. C’est sur ce point que je souhaite insister.
Il y a deux choses qu’il faut bien comprendre sur les droits de l’homme. La première chose est relative à leurs limites temporelles : les droits de l’homme sont des droits qui sont ancrés dans le présent ; ils sont pensés pour les contemporains ; ils ont vocation à protéger les libertés des individus, et non pas les intérêts de l’humanité ou de la nature. Ces droits font preuve de ce qu’on peut appeler un égoïsme générationnel. C’est particulièrement tangible sur la question des changements climatiques. En effet, sur un plan technique juridique, il est nécessaire, pour que le juge puisse s’emparer de la question, que la violation du droit de l’homme soit déjà intervenue : sauf exception, le but n’est pas de prévenir la violation d’un droit de l’homme ; cela a été rappelé notamment dans des affaires relatives aux essais nucléaires.
Par ailleurs, les droits de l’homme présentent aussi des limites spatiales. Chacun sait que les conséquences des gaz à effet de serre peuvent se ressentir dans un pays X même s’ils ont été émis dans un pays Y, c’est-à-dire qu’ils ne connaissent pas de frontières. Or l’Etat est, en principe, responsable uniquement des violations de droits de l’homme sur son propre territoire. Il est vrai qu’à titre exceptionnel, il va pouvoir être tenu responsable de violations commises sur un autre territoire : c’est le cas par exemple des territoires occupés mais il est alors nécessaire qu’il exerce un contrôle effectif.
Un autre problème sur un plan spatial tient à ce qu’avec le climat, l’origine de de la violation du droit présente un caractère diffus. La responsabilité de l’Etat se trouve ainsi diluée dans un ensemble. Par exemple, la montée des eaux sur le littoral français n’est pas due qu’à la politique française. Or, ceci se doit d’être pris en compte sur un plan juridique. Finalement, on constate que la responsabilité en matière climatique, mais plus largement aussi dans d’autres domaines en matière environnementale, présente un caractère indivisible. C’est ce qui transparaît dans l’affaire Greta Thunberg devant le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies puisque les requérants avaient choisi de poursuivre plusieurs Etats qui étaient des gros pollueurs climatiques et non pas un seul État.
D’où l’intérêt de reconnaître des droits de l’humanité. Ces droits de l’humanité, on les a souvent qualifiés de droits de l’homme de la troisième génération. Cette dénomination me semble quelque peu trompeuse parce qu’en réalité les droits de l’humanité sont d’une autre nature que les droits de l’homme. Sur un plan philosophique – Alain Papaux l’a rappelé- l’humanité est considérée comme une immense et éternelle unité sociale, c’est à dire qu’elle se compose autant des personnes vivantes que des personnes à naître : elle est donc intertemporelle mais elle est aussi interspatiale : elle regroupe tous les êtres humains. Cela est rappelé dans la Déclaration universelle des droits de l’humanité de 2015.
Les droits de l’humanité sont forgés à l’image de leur titulaire : ils sont, eux aussi, à la fois interspatiaux et intertemporels. Cela signifie que, sur un plan juridique, les droits de l’humanité ne connaissent pas les limites des droits de l’homme. Comme ils sont intertemporels, ils vont permettre de prévenir une violation et comme ils sont interspatiaux, ils vont permettre de poursuivre plusieurs Etats.
Pour conclure sur cette question, il faut bien comprendre que l’individu n’est pas la bonne échelle pour répondre aux défis actuels. L’humanisme juridique de l’émancipation individuelle qui les sous-tend doit aujourd’hui être complété par une nouvelle forme d’humanisme juridique : un humanisme juridique de l’interdépendance ou un « humanisme juridique de la maison commune » pour reprendre les termes de Mireille Delmas-Marty.
Christian Huglo
Pour moi 3 sujets se déduisent de la problématique que vous avez soulevée.
Le premier tient en ce que pour les droits de l’humanité par rapport au droit individuel il n’y a pas lieu à un passage quantitatif mais qualitatif et c’est un saut qualitatif effectivement ce qui a été démontré il y a quelques instants et la preuve en est très simple : C’est qu’il existe des tribunaux de droits individuels mais il n’existe pas de tribunaux de droit collectif et effectivement il y a une phrase qui nous est chère à Catherine Le Bris et moi-même c’est celle du professeur Dupuy : “passer de l’homme aux groupes familiaux, régionaux, nationaux, internationaux résulte une progression quantitative, accéder à l’humanité suppose un saut qualitatif dès lors qu’il est franchi, elle doit elle-même jouir de droits faute de quoi les hommes perdraient les leurs” et vous avez un écho à cette magnifique déclaration de Madame Irène Bokova, directrice générale de l’Unesco : « Aucun individu, aucun État ne peut relever ce défi du changement climatique. Seul l’environnement connecté avec l’humanité en tant qu’espèce nous fait sentir membre d’une même espèce humaine. Ce sentiment est précisément l’essence de l’humanisme qui me tient à cœur ».
Je crois que c’est ça le fond du sujet. Effectivement, la DDHu elle-même s’est préoccupée de cette question puisqu’il y a un article 16 qui dit “les Etats ont le devoir d’assurer l’effectivité des principes droits et devoirs proclamés dans la présente déclaration y compris en organisant des mécanismes permettant d’en assurer le respect”. Ce ne sont pas les États qui ont franchi le pas ce sont les juridictions et il y a il y a 2 arrêts absolument fondamentaux qui relient le sujet : sur quoi est fondée la grande décision Urgenda ? Cette décision de la Cour suprême de Hollande qui dit qu’effectivement le programme de réduction n’est pas suffisant en violation des articles 2 (droit à la vie) et 8 (vie familiale) de la convention et si vous lisez la décision vous verrez que la Cour dit à peu près la chose suivante : “ce qui est prévu pour l’individu est prévu pour tous les hollandais aussi”. La décision la plus intéressante est celle de la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe (que Corinne a commentée et qui a été commentée par les professeurs Laurent Fonbustier et Emilie Gaillard). Ce qui est dit de façon claire et précise dans cet arrêt est que si la loi allemande est suffisamment efficiente pour l’immédiat mais malheureusement pas pour la période 2050 dit la Cour « vous n’avez rien fait, vous avez sacrifié les générations futures”. On est donc en présence d’une nouvelle dimension de l’humanité : celle des générations futures.
Le second sujet, c’est la société civile qui a, par recours au juge, pris l’initiative de cette évolution ce qu’incarne la DDHu en dégageant la notion fondamentale d’obligation climatique.
En effet, ce nouveau concept de valeur supra législative se retrouve sous divers aspects dans trois groupes de décisions. Dans la décision Urgenda (alliée aux droits de l’Homme par passage de l’individualité à l’humanité) même celle du Conseil d’Etat dans l’affaire Grande Synthe qui voit un impératif avec effet direct dans les dispositions de l’accord de Paris qui fixait l’objectif 1,5° fin 2100 et surtout la décision de Karlsruhe qui vise les générations futures et qui représente bien une forme d’incarnation de la notion d’Humanité. Que dire et développer surtout lorsqu’il y a urgence ?
Le dernier sujet est celui de l’apparition d’un principe transgénérationnel celui du bien commun. Jusqu’à présent il était souvent assimilé à l’espèce maintenant il l’est au temps.
C’est pourquoi se sont développées des recherches sur ce sujet que l’on appelle les communs qui, selon certaines décisions des juges américains, sont assimilés à des biens collectifs sous le nom de Trust. La protection de la biodiversité fait partie intégrante des objectifs de la lutte contre le réchauffement climatique qui emporte également d’ailleurs le droit à la santé de tous et non d’un seul.
Corinne Lepage
Je voudrais, en guise de synthèse qui répondra aux questions posées par nos intervenants, donner une définition de l’humanité, le texte de la déclaration nous en donne une au considérant n°9: “considérant la responsabilité particulière des générations présentes en particulier des Etats mais aussi des peuples, des organisations intergouvernementales, des entreprises, notamment des multinationales, des organisations non gouvernementales, des autorités locales et des individus”. En fait ce feuilleté, si je puis dire, de niveau de compétence qui aboutit à l’humanité -pour reprendre l’expression de la Convention sur le climat des obligations communes et différenciées c’est à dire ce que chacun peut faire là où il est- c’est un premier point extrêmement important.
Deuxièmement, et maintenant sur ce rapport collectif / individuel, et celui des obligations en regard des droits, ce que vous avez tous rappelé, il n’y a pas de droit sans obligation sauf que généralement les déclarations de droit oublient les obligations : celle-là en fait un impératif au même niveau que les droits.
Au niveau des droits et devoirs individuels, on passe insensiblement de l’un à l’autre tout simplement parce qu’on a inscrit la DDHU dans la continuité de la Déclaration universelle des droits de l’homme et c’est le président Costa qui a présidé longtemps la Cour européenne des droits de l’homme qui lors d’un colloque, qui s’est tenu à Strasbourg en 2019, avait dit que la DDHU en était la continuité et le prolongement nécessaires. Tout simplement parce que sans reconnaissance de droits et devoirs de l’humanité à terme il n’y a plus de droits et devoirs de l’homme tout simplement.
C’est un peu ce qu’on trouve aussi en soubassement d’une vieille décision d’une Cour fédérale des États-Unis de 2007 -que Christian cite souvent- qui reconnaît quelque part que le droit naturel s’impose à la Constitution américaine parce que tout simplement s’il n’y a plus d’humanité sur terre pour appliquer la Constitution alors y a plus besoin de Constitution qui paraît être assez bon sens.
Donc voilà où on en est quand même et ça répond indirectement à la question que Christian vient de poser : on en est arrivé à un tel degré d’urgence qu’effectivement il faut que nous trouvions des solutions juridiques acceptables qui permettent de faire prévaloir à la fois le bien commun et les générations futures qui sont le double prolongement de ce qu’on vient de dire tout simplement.
Pourquoi ? Parce que le passage de l’individu au collectif il se fait dans l’espace avec les biens communs et la gestion de notre affaire commune et puis dans le temps avec le droit des générations futures et la manière dont la cour de Karlsruhe a jugé ce point au début de l’année (bien entendu la DDHU n’y est pas évoquée) mais ce sont exactement les principes de la DDHU que l’on trouve dans cette décision. Maintenant je vous propose de passer à la 2e étape concernant le thème “Bien communs et générations futures”.
- Biens communs et générations futures
Alain Juillet
Avant d’aborder ce thème je veux revenir sur un point qui me paraît essentiel qui est qu’au départ toute société, quelle qu’elle soit, partage parce qu’elle est obligée, parce que cela se crée avec l’histoire, avec les problèmes, avec les conflits, avec l’environnement qu’il y a un certain nombre de valeurs qui émergent. Ces valeurs qui sont un peu différentes selon les zones, la géographie, la culture, dont on retrouve les bases à peu près partout et dans toutes les religions et dans tous les systèmes de pensées quels qu’ils soient, pour moi ces valeurs ce sont celles qui génèrent les devoirs. Parce qu’une fois que l’on a des valeurs bien identifiées derrière on comprend que l’intérêt général le bien commun fait qu’on a un certain nombre de devoirs qui sont issus de ces valeurs et qui nous permettent à tous de vivre collectivement ensemble. Donc pour moi les droits viennent bien après et ne sont qu’une conséquence de ce que je viens de dire. Et alors j’ajoute qu’on voit que depuis la Révolution française, je reprends ce que disait le Père Louzeau, depuis la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, on a vu justement l’émergence d’abord des droits qui étaient affirmés c’était une nouveauté à l’époque qui ne connaissait pas les droits et puis progressivement en 2 siècles ces droits sont devenus exorbitants on s’est mis à oublier les devoirs et on a complètement oublié les valeurs. Car la société moderne est une société sans valeurs traditionnelles ou fondamentales c’est une des raisons pour lesquelles les religions, en général, ont des problèmes aujourd’hui. C’est qu’il y a un certain nombre de pertes de valeurs et donc pertes de références. Alors ça va très loin parce que quand on parle des jeunes comme ça a été évoqué aussi tout à l’heure et toujours dans l’intérêt du bien commun la jeunesse à toutes les époques de l’humanité, la jeunesse comme tout individu d’ailleurs a aussi besoin pour se mobiliser d’avoir une espérance. Cette espérance va venir avec des ajustements des objectifs collectifs, par la foi individuelle mais il va y avoir un ensemble de choses qui fait que l’individu va faire pour atteindre cet objectif ou parce qu’il croit à quelque chose, à l’espérance d’y arriver ce qui crée une motivation et une dynamique : aujourd’hui dans cet embrouillamini dans lequel nous trouvons avec la jeune génération et tous les autres aussi d’ailleurs, ont perdu cette notion de bien commun (puisqu’ils ne pensent qu’à eux) ils n’ont pas de motivations, : s’il n’y a plus de valeurs, il y a plus de références, on n’est pas capable de leur donner voilà alors on arrive à ce qui se passe aujourd’hui et avec à la fin de l’histoire si je peux dire aujourd’hui, une opposition dogmatique je dirais une opposition dogmatique qui fait que on ne veut même plus écouter l’autre, on rejette l’autre et si l’autre ne pense pas comme vous il a forcément tort. Alors comment leur amener justement une espérance ? Comment leur redonner l’espérance dans un monde meilleur, dans un monde dans lequel ils peuvent contribuer à améliorer la situation par eux-mêmes ? Parce que dans cette vision un peu décroissante du monde du futur on oublie les capacités de l’homme. En définitive on veut régler par des perspectives scientifiques et techniques des problèmes que l’homme est capable de résoudre par ses propres qualités… encore faut-il le motiver, encore faut-il l’amener à cela et pour le faire je crois qu’il faut créer un environnement, des règles dans lesquelles il va pouvoir se retrouver se ressourcer et surtout se repérer dans ce monde dans lequel il n’a plus de repères. C’est là où la DDHu me paraît très importante parce que la DDHu va lui rappeler qu’il fait partie d’une collectivité, la collectivité humaine qu’il a de devoirs envers cette collectivité et qu’à partir de ce moment-là s’il veut pouvoir continuer à transmettre, parce que c’est bien le fond du problème, transmettre aux générations futures mieux que ce que nous avons reçu c’est la base même du progrès de l’humanité il est la transmission à chaque génération d’une situation meilleure nous n’y arriverons pas et nous aurons failli à notre mission ; Cette transmission on ne peut la faire qu’ à partir du moment où on a un certain nombre de règles claires qui concernent les droits et devoirs du citoyen si on évacue la partie collective on évacue la responsabilité collective, refuser de voir un environnement qui a profondément changé nous entraîne dans une impasse d’où la nécessité de revenir vers une vision plus collective vers l’humanité.
Père Louzeau
Lorsque Corinne Lepage m’a posé la question des générations futures du point de vue de l’Église catholique, j’ai fait une petite recherche dans les textes officiels et je me suis aperçu que cette question est très peu présente jusqu’à Laudato Si’. C’est dans cet ouvrage de 2015 qu’on trouve un ensemble de 4 numéros qui traitent des générations futures dans un développement sur la justice. Il y a notamment un petit passage où le Pape François affirme : « Il faut inclure dans le bien commun de l’humanité, les générations futures ». Je pense que cela représente un saut qualitatif et à cela le texte ajoute trois raisons qui rejoignent ce qu’a dit Alain Juillet.
D’abord, inclure les générations futures ou le droit des générations futures dans le bien commun actuel de l’humanité tout entière, n’est pas une option mais une question de justice entre les générations. On rejoint ici la vision biblique pour laquelle nous recevons la terre qui nous nourrit de la génération précédente mais nous la recevons à titre de prêt, comme des héritiers, qui ont ensuite à la transmettre à la génération suivante, de telle manière que tous puissent en vivre.
Par ailleurs, ce qui est en jeu dans l’inclusion des générations futures dans le bien commun actuel toute l’humanité, c’est la dignité de notre génération. C’est notre propre dignité qui est l’enjeu, comme l’a dit Alain Juillet : si nous ne transmettons pas ce patrimoine terrestre aux générations futures, ou si nous le transmettons dégradé, c’est nous qui nous dégradons nous-mêmes, c’est nous qui, en réalité, sommes des naufragés de la civilisation, pour parler comme le Pape François l’a fait récemment à Chypre.
Et la troisième chose qu’ajoute Laudato Si’, qui rejoint ce qu’a dit Dominique Bourg au début et auquel j’ai été très sensible, c’est que notre insensibilité au sort des générations futures est corrélée à une autre insensibilité, une insensibilité actuelle cette fois-ci, à la fois aux drames humains notamment migratoires et aux dévastations environnementales : les deux sont liés et on trouve à la fin de ce passage de Laudato Si’ une citation de Benoît XVI qui mérite d’être entendue : « la solidarité intergénérationnelle suppose d’abord une solidarité intragénérationnelle ».
Pour terminer, j’ai été très frappé, par le discours cinglant que le pape François a prononcé à Lesbos ce dimanche 5 décembre 2021. J’en conseille la lecture à tous ceux qui s’intéressent à la question migratoire. On y trouve l’une ou l’autre phrase qui rejoigne mon propos. Le pape dit par-dessus tout : « si nous voulons repartir, regardons le visage des enfants, ayons le courage d’éprouver de la honte devant eux qui sont innocents et qui représentent l’avenir et ces enfants interpellent nos consciences et nous interrogent : quel monde voulez-vous nous donner ? ». Comme chrétien, je dirai que le sort des générations futures est affaire de salut ou de perdition aujourd’hui.
Corinne Lepage
Avant de donner la parole à Ghaleb Bencheikh, je voulais lire un texte de Gérard Rabinovitch qui s’inscrit totalement dans ce que vous venez de dire. Il dit, les exemples bibliques sont profus qui inscrit l’homme en hôte de la terre et il parle d’un certain nombre d’arbres dont il ne verra pas le jour. Et les exemples bibliques sont profus si l’homme en haut de la terre et il parle d’un certain nombre de d’obligations et dit :” l’impératif de solidarité transgénérationnelle que le récit du vieillard qui plante un arbre dont il ne verra pas les floraisons adultes mais de même qu’il a pu goûter avec délices aux fruits des arbres que ses ancêtres avaient plantés il agit à son tour pour que ses petits enfants puissent en bénéficier. C’est l’esprit du tikoun olam la réparation du monde”.
Ghaleb Bencheikh
Il faut d’abord rappeler la question de l’intérêt général, de l’utilité publique, tout ce qui concerne les États tout simplement pour sensibiliser les consciences, parce que aucune Nation, aucun peuple, aucune communauté, aucun groupe humain ne change si pris individuellement, les membres de la nation, du peuple de la communauté, ou du groupe humain n’entreprend pas un travail de conversion de métanoïa auraient dit les Grecs d’un retour sur l’essentiel. Or, il est temps dans cette civilisation désormais humaine dans un monde globalisé on a une seule famille la famille humaine avec le monogénisme l’unité du genre humain le bien commun rejaillit comme un bien pour chaque individu pris isolément et là c’est le travail par l’éducation par l’initiation à une aspiration à la sagesse pour faire en sorte que très tôt on enseigne le fait de se départir de l’éco centrisme, du narcissisme, de se croire seul dépositaire des biens seuls détenteurs de l’absolu d’une vision du monde et surtout d’une jouissance personnelle carpe diem, carpe noctem, et puis le reste viendra ou pas c’est cette préparation des individus qui est fondamentale.
Deuxièmement j’ai été très sensible à la parole reprise par Frédéric du pape émérite, de l’évêque de Rome à la retraite, Benoît XVI qui parle de cette solidarité intra générationnelle et d’une solidarité bien entendu intergénérationnelle. Ceci nous renvoie à cette notion on retrouve dans l’écologie intégrale mais aussi dans l’humanisme intégral un humanisme qui assume tous les héritages des peuples, quels qu’ils soient a fortiori ceux qui sont chassés injustement de leur demeure à la suite des catastrophes naturelles, des dérèglements climatiques et aussi malheureusement par les guerres parce que si on l’a beau, et à juste raison, penser à l’urgence du climat, il y a aussi toutes les catastrophes humaines dues aux conflits et à l’incompréhension des personnes. Toujours bon de leur rappeler en citant le pape François parlant “d’un naufrage de civilisation” c’est un mot fort qui nous pousse aussi à réfléchir à cette notion de biens communs : elle est fondamentale, tout comme l’humilité doit être aussi une règle générale. Je finirai cette réponse en faisant appel à Amadou Hampâté Bâ, ce sage africain qui disait que” lorsqu’un sage meurt c’est une bibliothèque qui brûle” et il disait bien à un de ses disciples: “lève le pied tu sais qu’en marchant avec arrogance tu écrases la fourmi, la brindille d’herbe, et le caillou « il y a là les 3 règnes: le règne minéral, le règne végétal, et le règne animal, on est aussi dans le monde à la fois sensible qui constitue à lui seul sous notre pied là une part, un échantillon de la nature et de notre environnement.
Alain Papaux
Permettez-moi d’être une sorte de rabat-joie de par ma technique juridique qui est mon corps de métier et c’est plutôt la structure juridique moderne du droit qui me pose problème. Évidemment j’adhère à tout ce qui vient d’être dit en en matière d’éducation et autres c’est peut être d’ailleurs le levier le plus puissant.
Il n’empêche que si nous avons avancé aujourd’hui une notion de bien commun d’un point de vue juridique afin de pouvoir servir d’ailleurs à une Déclaration juridique des droits de l’humanité puisqu’il s’agit de droit, il nous faut quand même partir de ce qui constitue la structure actuelle du droit moderne à savoir la théorie des droits subjectifs : comme il était montré tout à l’heure d’ailleurs la possibilité des droits de l’homme à répondre à des questions collectives. Tout le droit moderne en particulier les droits de l’homme dans leur interprétation individualiste empêche d’avoir une vision à un niveau collectif, nous avons essayé d’ailleurs avec Dominique Bourg à envisager des déplacements conceptuels : les droits de l’homme non plus lus à travers le prisme de l’individu mais à travers l’individu considéré comme un porteur de dignité humaine ; Peut être qu’il y a là des relations intéressantes à faire avec la personne en matière chrétienne j’aurais été très heureux d’entendre le Père Louzeau sur ce sujet. Sans doute ne pas rejeter l’individu comme tel mais ne pas lui reconnaître la qualité d’atomes sociétaux comme on le fait dans les droits subjectifs modernes et le reconnaître au fond comme un porteur de la dignité de l’humanité et dans ce sens-là il en il serait un gardien, un garant de cette dignité et non pas un utilisateur comme tel.
Le problème juridique est infiniment plus délicat et vous me permettrez de prendre au fond une sorte de rasoir d’Ockham car il est grandement responsable de cette société hyper individualiste qui est la nôtre et plus précisément sur la notion de communauté internationale. Il est très difficile pour les juristes d’expliquer à des non juristes notamment les journalistes que la communauté internationale n’existe pas juridiquement parlant il n’y a pas de sujet de droit dans le droit international qui se dénomme communauté internationale, on a un élément extrêmement important symboliquement celui de l’Autorité des fonds marins de la convention de Montego Bay pour le reste il y a inexistence juridique de la communauté internationale.
Nous nous retrouvons alors devant une sorte de dissonance ou d’un point de vue moral tout le monde admet la notion de bien commun comme on vient de le voir à l’instant mais le problème juridique reste : comment traduisez vous ce bien commun admis morale de droit et pour moi il y a ici une impossibilité. On confond un bien commun qui pourrait éventuellement être de fait mais qui n’est aucunement de droit parce que nous ne sommes pas capables de le construire avec nos notions juridiques actuelles et c’est cela que je crains toujours lorsque j’entends parfois des synonymies peut être involontaires entre intérêt général bien commun intérêt collectif.
La notion d’intérêt qui est d’origine profondément économique pour les temps modernes indiquent un substrat individualiste et donc l’intérêt collectif n’est jamais qu’une somme plus ou moins intelligente plus ou moins optimale d’intérêts individuels or notre problème est de quitter l’intérêt individuel parce qu’il nous faut quitter l’individu il y a bien donc un saut qualitatif comme il a été rappelé entre la notion d’intérêt commun et la notion de bien commun celle que devrait servir précisément l’humanité.
Comment voulez vous construire un bien commun lorsque les 2 acteurs principaux de ce bien commun l’ont construit à partir d’une d’un solipsisme juridique moderne à savoir les droits individuels. Vous prenez l’individu, on le voit dans les droits de l’homme, cet individu n’a juridiquement et ne peut juridiquement s’engager dans aucune entité collective de principe elle sera toujours collective par construction comme être le contrat social et si vous prenez l’autre acteur principal l’Etat il est construit de la même manière en droit moderne. Les États se régissent dans le cadre d’une égalité souveraine qui les rend donc parfaitement juxtaposés les uns aux autres (la seule exception est celle du chapitre VII de la charte de l’ONU) qui permettrait d’avoir un élément qui présente et c’est bien ce mot du supranational qui empêche, j’entends bien juridiquement pas moralement, de construire à partir du droit actuel me semble-t-il un authentique bien commun c’est vraiment ce point là sur lequel j’aimerais insister c’est uniquement en termes de technicien du droit en quelque sorte que je ne vois pas comment construire juridiquement un bien commun.
Même si moralement celui-ci est certainement acquis et recherché si nous voulons construire sur la base du droit moderne je pense que nous sommes dans une impossibilité proprement épistémologique et logique pour les droits des non humains… C’est une question de technique juridique qui ne pose strictement aucun problème car le droit le droit construit comme il veut ses acteurs juridiques : le droit n’a donc aucune difficulté à construire la personnalité juridique d’un fleuve, d’une montagne, des animaux qu’il y ait une volonté politique pour le faire et le droit en cela suit la volonté politique et technique juridique est à disposition les procès du Moyen Âge, les procès d’animaux ont montré que la technique juridique peut parfaitement se couler dans une personnalité juridique des non humains.
Mathieu Ricard
Alors on peut faire une petite expérience de pensée et imaginez qu’aujourd’hui si quelques milliers de personnes avaient le droit de décider du sort de 7 milliards d’autres personnes, évidemment tout le monde serait indigné. Malheureusement c’est un petit peu ce qui se passe avec la l’extrême disparité des richesses qui ne fait que s’accentuer depuis une trentaine d’années. Ce serait totalement inacceptable si cela était officialisé complètement. Or si 7 milliards d’êtres humains finalement décident par leurs actions, même si ce n’est pas explicite du sort des générations à venir sans les consulter parce qu’elles ne sont pas là alors le problème c’est que si on accorde des droits à des personnes qui n’existent pas encore pour quelle raison ?
Un ami marxiste favori me disait pourquoi me préoccuper des générations à venir, en effet qu’est-ce qu’elles ont fait pour moi ? Malheureusement il croyait pas si bien dire parce que j’ai entendu un milliardaire américain comme Steven Fox qui disait à propos de la montée des océans sur Fox News : « Je trouve absurde de changer nos comportements aujourd’hui pour quelque chose qui se passera dans 100 ans» c’est vraiment le point de vue extrême « après moi le déluge » en quelque sorte mais il y a aussi des notamment parmi les philosophes anglo-saxons un certain nombre de philosophes qui soutiennent cette position, quelqu’un comme Norman Caire de l’ Ohio qui dit par exemple : « les intérêts des générations à venir ne peuvent pas nous intéressé parce qu’on entretient pas des liens d’amour avec des êtres indéterminés et qui n’existent pas encore il n’y a pas de sentiment d’appartenance à l’humanité commune ».
En revanche, il y en a d’autres comme le philosophe anglais : Derek Parfit qui dit « que rien ne justifie que l’on n’accorde plus d’importance aux générations actuelles qu’à celle du futur ». Donc l’un de nos problèmes est cette conception très individualiste des droits que seule une personne qui existe qui peut réclamer ses droits. Il faudrait donc attendre qu’on vienne au monde et faire une distinction entre ce qu’on pourrait appeler des droits actifs et des droits passifs, les droits actifs c’est d’avoir le droit de faire telle ou telle chose aujourd’hui et les droits passifs c’est le droit de ne pas être privé de la possibilité de vivre de façon décente acceptable sans être infligée par d’autres des souffrances totalement inutiles et inacceptables. Ces notions de droit passif qu’on peut rapprocher aussi de notion de droit naturel, le droit à vivre sa vie jusqu’au bout, doivent être absolument applicables aux générations à venir.
Il n’y a aucun doute qu’il faut recourir à un principe d’équité intergénérationnelle et que de ce point de vue là les êtres à venir, même s’ils sont pas là, et on sait très bien qu’ils seront là, on sait très bien qu’ils auront le même type de sensibilité que nous, c’est à dire que personne ne se réveille le matin en souhaitant souffrir toute la journée si possible toute sa vie et que ça on peut en être absolument sûr et que donc on peut être certain qu’il nous maudiront en disant vous saviez-vous et vous n’avez rien fait ou comme disait Greta Thunberg parlant de la trahison des générations à venir. Alors c’est beaucoup aussi une question d’imagination lié à une sorte de sentimentalité on se préoccupe de manière extrêmement étroite du bien être de nos enfants et nos petits enfants mais on a quelques peu du mal à imaginer 5 ou 6 générations pour nous ça veut rien dire pas plus que sauf si on est absolument passionné par la généalogie ce que les ancêtres il y a 6 ou 7 générations (personnellement je n’ai rien à faire) mais il y a des gens que ça intéresse prodigieusement mais là citation que Corinne a faite effectivement les fruits que nous mangeons aujourd’hui sont ceux des arbres ont été plantés par 3 ou 4 générations précédentes et donc s’il est évident que ce lien est continu et durable.
Donc nous devons nous sentir responsables et ça doit être mis dans une sorte de droit des générations futures de la souffrance et du bonheur en général des êtres à venir. Donc là la notion de considération d’autrui l’altruisme rejoint celle du droit parce que évidemment si on réduit le droit à notions de l’expression individuelle de faire valoir ses droits, faire preuve de réciprocité, d’être conscient de ses droits et cetera et cetera, ça n’a pas de sens pour des êtres qui n’existent pas encore. Donc en général donc c’est apparaît une évidence que si l’on a de la considération pour les générations à venir il est impossible d’ignorer leur sort et c’est ce qu’on appelle aussi les externalités : dans ce que nous faisons aujourd’hui, quel va être le coût pour les générations à venir ? Et quand on voit que aujourd’hui qu’on a vu cela à la COP 26 il y a encore 450 milliards de subventions pour les énergies fossiles et que les grands Etats sont là à pleurnicher parce qu’il court pas 100 milliards pour financer le développement de l’énergie renouvelable dans les pays en voie de développement, les États-Unis ont dépensé je crois 1300 milliards rien que pour la guerre d’Afghanistan si on a l’impression que c’était un peu une plaisanterie que d’affirmer que l’on est vraiment intéressé par le sort des générations à venir.
C’est là vraiment une question d’altruisme ce n’est pas simplement une question de droit, si on a sincèrement de la considération pour les autres on ne peut pas ignorer le sort d’êtres qui existeront pour sûr et qui vont en raison de nos comportements égoïstes souffrir considérablement. Et ce court thermisme on le voit bien ne serait-ce que dans ceux qui s’intéressent uniquement aux coûts économiques les rapports de Nicholas Stern par exemple montre très bien que certes ça coûte très cher aujourd’hui de prendre des mesures pour en 10 ans réduire à 0 émission de CO 2 où a cessé de couper toutes les forêts tropicales mais que le coût dans 30 ou 40 ans sera 40 fois plus élevé aussi d’un point de vue strictement d’intérêt cela n’a aucun sens. Le problème c’est que l’évolution nous a équipé pour réagir à des dangers immédiats .Si on nous dit là le collège des bernardins prend feu tout le monde part en courant et si on nous dit le collège des bernardins va prendre feu dans 30 ans on verra bien il sera temps de faire quelque chose. Donc ça c’est un vrai défi sans doute que c’est normal que nous soyons enfin préoccupés par les dangers immédiats.
Dans les temps préhistoriques le danger c’était les bêtes fauves cela demande un effort cognitif et donc c’est là un peu le défi : On pourrait dire que le futur ne fait pas mal du moins pas encore mais on peut être sûr qu’il va frapper très dur. Donc voilà juste quelques petites considérations.
Dominique Bourg
Je voudrais relever deux choses, la première relative à la définition du bien commun, et la seconde relative à la question des générations futures.
Je m’inscris en faux vis-à-vis de la définition du bien commun donnée par Dardot et Laval. Il me semble important d’être attentif aux caractéristiques de certains « biens ». Autrement dit, je refuse de réduire les communs à un mode de gestion communautaire des biens. La langue est par exemple un commun parce qu’elle n’est appropriable par aucun individu et parce qu’elle conditionne l’expression de la pensée. Chacun peut en revanche contribuer à la dégrader et à l’appauvrir. De même, le climat est un commun car il n’appartient à personne, tout en rendant possible la vie sur Terre en fonction du double paramètre, chaleur et humidité. En revanche, chacun peut contribuer à le dégrader. Etc. Nos techniques et leur accumulation (en un sens général, celui d’objets aussi bien que celui de conventions d’écriture comme les abscisses et ordonnées, etc.) constituent un commun. Pas de géométrie grecque sans un bâton et du sable, pas d’algèbre sans lettres, etc.
En d’autres termes, un bien commun conditionne l’expression et le développement d’un domaine de réalité particulier. Les choses peuvent toutefois s’enchevêtrer de façon hiérarchique. Les droits humains conditionnent la protection des individus, mais sans climat stable et propice à l’épanouissement de la vie, pas de droits humains possibles.
Enfin concernant les générations futures, je rappellerai que le climat n’est pas un enjeu pour demain, mais pour aujourd’hui. L’enjeu du changement climatique est en effet la péjoration et la réduction de l’habitabilité de cette planète. Processus en cours et déjà bien engagés. malheureusement.
Christian Huglo
Comme vous l’avez deviné je suis en désaccord sur certains éléments des propos pessimistes de la communication d’Alain Papaux qui supposent que nos concepts sont bloqués. Toute ma vie professionnelle a été dirigée pour construire quelque chose à partir des données et je crois que rien n’est impossible quand on le veut vraiment. J’ai tiré beaucoup, comment dirais-je, de miel des paroles qui ont été prononcées sur quelque chose qui me paraît fondamental : La définition du bien commun qui est extrêmement difficile dans l’état actuel des choses parce que nous avons voulu faire table rase du passé.
C’est une question qui devient plus délicate et si l’on refuse le passé et on en est terriblement désarmé par rapport au futur, on peut être tous d’accord là-dessus c’est une loi humaine : sans passé pas de futur c’est clair, c’est simple et donc ça pose tout le problème de la transmission qui a déjà été abordé : Il y a donc dans l’expérience du passé un trésor à exploiter.
Deuxième observation celui qui recherche le bien commun n’est-ce pas celui qui essaie de mettre en œuvre le droit et la justice. Aujourd’hui on voit très bien que le bien commun est en cours de définition. Cela ne fait pas si longtemps que l’on parle de la biodiversité, cela ne fait pas si longtemps que l’on parle du climat.
Le climat est devenu quelque chose de sérieux depuis l’accord de Paris. Donc cette notion est en cours de définition : derrière cette question se cache effectivement le combat pour la dignité humaine parce que c’est cela le fond de l’affaire. Le Père Theilard de Chardin parlait « d’un souffle qui a présidé à la naissance de l’humanité et qui se répand sur toute la surface de la terre ». Il s’est passé quelque chose dans l’humanité qui est fondamental et qu’on ne peut pas quitter, sans risquer de se perdre complètement.
Troisièmement, sur la notion de bien commun on ne peut parler par symétrie de l’écoside mais on peut parler aussi du contentieux climatique qui a 2 volets le contentieux qui est celui qui concerne les projets climaticides et le contentieux de l’adaptation. Le droit climatique se construit comme l’a été le droit de l’environnement par la société civile. Il a fallu ici faire reconnaitre l’obligation impérative de lutter contre le réchauffement climatique dans l’affaire Grande Synthe jugée par le Conseil d’Etat le 20 novembre dernier grâce au droit à faire. C’est un début mais c’est aussi le démarrage d’un mouvement vers la construction d’un nouveau droit où les juges s’imitent les uns les autres. Aussi je plaide pour l’espérance.
Catherine Le Bris
Je vais poursuivre sur l’idée d’espérance. Les droits de l’humanité tendent à s’affirmer en droit positif. L’instrument le plus complet et le plus abouti sur la question est la Déclaration universelle des droits de l’humanité de 2015. Cet instrument reconnaît des droits mais aussi des devoirs à l’égard de l’humanité : c’est un choix fort qui a été voulu par Corinne Lepage et qui, de mon point de vue, est justifié pour plusieurs raisons.
D’abord, parce que dans l’Occident moderne, on pense beaucoup en termes de droits, mais dans d’autres cultures, on pense plutôt en termes de devoirs d’une personne qui est intégrée à une communauté. Par ailleurs, le devoir se place au-dessus des calculs d’intérêts.
La Déclaration universelle des droits de l’humanité est un premier pas dans la reconnaissance des devoirs à l’égard de l’humanité en matière environnementale. Cette Déclaration est un instrument de soft law (droit mou) au sens large du terme mais elle pourrait être adoptée à l’avenir au sein des Nations Unies par son Assemblée générale pour devenir un texte de référence des Etats. Cette déclaration ferait ainsi écho à la Convention sur les changements climatiques et à la Convention sur la diversité biologique qui intègrent déjà cette notion-clé de « préoccupation commune à l’humanité ».
La notion de droits de l’humanité n’est pas une notion inconnue dans l’ordre juridique international. Alain papaux l’a rappelé : dans la Convention sur le droit de la mer déjà, les Etats dotent l’humanité de droits. De manière plus large, la Cour interaméricaine des droits de l’homme elle-même a reconnu que l’environnement est un droit de l’humanité.
Si les droits de l’humanité émergent, toute la question qui se pose à présent est de savoir qui peut alors parler au nom de l’humanité ? Aujourd’hui l’humanité est, en droit, ce qu’on appelle un sujet passif, mais non un sujet actif. Elle a des droits mais elle n’a pas la capacité de les exercer sauf dans des domaines sectoriels tels que celui de la protection des fonds marins. Le lit des mers est patrimoine commun de l’humanité et l’Autorité internationale des fonds marins qui a la personnalité juridique internationale représente l’humanité ; elle peut agir d’ailleurs en son nom devant le Tribunal international du droit de la mer. Des mécanismes existent donc, mais seulement dans des champs déterminés.
Pour protéger les droits de l’humanité de manière plus globale et permettre à celle-ci de les exercer, deux voies sont possibles.
La première voie est fondée sur le modèle d’une humanité centralisée. On pourrait imaginer une humanité qui serait représentée par une organisation internationale, par une sorte de super Etat. De mon point de vue, cependant, une telle approche est prématurée : la construction politique de l’humanité doit être un préalable à sa construction juridique. C’est pourquoi, aujourd’hui, on ne peut que s’orienter vers la seconde voie basée sur le modèle d’une humanité décentralisée, c’est-à-dire vers une humanité qui serait plurielle. L’humanité serait ainsi représentée par les individus et les groupes humains qui composent la collectivité humaine : les personnes humaines elles-mêmes mais aussi les organisations non gouvernementales, les peuples, etc. C’est ce vers quoi on se dirige aujourd’hui de fait puisque ce sont les associations et les individus qui vont devant le juge pour invoquer les intérêts de l’humanité et des générations futures face à la crise climatique.
- Droit de la nature et droits humains
Corinne Lepage
Ce que je voulais simplement dire, avant d’aborder cette deuxième thématique, c’est que nous avons l’ambition de faire de l’année 2022, l’année de la déclaration universelle des droits de l’humanité. Donc nous avons lancé une grande coalition à l’échelle internationale où tous ceux qui le veulent peuvent bien entendu rejoindre.
Logiquement l’association des amis de la DDHu devraient être reconnues au niveau de l’Ecosoc, c’est-à-dire du Parlement des associations onusiennes au cours de cette année (ce qui a eu lieu par délibération). Ce qui va nous donner effectivement des possibilités beaucoup plus importantes de nous faire entendre nous avons un soutien aujourd’hui très important de la part de Cités et groupements locaux Unis (CGLU) ce qui représente 250000 villes dans le monde donc 5 milliard de gens. CGLU a fait de la Déclaration un élément majeur de sa stratégie internationale. Je parle pas des universités, des barreaux et cetera…. donc nous allons essayer de pousser la Déclaration pour avoir une forme de texte qui n’est pas la panacée universelle mais enfin qui est quand même une avancée importante qui reconnaît quelque chose de majeur dans le contexte actuel et faire en sorte qu’ on puisse le pousser le plus loin possible au cours de l’année 2022.
Il est clair qu’à travers l’échange de réflexions de ce matin où on voit des expressions bienveillantes et si elles sont très bienveillantes elles sont toutes très consensuelles. C’est un partage qui me paraît quand même tout à fait clair et évident. Je trouve cela extrêmement encourageant parce que cela veut dire qu’on est capable, et beaucoup d’autres aussi bien sûr, de mettre en commun ce qui a le meilleur d’entre nous pour essayer de nous en sortir. Je crois que c’est là un mot d’espoir important.
Il faut maintenant passer donc à la 2e grande thématique qui sera beaucoup plus rapide bien sûr que la première sur « le vivant non humain » pour rappeler que dans les principes de la Déclaration la pérennité du vivant et qu’il y a un article 5 qui nous a fait beaucoup travailler et réfléchir : je le cite de mémoire : « l’humanité comme l’ensemble des espèces vivantes a droit à vivre dans un environnement sain et écologiquement soutenable”.
L’article 12 en constitue le devoir corrélatif si je puis dire. On n’est pas allé jusqu’à la reconnaissance de la personnalité juridique du vivant notamment pour les raisons qui ont été exprimées par Alain Papaux tout à l’heure, cependant pour en revenir au sujet reconnaître aux vivants non humains un droit à vivre dans un environnement sain et soutenable cela veut dire quand même quelque chose de puissant et de fort. L’ensemble des espèces vivantes c’est en tout cas tout le végétal et l’animal concernant les ressources sont reconnues comme ayant des droits à leur sauvegarde, on a donc pris le sujet un petit peu différemment. Mais je dirais que le socle est donc solide juridiquement.
Père Louzeau
C’est moi qui ai demandé que l’on dialogue entre nous sur cette question parce que, même si je ne suis pas du tout spécialiste du droit, j’ai bien remarqué que la DDHu avait reconnu, dans son article 5, un droit des espèces vivantes mais qu’elle n’allait pas jusqu’à leur reconnaître une personnalité juridique. Je voulais savoir pourquoi. J’ai compris qu’un pas pouvait être encore franchi mais j’aimerais bien savoir quels sont les avantages et inconvénients d’aller jusqu’à la reconnaissance d’une personnalité juridique aux êtres autres qu’humains ? Pourquoi la DDHu s’arrête-t-elle un peu avant ? Tout cela étant dit sans aucune intention polémique.
Réponse de Corinne Lepage
On en a beaucoup discuté dans les travaux préparatoires que je viens de remettre à Ghaleb BenCheikh et qui sont publiés à la documentation française. Comme la DDHu est un petit texte donc on a pesé vraiment chaque mot et on s’est beaucoup posé la question de la reconnaissance d’une personnalité morale pour l’humanité et d’une personnalité morale pour les espèces non humaines.
Et en fait on est heurté face à un même mur qui, si je puis dire, était double.
D’abord la volonté que cette Déclaration puisse être reconnue par le plus grand nombre et on s’est dit que si on allait trop loin, les États ne nous suivraient jamais ; Sans doute pour le moment ils nous ont pas encore suivis mais on a quand même l’espoir qui nous suivent à un moment donné du temps : les collectivités publiques l’ont fait en très grand nombre je ne suis pas sûre qu’elles l’auraient fait si on avait reconnu la personnalité morale à la Nature ; A tout au moins il se serait posé encore plus de problèmes dans la mesure où les collectivités qui nous suivent elles ont toutes les couleurs politiques que vous pouvez imaginer : La Confédération des Villes Unies(CGLU) c’est la terre entière et même les Chinois, Shanghai par exemple, figurent dans le comité directeur qui a approuvé la DDHu bien avant que l’assemblée générale le comité mondial le fasse.
En deuxième lieu, sur l’humanité on s’est dit mais quand même au niveau des Nations Unies on est capable de faire mieux qu’un Programme des Nations unies pour l’environnement : Vous avez une Organisation internationale maritime vous avez une Organisation internationale pour la météo, vous en avez une pour l’agriculture, vous en a eu pour la santé, vous avez tout ce que vous voulez sauf l’environnement (PNUE) et on n’a qu’un Programme des Nations unies pour l’environnement. Quand Jacques Chirac avait voulu en 2007 créer une Organisation Mondiale l’environnement (OMF) il a pris une claque magnifique ! Personne m’en voulait, on s’est donc dit que si l’on reconnaît une personnalité morale à l’humanité c’est très joli, mais qui va concrètement représenter cette personne morale ? On s’est dit que l’on allait vers un échec évident c’est à dire qu’il n’y aura personne en face et donc pas d’abonné au numéro qu’on a demandé.
Pour les espèces animales et végétales, le sujet est un peu différent mais ce que nous nous sommes dit c’est que le problème n’était pas celui des droits parce que il y a pas de problème de droits, le problème c’est celui de la représentation. C’est à dire qu’en tout cas dans les droits anglo-saxons et germano latin (parce que les droits civiques américains, c’est un peu différent). Le vrai sujet c’est qui représente ? Pour la personnalité morale d’une entreprise celle-ci elle représentée par une personne physique il faut toujours en ce cas une personnalité physique donc un humain. Donc on va demander à un humain de représenter un non humain. Qui va être cet humain ? Si c’est l’Etat cela ne marchera pas parce que l’Etat n’a jamais été un défenseur de ces sujets là, alors si ce n’est pas l’Etat c’est qui ? Est ce que ce sont des organisations non gouvernementales ?
A la limite elles le font déjà : quand la LPO qui protège les oiseaux entreprend une action en justice elle est recevable et aujourd’hui elle fait indemniser le préjudice non pas les dépenses qu’elle a faites mais le préjudice écologique c’est à dire la perte des oiseaux (article 1243 et suivants du Code civil) qu’est ce que ça donnerait plus par rapport à ce que nous avons déjà pour représenter ces animaux ? Et c’est parce qu’on est tombé sur ce bec là on s’est dit ce n’est pas la peine d’y aller cela serait une source de difficultés et d’affaiblissement du texte : Donc reconnaissons les droits et il y a déjà dans le système juridique actuel tout ce qu’il faut pour pouvoir exercer ces droits si la Déclaration est reconnue : voilà je parle sous le contrôle de Catherine et Christian mais c’est le raisonnement que nous que nous avons tenu.
Catherine Le Bris
Oui, tout à fait. Il existe déjà en droit positif des mécanismes pour protéger la nature ; c’est le cas, par exemple des parcs nationaux ; dans ce cas, c’est l’établissement public qui a la personnalité juridique.
Concernant plus précisément la question des droits de la nature proprement dits, il faut répondre à la question de savoir à quel niveau on se place ? C’est à dire est-ce que l’on se place au niveau local et dans ce cas, on reconnaît la personnalité d’un fleuve comme cela a été fait dans certains Etats ? Ou est-ce que l’on se place à un niveau plus global et dans ce cas, c’est la nature en tant que telle que l’on consacre comme personne juridique. Il est très important de distinguer ces différents niveaux. De mon point de vue, c’est l’échelle locale qui est la plus intéressante pour protéger les éléments de la nature.
Matthieu Ricard
Je vais tâcher d’être bref mais c’est un vaste sujet : en gros si vous avez un ordinateur qui ne fonctionne pas et que vous le jetez par la fenêtre même si c’est un peu dommage c’est votre droit, par contre s’il y a un chat qui vous agace et vous lui fracassez la tête sur un mur ce n’est pas un droit c’est un abus de pouvoir. Quand vous capturez un animal et qu’il se débat de facto il exprime sa volonté de vivre, de ne pas être capturé, tourmenté, blessé enfermé, attaché, ou tué.
En fait pourrait donc considérer qu’il a le droit de ne pas être victime de souffrances imposées par autrui. On pourrait poser la question est-il juste et moral d’infliger des souffrances non nécessaires à des êtres sensibles ? En fait la question est évidemment que c’est injuste et immoral.
La question est venue du fait que évidemment les intérêts des autres espèces ne sont pas les mêmes que les nôtres. Les philosophes qui ont beaucoup réfléchi à cette question comme Peter Singer vous disent ce dont on a besoin c’est d’une considération égale c’est à dire la considération à vouloir échapper à la souffrance ; le traitement sur le plan des droits est évidemment différent ; On n’a pas besoin de donner le droit de vote à un mouton pas plus que on a besoin de droit de donner le droit à l’avortement à un homme, par contre quand vous fichez un coup de poing ou un coup de couteau dans le ventre d’un mouton ou dans le ventre d’un professeur d’université, en gros pour tous les deux avoir le droit de ne pas être poignardé de la sorte est extrêmement proche. Si vous placez 1000000 euros devant un mouton il s’en fiche si vous lui retirez cela vous ne lésez pas ses intérêts.
L’idée réside dans la considération d’infliger des souffrances inutiles à d’autres êtres sensibles alors qui sont des sujets de vie alors les questions de droits bien sûr c’est très complexe je comprends le problème de Corinne.
Pragmatiquement ce serait effectivement aller vers un mur si on veut aller dans ce sens mais néanmoins en gros le fait que les animaux ne puissent pas exprimer leurs droits et faire œuvre de réciprocité, n’efface pas le devoir de respecter leur intégrité et l’obligation de respecter cette aspiration à vivre. Si nous sommes cruels vis-à-vis des animaux en gros nous pourrions avoir tendance à devenir cruels envers nos semblables mais des philosophes disent que ce sont des devoirs directs. Les animaux ont des intérêts propres et c’est pour leur propre compte. Ils sont des fins en eux-mêmes et non pas pour les autres.
Alors comment essayer d’intégrer tout cela de manière assez intéressante et cohérente ? Il y a une théorie qui a été proposée par 2 canadiens Sue Donaldson et Will Kymlicka qui disent en gros il y a 3 sortes de droit des animaux.
Pour les animaux sauvages qui sont un peu comme un peuple ils ont le droit qu’on respecte leur habitat leur biotope leur manière de vivre leur environnement et on pas le droit de détruire l’environnement qui leur permet de prospérer de continuer à se reproduire et cetera. On peut les traiter presque comme on traiterait un état indépendant en pensant aux forêts équatoriales.
Il y a ensuite les animaux domestiques et là pour eux nous avons des devoirs directs de les traiter correctement ce qui ce qui n’exclurait pas une forme de symbiose où chacun trouve son bien par exemple faire la traite des vaches sans pour autant leur infuser des souffrances et en prenant soin de leur santé. Et puis donc vis-à-vis des animaux domestiques nous avons des devoirs et nous pourrions avoir des bénéfices mutuels.
Enfin il y a les ce qu’on pourrait appeler les animaux commensaux comme les pigeons des villes et qui sont des résidents mais en même qu’elle nous n’avons pas de devoirs mais c’est le droit d’être là et le droit de vivre.
Alors pour ce qui est de la question de droit, s’agissant de cette notion de personnalité juridique c’est très compliqué. Aux États-Unis il y a un avocat qui, depuis 20 ans, Robert Wise qui porte le « Non-Human Rights Project »’ et qui essaye de faire reconnaître l’habeas corpus pour les animaux emprisonnés sans jugement. En ce moment au tribunal de New York a été débattu le cas de l’emprisonnement d’un éléphant qui s’appelle « Happy » pour savoir il est emprisonné contre sa volonté… La personne d’un éléphant qui peut avoir conscience de lui-même et a toutes sortes de sensibilité d’émotions d’un forme d’intelligence et l’emprisonner est un abus de pouvoir.
S’il est vrai que la façon dont on se relie aux animaux reste souvent l’exercice du droit du plus fort ce n’est pas un droit moral. Milan Kundera donne l’exemple de personnes d’une autre planète étant nettement plus intelligents et puissants que nous qui nous ont dit « écoutez nous avons des textes fondamentaux qui nous disent que le reste de la création est à notre disposition en plus on aime beaucoup le goût de la chaire humaine donc vous n’avez pas grand chose à dire ». Qu’est ce qu’on dirait à ce moment-là ? On se révolterait évidemment, c’est un peu tout ce questionnement : est ce que nous faisons vraiment l’usage du droit du plus fort c’est aussi la question de en quelque sorte une sorte de suprémacisme humain ; par exemple, on reconnaît absolument des droits à une personne handicapée mentale qui n’a aucune notion de droit ni qui peut pas les exprimer, ni celui d’un enfant qui ne peut pas encore les exprimer, mais l’enfant plus tard sera un adulte pourra reconnaître ses droits mais on sait très bien par rapport à un enfant extrêmement handicapé qu’un éléphant, un cheval, un chimpanzé a beaucoup plus que de facultés cognitives et on dit non un être humain oui, mais on peut pas avoir la même chose pour d’autres espèces là. Ce qu’on peut appeler le spécisme c’est à dire c’est fondé sur l’espèce même un climat qui n’a aucune notion de droit qui ne peut pas les exprimer doit être protégé intégralement or cela s’arrête dès qu’on sort de l’espèce humaine. Donc à nouveau on arrive à cette notion de droit du plus fort et parce que nous avons l’intelligence, mais évidemment du point de vue moral cela pose de nombreuses questions…
Réponse de Corinne Lepage
Je vais faire tourner la parole mais juste Mathieu ce que vous dites me touche. Dans la Déclaration on a quand même la reconnaissance du droit de vivre à propos de ce que vous disiez des espèces sauvages à mon avis c’est garanti puisqu’il y a un droit de vivre dans un environnement sain et écologiquement soutenable. Donc le droit de vivre est reconnu si l’on pousse le sujet jusqu’au bout, cela veut dire qu’on rentre dans une société végane.
Matthieu Ricard
Bizarrement l’Inde par exemple a reconnu les dauphins comme des personnes (pour les dauphins allez savoir). Le droit à un habeas corpus pour des chimpanzés ce n’est pas la même chose que les souris c’est bien compliqué.
Je pense donc qu’il y a une réflexion à mener sur la différence entre le droit et l’exercice du droit c’est à dire vous pouvez reconnaître un droit à quelqu’un mais pas forcément lui donner la possibilité d’exercer ce droit ; ce droit peut être exercé par d’autres à ce moment-là c’est des droits passifs pas des droits actifs voilà donc il y a peut être une évolution dans ce sens. De plus quand vous disiez que l’Etat n’interviendrait pas pour au nom de la Nature ou des animaux malgré tout en Suisse et en Autriche il y a des avocats qui sont commis d’office pour représenter les animaux là où il y a des problèmes de maltraitance : disons que j’ai un angle hexagonal déformant.
Ghaleb Bencheikh
Sans être le représentant de la religion musulmane je parle de quelque chose que je connais un peu moins mal que d’autres : je remarque que la réflexion théologique et son indigence de nos jours (alors même d’une manière générale ce qui concerne l’islam les véritablement il y a toutefois quelques soubresauts quelques prémices). En ce qui concerne maintenant, il y a la fameuse déclaration du passé plus ou moins inaperçue de la Mecque du 29 mai 2019 qui parle de la préservation du vivant donc de la vie et surtout un principe de la souffrance que l’on inflige à des êtres sensibles, les animaux qui sont reconnus comme des êtres sensibles. A travers l’histoire, il y a ce procès qui a été rapporté dans une des épîtres des frères de la pureté qui est cette fameuse société savante secrète et pythagoricienne ismaélienne des 9e, 10e siècles. Pour l’anecdote il s’agit, dans l’une de ces épitres, il y en a 52, du cas de quelqu’un qui a trahi en donnant les noms de quelques protagonistes de ces Frères de la pureté et qui met en scène un tribunal tenu par des animaux. Celui qui était jugé c’était l’homme pour ses outrances, pour ses excès, pour son comportement injuste à l’encontre notamment du vivant des arbres et des animaux l’homme pour cela a été condamné.
Cela se situe globalement au 10e siècle, en tout cas le dernier quart du 10e siècle mais ce sont des choses qui se trouvent dans le patrimoine non seulement de la civilisation islamique mais aussi de l’humanité de nos jours.
Il est clair que l’abattage rituel, le Hallal commence à poser problème à la conscience des croyants et notamment des croyants musulmans : on s’achemine petit à petit à reconsidérer tout cela c’est vrai que c’est encore loin maintenant je sors de la sphère islamique pour aborder les questions de la chasse du prétendu plaisir qu’on a infligé aux animaux pour autre chose et ce qui serait nécessaire pour qu’ils se défendent : il y a des choses de cet ordre qu’il faudrait connaître. Donc je résume mes propos en disant que l’on reconnaît aux animaux leur caractère sensible, ce sont des êtres sensibles et on reconnaît aussi aux arbres la vie en tant que telle : il n’y a aucune raison d’attenter contre la vie aussi bien chez les animaux que chez les végétaux.
Alain Papaux
Pour moi ce thème est très important mais en même temps je me demande si on le prend tout à fait dans le bon sens parce que si au lieu de parler des droits des êtres vivants en général on parle alors des devoirs que nous avons envers eux c’est beaucoup plus facile d’arriver à une solution.
Dans le fond quand on regarde les êtres humains depuis le début de l’histoire du monde, le chasseur a tué pour vivre, pour faire vivre sa famille, mais il a tué pas plus qu’il avait besoin et encore il tuait généralement moins que ce dont il avait besoin ce qui fait que s’il vivait dans des conditions très difficiles, et ce que l’on constate, c’est bien la dérive qui provoque le problème parce que l’homme au départ , il chassait pour manger pour vivre, ensuite il s’est mis à exploiter, il a domestiqué des êtres vivants et puis ensuite il l a continué il les a vraiment exploités alors de plus en plus et puis on est arrivé à l’époque actuelle où on va vraiment beaucoup plus loin : aujourd’hui on fait de la surexploitation, on transforme génétiquement l’animal on fait tout pour qu’ ils puissent être le plus rentables possible et cela veut dire qu’on nie complètement toute qualité à l’animal. En définitive c’est assez paradoxal parce que les générations actuelles, avec raison, luttent et protestent contre les toutes les formes d’esclavage et d’exploitation et dans le même temps on accepte que l’humain surexploite d’autres êtres vivants : cela ne choque pratiquement personne, cela pose un vrai problème et là je pense que le problème c’est un manque de devoirs face à notre responsabilité
J’avais noté moi aussi un autre point, celui de la question de savoir à quel moment il faut arrêter notre jugement c’est-à-dire jusqu’à quel niveau on classe les êtres vivants ? Est ce qu’il faut s’arrêter aux vertébrés et invertébrés ? Est ce qu’il faut s’arrêter aux fleurs ? Pourquoi pas aux plantes ? Est ce qu’il faut s’arrêter aux métaux ? Chez nous les francs-maçons on travaille dans l’alchimie, en particulier on dit que le métal est vivant donc à quel niveau faut-il l’arrêter ?
J’en ai toujours et cela devient extrêmement compliqué, c’est pour cela que le devoir me paraît plus simple que le droit et mais d’un autre côté on peut aussi se poser la question, je le dis devant le Père Louzeau, j’ai toujours été frappé, quand à une époque après le Moyen Âge, à la Renaissance on se disait dans le fond est ce que les animaux ont une âme ? Et la réponse était oui. Saint François parlait aux oiseaux et puis après le petit prince de Saint-Exupéry parle à la rose ce n’est pas plus mal. Aujourd’hui on a vu des films où « l’homme parle aux chevaux » donc on a fait des pas en avant pour essayer de créer des liens et se comprendre et puis d’un autre côté c’est vrai qu’on a dérivé et on dérive de manière abusive aujourd’hui…
Il reste un dernier point je voulais dire cela a été mentionné par Matthieu Ricard et pour moi c’est très important : Je crois que dans notre civilisation occidentale on a une vision des relations aux êtres vivants très différente d’autres cultures. Regardez là si on demandait à un indien, par exemple, ou à un hindou je ne pense pas qu’il aurait les mêmes réactions parce que chez eux il y a un certain nombre de pas qui ont été faits alors que nous on en on est encore aux balbutiements ce que je constate c’est qu’on commence à poser le problème : Il y a un vrai problème de fond dans lequel il faut là encore ne pas être dogmatique, il ne faut pas être outrancier, il y a une réalité qu’il faut regarder en face.
Dominique Bourg
Nos difficultés à penser le climat et le vivant découlent du paradigme mécaniste qui s’impose à la fin du 16e et au début du 17e siècle. La nature se réduit à un agrégat de particules matérielles, sans intériorité ni sensibilité, auxquelles nous sommes par nature étrangers. La nature apparaît ainsi comme un simple décor de la geste humaine, manipulable à souhait. Conception traduite en actes chaque jour par nos économies dévorantes. Il y a un partage ontologique structurant : d’un côté les êtres humains capables de penser, et de l’autre côté tout le reste, simples moyens livrés là leurs fins. Nous participons ainsi de l’étrangeté de Dieu au monde, fantasme constitutif du transhumanisme et de son désir de se survivre sur du silicium ou de fuir sur Mars.
Ce partage entre les êtres bien nés, les humains, et les autres animaux se poursuit aujourd’hui au travers du véganisme. On élargit le cercle des êtres moraux aux autres animaux censés ressentir de la douleur. Le partage ontologique s’épaissit d’un côté, la césure se déplace, mais le partage ontologique subsiste. Dès lors, la logique artificialiste subsiste. Il conviendrait pour réduire la quantité de souffrance dans le monde, soit de supprimer tous les grands prédateurs, soit de les manipuler génétiquement pour en faire des herbivores. La structuration du vivant, de la vie même, autour de la prédation, et donc la nature elle-même, devient immorale et impensable. Difficile d’imaginer un déni de nature plus extrême. L’écologie exige de nous de réduire drastiquement notre consommation de viande, et de viande rouge tout particulièrement, non d’y mettre absolument fin. Ce peut-être une autre posture, argumentée différemment, mais non de l’écologie. Ce qu’un esprit binaire peine à penser.
Je renvoie ici encore à l’œuvre de la philosophe Val Plumwood et à son expérience fondatrice d’avoir failli être dévorée par un crocodile, lequel ne voyait en elle que de la viande, chose impensable d’un point de vue anthropocentrique.
Alain Papaux
Je commencerai par dire non pas mon désaccord mais mon accord avec Christian c’est ce que j’ai essayé de dire dans le cas de la dissonance que je vis car celle-ci existe non seulement dans nos comportements mais dans le droit lui-même je crois qu’il est vital pour nous de distinguer deux droits: le droit légal celui du législateur et puis le droit des prétoires. Et quand je disais que la communauté internationale n’existait pas comme sujet de droit et je l’entendais bien au sens des textes du droit légal et évidemment tout le travail de Christian de Corinne et toutes ses avocats militants en la matière c’est au prétoire de rétablir l’expérience qu’on a tous qu’il y a bien une communauté internationale du bien commun or cela le législateur ne le veut pas.
C’était mon point principal et concernant alors la question des animaux et là j’y serai beaucoup plus positif que tout à l’heure. Nous devons je crois aussi impérativement distinguer l’ontologie générale de l’ontologie juridique, les juristes ont ce qu’ils veulent au plan de l’ontologie car elle peut dire ce qu’elle veut et l’obtenir ; vous pouvez qualifier des humains de sous humains et puis recherchez dans les textes savoir qui est juif où n’est pas et s’il n’est il est envoyé aux chambres à gaz c’est un problème de technique juridique qui s’est appliqué d’ailleurs de manière absolument monstrueuse à la 2e guerre mondiale.
Les devoirs sont reconnus depuis très longtemps aux animaux ils le sont d’ailleurs aujourd’hui sans problème celle de la voie des droits est déjà ouverte quelque sorte, elle n’apporte aucune nouveauté mais elle existe, la grande question c’est pourquoi nous ne voulons pas de droits ?
Pourquoi les législateurs ne peuvent pas octroyer de droits aux animaux je crois que nous retrouvons dans ce que disait Dominique Bourg. C’est un choix politique moderne nous ne voulons plus considérer que notre âme est intrinsèquement liée à un corps et l’animal s’il devait recevoir la qualité de sujet de droit nous montrerait en quelque sorte que nous sommes extraordinairement corporels et donc extraordinairement finis. Or nous ne voulons plus admettre cette finitude humaine donc nous n’avons pas intérêt point de vue là tout à reconnaître la qualité de sujet de droit aux animaux c’est donc bien le rejet de la corporalité qui est un problème.
Ceci nous renvoie et d’ailleurs aux propos de Matthieu Ricard sur la souffrance parce que admettre la souffrance c’est admettre que nous sommes des corps et Non pas que nous avons un corps et nous sommes des corps cette unité de l’âme et du corps qu’on trouve chez Aristote, qu’on trouve chez Thomas d’Aquin donc d’une grande partie de la tradition chrétienne mais qu’on trouve également dans la pensée tout à fait scientifique contemporaine ; Edgar Morin nous dit que nous sommes totalement culturels et totalement corporels. Et effectivement nous avons un problème dans le fait que reconnaître la qualité de sujet croit aux animaux c’est admettre le « corporatisme mortalité » et comme une infime partie veut être trans-humaniste c’est précisément ce que nous ne voulons pas ce qui est évidemment pour moi une erreur métaphysique très profonde.
Père Louzeau
C’était simplement pour répondre à deux choses qui ont été dites et pour dire mon accord avec Dominique et Alain. A la base de cette difficulté d’accorder des droits aux êtres vivants, il y a bien cette séparation esprit-matière ou âme-corps, séparation qui devient tragique aujourd’hui. C’est à dire que c’est une option métaphysique qui a de très lourdes conséquences. Le philosophe américain Whitehead parlait de bifurcation moderne de la nature et cette bifurcation n’est plus tenable.
La deuxième chose, puisque Alain m’a tendu une perche au moment de ma question sur la notion de personne dans la première table ronde : en préparant notre table-ronde, je me suis posé la question de savoir si la pensée chrétienne pouvait reconnaître les animaux ou les végétaux comme des personnes. La plupart des théologiens catholiques que je connais me vouerait peut-être au bûcher d’oser poser une telle question mais si on porte un regard sur l’histoire longue du concept de personne, on s’aperçoit qu’au départ, la tradition chrétienne l’a forgé pour les Personnes divines et seulement pour Elles. Au commencement, dans les cinq premiers siècles, la théologie n’utilisait ce mot de « personne » que pour parler des Personnes divines, c’est-à-dire de la pluralité en Dieu Un. Ce n’est qu’au VIe siècle avec Boèce, qu’on a appliqué analogiquement le concept de personne aux êtres humains. Mais cela ne va pas sans difficultés car il faut alors fonder et décrire le fonctionnement de cette analogie. Or, si la tradition chrétienne a été capable dans de passer du Dieu Trinité et Ineffable aux êtres humains, je ne vois pas ce qui empêcherait d’élargir ce passage aux autres créatures, en ce qu’elles reflètent aussi, à leur manière, la gloire de Dieu, tout en déterminant avec soin les conditions de l’analogie de la personne.
Dit encore autrement, si on comprend la personne comme constitué d’une double dimension : un être unique et insubstituable d’un côté, un être de relations de l’autre, on peut alors appliquer analogiquement le concept à tous les vivants et même d’ailleurs à tous les non-vivants, sans aucune injustice commise envers les êtres humains. Ce qui est intéressant par rapport à la première table ronde, c’est que j’ai fait jouer la même analogie de la personne en montrant comment l’Église demande qu’on reconnaisse des droits et des devoirs à des communautés comme les familles et les peuples.
Christian Huglo
Dans cette réflexion sur la partie philosophique: il y a quelque chose de passionnant dans ce que vous dites les uns les autres, c’est la recherche de l’unité du vivant. C’est une très grande richesse et en réalité et d’autre part aussi des réflexions se développent actuellement autour du « concept d’une seule santé la santé de la planète, la santé de l’environnement, la santé des animaux, la santé de l’homme ce concept révèle une recherche d’unité. Il y a aussi derrière cela la reconnaissance des limites de l’humanité qui nous conduit à une certaine humilité. Humilité pour pouvoir rebondir et remettre les choses à leur place.
Sans doute, vous admettrez avec moi qu’il y a beaucoup d’ambiguïtés sur le sujet on pourrait dire de façon grossière que presque tout le monde s’en fout ou fait comme si…
Et deuxièmement il y a la dignité vis-à-vis de soi-même et de ses propres devoirs aussi c’est bien de penser aux animaux mais pensez à votre dignité aussi donc le sujet est présenté à tort comme marginal.
Je me permets de vous renvoyer à une référence intéressante à un ouvrage passionnant de Sarah Vanuxem “Des choses de la nature et de leurs droits” elle traite de ce sujet-là mais elle développe la question des communs de la question des servitudes et des techniques juridiques qui répondent aux besoins immédiats de façon adéquate et effective.
Catherine Le Bris
Juste un mot avant de laisser place aux questions pour insister sur l’idée d’interdépendance entre l’humanité et la nature. Notre pensée occidentale a trop tendance à les opposer alors qu’il faut les penser ensemble. C’est exactement ce que dit Philippe Descola lorsqu’il explique que : « L’Amazonie n’est pas une forêt vierge puisque depuis des milliers d’années, des amérindiens y ont domestiqué des plantes ». Autrement dit, il faut pas confondre anthropocentrisme et utilitarisme. Les hommes ont besoin de la forêt et tant que l’humanité perdurera, la forêt sera aussi interdépendante de la question des Hommes.
Sur ce point, il existe une disposition intéressante dans le code de l’environnement de la province des îles Loyauté en Nouvelle-Calédonie ; elle indique que pour tenir compte justement de la conception unitaire de la vie de la société kanak, « certains éléments de la nature pourront se voir reconnaître une personnalité juridique dotée de droits qui leur sont propres ». Cette disposition intéressante montre bien le lien étroit qui existe entre nature et culture.
Questions de l’auditoire
Intervention de Madeleine Gilbert
Je voulais juste faire juste à apporter un témoignage et aussi une transmission, c’est sur la 3e partie, je voulais juste vous faire partager que nous avons un éminent juriste français au 15e siècle qui s’appelait Barthélémy de Chasseneux et qui a défendu les animaux avec force, avec des argumentsintéressants qu’on pourrait reprendre. Il parlait de ses clients puisqu’il a défendu les rats qui détruisent les récoltes et justement il a écrit beaucoup d’ouvrages sur l’harmonie du monde et a contribué à un monde plus globalement humain. Sur la transmission donc je fais partie de ces générations futures parce que je suis attachée à la légalité je vais lui rendre hommage aujourd’hui parce que ce sont justement les générations futures qui peuvent porter des choses.
2ème intervention d’un membre du public
Ce dont parlait Christian se heurte rapidement à la croissance financière technologique et aussi à la croissance démographique cela me semble encore trop tabou encore comme sujet.
Réponse du père Louzeau
A propos de la croissance démographique, c’est effectivement un point non traité par Laudato Si’.
C’est très délicat parce que à la fois c’est la dernière des libertés humaines que faire des enfants et d’autre part c’est très lié à des questions de culture, de modèles de développement, de visions du rôle des femmes dans la société. Plus les femmes ont accès à la contraception, moins il y a d’enfants ; donc tout ça touche à des sujets excessivement intimes en réalité et donc très délicats et je dirais que les occidentaux, en particulier, ne sont pas très bien placés pour aborder le sujet.
Pour aller dans le sens de Corinne, c’est souvent une question qui nous est posée ici dans les différentes conférences du Collège : lorsque des personnes parlent d’une décroissance démographique, c’est souvent des occidentaux qui s’expriment en pensant tout bas à des peuples du Sud. Il y a ici un risque de colonialisme assez latent et très violent en réalité, parce que je ne vois pas qui pourrait avoir autorité pour s’opposer à des couples qui veulent mettre au monde des enfants. C’est là une question difficile en revanche mais c’est une question éducative.
Je peux vous raconter le témoignage d’un ami prêtre du Burundi, qui travaille dans la banlieue de Bujumbura. Un des problèmes auxquels il s’affronte, c’est que les jeunes couples font un enfant par an. Dès l’âge de 3 ans, certains de ces enfants deviennent des enfants errants. Le travail de ce prêtre consiste en un dialogue et une formation des jeunes couples sur le contrôle de leur fécondité.
Réponse de Ghaleb Bencheikh
Je n’ai pas là prétention de vous donner la version standard de ce qui se passe dans le monde islamique et encore moins de sa théologie en tout cas, ce sont des questions qui sont débattues. Alors sans avoir l’autorité centrale un souverain pontife qui parle au nom de tous notamment dans l’ambiance sunnite, l’avis maintenant c’est limiter les naissances où aller à la décroissance il y a cette idée d’espacer les naissances pour garantir au moins une vie décente et un bien être pour les familles. Cela ne sert à rien d’avoir une procréation comme cela à tout va……
Le 2e point qui est d’ordre philosophique maintenant concernant le trans-humanisme je crois que c’était Alain qui avait parlé tout à l’heure d’une vie à perpétuité en tout cas le fait de d’abolir la mort, la mort de la mort, comme on dit, alors quel sens donne-t-on à la procréation dans ce cas précis ? Je le dis sous le contrôle de Matthieu Ricard pour vérifier si on attribue au dalaï-lama de dire peut être qu’un un jour moi même ou d’autres pourraient se réincarner en homo ordinateur c’est à dire que le dalaï-lama ne serait pas un humain mais peut être un ordinateur ou une autre forme de conscience ? Quel sens donne-t-on à la procréation dans ces cas précis.
Ce sont des débats des spéculations métaphysiques et philosophiques dans laquelle on ne sera pas encore au bout je pense qu’il faut peut être s’en tenir à cette idée d’une sobriété heureuse de ne pas aller vers la prodigalité une croissance comme il faut de la mesure de la mesure en tout y compris au niveau des familles et de la procréation.
Témoignage Nathalie Meusy
Je voudrais faire un témoignage, je l’espère, porteur d’espoir j’ai été responsable du développement durable et de la RSE à l’Agence spatiale européenne et en 2016 j’ai eu l’occasion de conduire un projet un peu novateur : on a interviewé, et fait débattre les citoyens des 22 États membres de l’Agence spatiale européenne sur le futur du spatial en Europe. Quels étaient les désirs des citoyens ? Leurs rêves ? Leurs peurs ? Ce qu’ils souhaitaient du plus profond de leur être ? Pour construire l’espace de demain. Vous pouvez imaginer le nombre de questions et de réflexions qui se sont tenues et je vais vous donner les conclusions de ces plus de 2000 citoyens des 22 Etats : Ils plaidaient pour un humanisme écologique, ils mettaient en priorité la protection de l’environnement, ils voulaient plus de responsabilités individuelles et collectives. Ils voulaient aussi la réparation et la restauration des dommages causés à la terre mais aussi dans l’espace ; Ils trouvent très importante l’information et la communication appropriée à ce sujet : là on en revient à notre débat de tout à l’heure ils voulaient la bonne information au bon endroit par les bonnes personnes. Il y a 2 mois j’ai fait une intervention à la semaine de l’espace à Mérignac et j’ai posé à plusieurs classes de 3e, certaines des questions qu’on avait posées aux citoyens européens : Ils ont été encore plus radicaux que les citoyens européens, ils ont plaidé pour une responsabilité individuelle et collective aussi et ils m’ont dit textuellement : ”on a déjà colonisé et abîmé toute la terre il faut laisser l’espace tranquille surtout pas de commercialisation, il faut plus de rigueur”.
Question de Mr. Oosterlinck
Vous avez parlé des droits et des devoirs vis-à-vis du vivant et de la nécessité de rendre des comptes à notre environnement dont nous sommes parties intégrantes, êtes-vous en cela favorable à une évolution de la comptabilité pour représenter une image plus fidèle des interactions entre organisations humaines et environnement humain et non humain : La première fonction d’un système d’information comptable étant de prendre en compte et non de compter. En résumé doit-on étendre la comptabilité aux capitaux naturels et humains à condition de reconnaître le capital comme une dette ?
Réponse de père Louzeau
Dans le Pôle de recherche du Collège des Bernardins, nous avons un département qui s’appelle « économie et société », entièrement consacré depuis 2 ans à cette question à la fois des nouvelles normes comptables et d’une nouvelle philosophie comptable, qui permettent que ce qu’on appelle « l’environnement » ne soit pas traité comme une externalité. Donc je renvoie notre internaute aux travaux de ce département « économie et société ».
Matthieu Ricard
Le concept du bonheur national brut existe au Bhoutan ce qui a fait parfois sourire mais en vérité c’est un triple index: la richesse financière, la richesse sociale, par exemple le bénévolat et cetera et la richesse environnementale : ils ont calculé que la valeur des forêts sur pied était 10 fois la valeur du PIB mais que du coup il voulait la préserver et non pas l’exploiter : On a une évaluation qui est très différente parce que par exemple si vous fumez c’est bon pour le PIB après vous allez aux hôpitaux pour des cancers du poumon c’est bon pour le PIB après les pompes funèbres interviennent c’est bon pour le PIB mais dans ce contexte-là les bhoutanais considèrent cela comme une perte au niveau de la richesse sociale on regarde ce que donnent le PIB et la croissance économique mais si on a un autre index du coup on peut se rattraper sur le bien être sociale et la richesse environnementale même si la croissance économique n’est pas aussi rapide que ce que l’on espérait.
Et pour rebondir sur ce que l’on disait à propos de la maison ordinateur on n’envisage pas sérieusement un futur « cadre ordinateur ». Si la population la vie humaine éminemment précieuse trop de précieuses vies humaines cela commence parfois à poser problème. Je ne peux pas parler pour l’Afrique mais, en tout cas, en Asie c’est très clair la grande natalité est due au fait que les personnes âgées ont besoin d’une progéniture, au Tibet nous avons fait un recensement et 7 femmes sur 10 avaient perdu un enfant dans leur vie et au Bangladesh la mortalité infantile a été considérablement réduite la natalité est tombée de 7 à 4 en moyenne et donc c’est vraiment éminemment complexe mais il y a toutes sortes de facteurs qui interviennent. .
Conclusion des intervenants
Matthieu Ricard – L’égoïsme ne fera pas l’affaire si on veut s’asseoir autour d’une même table et essayer de résoudre le court terme. Une femme en Afrique qui a besoin de nourrir ses enfants, le moyen terme doit favoriser l’épanouissement de tout un chacun dans la société dans le travail le long terme qui est de prendre soin des générations à venir. Donc l’égoïsme ne fonctionnera pas : le seul concept pragmatique c’est la considération d’ autrui donc l’altruisme qui est un peu le fil d’Ariane qui permet d’avoir une économie solidaire au service de la société et non l’inverse elle permet de favoriser la qualité de vie et qui permet de prendre soin sérieux en considération sérieusement le sort des générations à venir et des 8 milliards d’espèces qui sont nos citoyens en ce moment.
Catherine Le Bris – Sur un plan juridique, l’humanisme doit prendre en compte l’interdépendance. De plus, il faut s’efforcer de construire, dans le domaine juridique comme ailleurs, une humanité inclusive et non une humanité d’assimilation ou d’exclusion comme on l’a fait par le passé.
Christian Huglo – Je rappellerai la phrase de Flaubert selon laquelle toute conclusion est bêtise parce qu’il vaut mieux ouvrir une fenêtre que fermer une porte. Mais simplement on vit aujourd’hui dans l’expérience de la création d’un monde nouveau : cette immense espérance et cette possibilité de construire qui est presque tragique mais qui est tellement magnifique nous donne la direction de ce que nous devons faire.
Ghaleb Bencheikh – Sauf le sillage de ce qui a été dit à l’instant par Christian, je ne ferai pas de conclusion si vous m’y autorisez tous de parler en votre nom et de ce que nous avons fait aujourd’hui je pars après-demain vendredi 10 décembre à Genève est la journée mondiale où internationale des droits de l’homme donc je vais pour parler de l’importance des droits de l’homme de leur caractère universel même si je suis un peu méfiant sur le qualificatif universel depuis que j’ai appris que lorsqu’on parlait du suffrage universel il n’était que masculin et après on s’était rendu compte qu’avant il y avait aussi les femmes donc du coup je parle plutôt de ce qui universalisable et là je parlerai aussi de la déclaration universelle des droits de l’humanité et riche de ce que j’ai appris ,je partagerai cela avec mes interlocuteurs et l’auditoire.
Père Louzeau – Devant la situation tragique qui nous a été rappelée notamment par Dominique Bourg, je crois que l’humanité est à un moment d’options décisives, et que nous n’affronterons dignement cette situation tragique que par un sursaut d’humanité, c’est-à-dire par un surcroît de ce que les chrétiens appellent charité, et que ce sursaut d’humanité nécessite une espérance « au-delà de toute espérance ».
Corinne Lepage – Ce débat à été passionnant et je vous remercie tous d’avoir joué le jeu de cet exercice qui a montré que dans ce texte, beaucoup d’éléments sont en capacité de nous aider à progresser. La DDHU est le seul texte signé à la fois par des personnes publiques et privées et que dans les temps très difficiles que nous vivons, il y a là un vrai message d’espoir : C’est-à-dire d’être en capacité de mettre en commun ce qu’il y a de mieux en chacun de nous pour partager cette idée de la dignité et de la responsabilité qui fait le fondement de ce qu’est la qualité humaine.
Biographies des contributeurs :
Ghaleb Bencheik
Ghaleb Bencheikh el Hocine est un islamologue franco-algérien.
Prônant la « refondation de la pensée théologique islamique », Ghaleb Bencheikh a été élu en décembre 2018 président de la Fondation de l’islam de France (FIF). Il est également président de la branche française de la Conférence mondiale des religions pour la paix.
Vice-président des Artisans de paix et membre du comité de parrainage de la Coordination pour l’éducation à la non-violence et à la paix, il a été pendant cinq ans le vice-président de la Fraternité d’Abraham. Il a également été administrateur de Démocratie et spiritualité, et président de C3D (Citoyenneté, devoirs, droits, dignité).
Il a animé entre 2000 et 2019 l’émission Islam sur France 2, dans le cadre du programme Les Chemins de la foi, le dimanche matin. Il produit également sur France Culture l’émission hebdomadaire Cultures d’islam.
Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont Petit manuel pour un islam à la mesure des hommes (Paris, Jean-Claude Lattès), Le Coran : une synthèse d’introduction et de référence pour éclairer le contexte, les épisodes, les valeurs et l’actualité du texte (Paris, Eyrolles), ou encore La laïcité au regard du Coran (Paris, Presses de la Renaissance).
Dominique Bourg
Dominique Bourg est un philosophe franco-suisse, professeur honoraire à l’université de Lausanne, spécialiste des questions écologiques. Il a présidé jusqu’en décembre 2018 le conseil scientifique de la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l’homme.
Ses domaines de recherche concernent notamment l’éthique du développement durable. Il a fait partie de la commission Coppens qui a préparé la charte de l’environnement.
Il codirige, avec Alain Papaux, la collection « Développement durable et innovation institutionnelle » aux PUF, la revue La Pensée écologique et le Dictionnaire de la pensée écologique (2015). Il codirige, avec Philippe Roch, la collection « Fondations écologiques » chez Labor et Fides.
Il est membre du comité de rédaction de la revue Esprit, membre du conseil scientifique de la revue Écologie & Politique et conseiller scientifique de la revue Futuribles International.
Il est officier de l’ordre national du Mérite depuis 2004, et chevalier de la Légion d’honneur depuis 2000.
Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont Science et prudence. Du réductionnisme et autres erreurs par gros temps écologique (co-écrit avec Nicolas Bouleau, PUF, 2022), Imaginer le monde de demain (Maxima, 2021), Primauté du Vivant, Essais sur le pensable (co-écrit avec Sophie Swaton, PUF, 2021) ou encore Retour sur Terre : 35 propositions (PUF, 2020).
Christian Huglo
Christian Huglo est avocat inscrit à la Cour de Paris, il est docteur en droit et a consacré sa carrière d’avocat et d’enseignant à faire pénétrer le droit de l’environnement dans tous les secteurs de la vie publique et de l’économie, tant au niveau national qu’international.
Après un passage à la Commission européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg, Christian Huglo crée le 1er janvier 1969 le cabinet d’avocats qui porte son nom, rapidement spécialisé dans les affaires de droit public et de droit de l’environnement, avant de s’associer en 1978 avec Corinne Lepage et fonder Huglo-Lepage Avocats.
Christian Huglo est spécialisé dans les procédures contentieuses, notamment dans les affaires internationales de pollution et d’environnement et d’expertise juridique : affaire de l’Amoco Cadiz et procès de Chicago (1978-1992), affaires de l’Erika, du Levoli Sun et du Prestige, affaires internationales de pollution de la Méditerranée, du Rhin, de la Baie de Seine, de la Moselle…
Christian Huglo a publié en 2018 et 2019 aux éditions Bruylant deux ouvrages : « Le contentieux climatique, une révolution judiciaire mondiale » et « L’étude d’impact climatique et la RSE climatique ». Il a également rédigé en 2021 un ouvrage sur la séquence Eviter, réduire, compenser publié aux éditions du Moniteur.
Il participe au comité scientifique de la revue Energie, environnement, infrastructures et co-dirige le Jurisclasseur Environnement en six volumes chez Lexis Nexis.
En 2020, il a publié avec Corinne Lepage un ouvrage intitulé « Nos batailles pour l’environnement » aux éditions Actes Sud, après avoir publié en 2013 l’ouvrage « Avocat pour l’environnement » chez Lexis Nexis.
Alain Juillet:
Après un début de carrière militaire il a été cadre puis dirigeant de nombreuses entreprises françaises et étrangères. Nommé fin 2002 Directeur du renseignement à la DGSE puis Haut responsable chargé de l’intelligence économique auprès du Premier ministre, il a rejoint en 2009 un cabinet d’avocats comme Senior Advisor.
Diplômé de Stanford university et de l’EMBA HEC, ancien auditeur de l’IHEDN et de l’INHESJ, Président d’honneur de l’Académie d’intelligence économique et du Club des Directeurs de Sécurité des Entreprises, il est administrateur de l’Institut des Hautes Etudes de Sciences et Technologies et du groupe Altrad. Parallèlement il est professeur en gestion de crise et en intelligence économique dans des universités et des grandes écoles françaises et étrangères.
Catherine Le Bris
Catherine Le Bris, Docteur en droit, est chercheuse au CNRS (Centre national de la recherche scientifique, France). Spécialiste du droit international, elle exerce ses fonctions au sein de l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Ses travaux portent sur les droits humains, l’environnement et la construction juridique des valeurs communes. Auteur d’un ouvrage intitulé L’humanité saisie par le droit international public, qui est le titre de sa thèse, elle s’intéresse tout particulièrement à l’émergence de nouveaux droits collectifs : les droits de l’humanité. En parallèle, ses recherches portent aussi sur la dimension locale des droits de l’homme ; elle a notamment dirigé les trois ouvrages Les droits de l’homme à l’épreuve du local.
Au titre d’experte, elle a été membre de l’équipe de rédaction du projet de Déclaration universelle des droits de l’humanité de 2015, rédigée à la demande du Président de la République François Hollande, sous la direction de l’ancienne ministre de l’Environnement Corinne Lepage. Elle a également été auditionnée en 2020 par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur un projet de convention consacré à un « droit à un environnement sain ».
Corinne Lepage
Corinne Lepage est une avocate de renom et une femme politique française engagée dans la protection de l’environnement.
Docteure en droit, diplômée de l’institut d’études politiques de Paris, elle a prêté serment en 1975.
Au cours des 40 dernières années, Corinne Lepage n’a eu de cesse de s’engager sous différentes manières pour l’environnement.
Avocate de renom, elle a défendu avec Christian Huglo les sinistrés des marées noires issues des naufrages de l’Amoco Cadiz (1978). Le cabinet Huglo-Lepage et les collectivités bretonnes obtiennent gain de cause et créent ainsi une première mondiale en matière de droit de l’environnement ce qui ouvre la marche sur une protection plus forte des collectivités victimes de pollutions graves sont des succès qu’elle a également remportés et qui marquent le droit de l’environnement. Les affaire de l’Erika et tout récemment l’affaire de Grande Synthe consacrées au contentieux climatiques.
Après un mandat d’élu local obtenu en 1989, en 1995 elle répond positivement à la proposition d’Alain Juppé et devient Ministre de l’Environnement jusqu’en 1997. Au cours de son mandat elle porte le projet de la loi LAURE concernant la pollution de l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie. En 1997, grâce à un positionnement ferme et soutenu de sa part, elle obtient le non-redémarrage du réacteur nucléaire Superphénix est un moratoire sur les OGM.
Elle deviendra eurodéputée de 2009 à 2014 sera première vice-présidente de la commission santé environnement du Parlement européen.
Après la création du parti Cap 21 en 2000, elle fonde et préside le parti écologiste le Rassemblement citoyen – Cap 21 en 2014, qu’elle préside encore aujourd’hui.
De 1975 à 2011, elle poursuit parallèlement à ses activités professionnelles et politiques une carrière d’enseignante à l’institut d’études politiques de Paris pendant 30 ans comme maître de conférences puis professeure à l’institut d’études politiques de Paris, mais également comme chargée de cours dans plusieurs universités.
Elle est l’auteure d’une trentaine d’ouvrages de droit de l’environnement et d’essais politiques d’ordre général ou touchant plus précisément aux questions environnementales. Elle a également publié plusieurs centaines d’articles dans des revues françaises et européennes.
Enfin, elle est très engagée dans la vie associative. Outre l’Association des amies de la Déclaration Universelle des Droits de l’Humanité (ADDHu) qu’elle a créé et préside depuis 2015, elle préside aujourd’hui WECF, l’association Justice Pesticide, le mouvement des entrepreneurs de la nouvelle économie (MENE).
Père Frédéric Louzeau
Né en 1968, ingénieur des mines et spécialiste en physique nucléaire, Frédéric Louzeau est prêtre du diocèse de Paris depuis 1998. Docteur en philosophie et en théologie, il a présidé la Faculté Notre-Dame au Collège des Bernardins entre 2007 et 2013 puis a dirigé le Pôle de recherche des Bernardins entre 2014 et 2020. Il est actuellement co-directeur de la Chaire Laudato Si’, pour une nouvelle exploration de la terre, avec le Pr Grégory Quenet, et aumônier de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Ses champs de recherche portent principalement sur l’anthropologie philosophique, la théologie chrétienne du politique, et les rapports entre cosmologie et théologie.
Il a publié L’Anthropologie sociale du Père Gaston Fessard (PUF, 2009) et de nombreux articles de revue sur la question écologique.
Alain Papaux
Alain Papaux est docteur en droit et professeur de droit privé à l’université de Lausanne. Il est membre du comité scientifique de la collection Stratégies énergétiques, Biosphère et Société (SEBES). Il est également conseiller juridique auprès du Service de justice, intérieur et cultes du canton de Vaud, en particulier autorité d’instruction en matière d’aménagement du territoire.
Il a obtenu de nombreuses distinctions scientifiques :
- Le prix Jean Carbonnier en 2005
- Le prix Walter Hug en 2004
- Le prix de thèse Otto Riese en 2003
Il est l’auteur de nombreuses publications, dont La satisfaction comme forme de réparation (Papaux A. et alii dans Droit de la responsabilité internationale, Paris, Londres), ou encore Chemins de l’in(ter)disciplinarité: connaissance, corps, language (Benaroyo L., Berthoud A.-C., Diezi J., Merminod G., Papaux A., Schenk F., Usunier J.-C., Volken H., 2019/03. Sciences et enjeux, 10 216, L’Harmattan – Academia).
Gérard Rabinovitch
Né le 31 janvier 1948, Gérard Rabinovitch est un philosophe, sociologue et essayiste. Il est commandeur dans l’Ordre des Arts et des Lettres.
Il est un ancien enseignant et chercheur au CNRS, et ancien chargé de mission auprès de plusieurs cabinets ministériels.
Gérard Rabinovitch est également Directeur de l’Institut européen Emmanuel Levinas de l’AIU, et Vice-président de l’Institut universitaire Rachi à Troyes.
Il est auteur de nombreux ouvrages, dont :
– De la Destructivité humaine, fragments sur le Behemoth (éd. des PUF)
– Terrorisme/Résistance, d’une confusion lexicale à l’époque des sociétés de masses (éd. Le Bord de l’eau)
– Somnambules et Terminators,, sur une crise civilisationnelle contemporaine (éd. Le Bord de l’eau)
– Leçons de la Shoah (éd. Canopé, de l’Éducation nationale)
Mathieu Ricard
Matthieu Ricard est moine bouddhiste, humanitaire, auteur de livres, traducteur et photographe. Après un premier voyage en Inde en 1967 où il rencontre de grands maîtres spirituels tibétains, dont ses principaux Maîtres, Kangyur Rinpoché et Dilgo Khyentsé Rinpoché, il termine son doctorat en génétique cellulaire en 1972, et part s’installer définitivement dans la région de l’Himalaya où il vit maintenant depuis plus de 50 ans.
Matthieu Ricard a consacré sa vie à l’étude et à la pratique du bouddhisme auprès des plus grands maîtres spirituels tibétains de notre époque. Il est l’interprète français du XIVème Dalaï Lama depuis 1989. Matthieu Ricard est également un membre actif de l’Institut Mind and Life, une association qui cherche à approfondir la compréhension scientifique du fonctionnement de l’esprit dans le but de réduire la souffrance intérieure.
Matthieu Ricard est l’auteur de nombreux ouvrages dont Le Moine et le Philosophe (avec son père Jean-François Revel), L’infini dans la paume de la main (avec l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan), Plaidoyer pour le bonheur, L’Art de la méditation, La citadelle des neiges, Chemins spirituels, Plaidoyer pour l’altruisme, Plaidoyer pour les animaux, ainsi que Trois amis en quête de sagesse et À nous la liberté ! (avec Alexandre Jollien et Christophe André).
Communication de Gérard Rabinovitch
(Institut européen Emmanuel Levinas-AIU)
Environnement et éthique hébraïque
Effets de serre, réchauffement climatique, déforestation, destruction accélérée des espèces, pollution urbaine croissance, dégradations des paysages, déchets industriels, fumées et particules toxiques ; les mots et syntagmes d’alerte ne manquent pas pour désigner dans leur juxtaposition et agrégation l’impression d’une « apocalypse rampante ».
Ni les reportages aux quatre coins du monde, ni les rapports multidisciplinaires des chercheurs pour pointer l’urgence d’une mobilisation collective, transculturelle et transgénérationnelle : conter le saccage et la vandalisation systématique de la planète et celle, concomitante, d’une morbidité patente auto destructrice agissant contre une bonne vie humaine.
Le philosophe Hans Jonas avertissait, il y a déjà un moment : « Ce n’est plus seulement la sphère des affaires humaines qui constitue le champ de la réflexion éthique ; la relation de l’homme avec son environnement est elle aussi devenue un nouvel objet pour la responsabilité ».
Responsabilité, voilà un mot qui sonne en majesté dans l’éclat de la civilisation monothéiste.
La tradition monothéiste, dont le judaïsme est le gardien vigile et le référent toujours fécond en lien avec ses arborescences chrétiennes et musulmanes, porte en elle, en effet, le respect par l’homme de la nature dans laquelle il vit. « La terre a été créée pour être habitable » dit la tradition. « Dominer » la terre, exister en surplomb des créatures vivantes, ce n’est pas être autorisé à exploiter jusqu’à épuisement des ressources et dispositions de la « nature ». C’est la cultiver, mais en gardant le « Jardin ».
Car tout ce qui advient, qui depuis un long moment se racolait subrepticement, s’agrégeait sans que quiconque y prenne garde -à l’exception de quelques uns auxquels le mérité déjà de l’alarme ne saurait être ôté- n’est pas contingence de désastres « naturels »,mais vient de l’intérieur, du sein d’un redoutable mauvais agir humain.
Il ne s’agit pas, ici, d’invoquer comme coupable sui generis le mode de production industriel et les échanges marchands ; ni, à l’encontre, de convoquer des engouements d’occasion, des passions puériles, une sentimentalité de mode. La cause et es causes sont plus sérieuses. Car tous ces manquements et leurs périls intrinsèques sont faits de négligences, d’arrogances, de prédations, de frivolité, soit pour le moins : d’irresponsabilité. Conséquence d’une licence auto servie de consumer les richesses du monde dans un festoiement sans limites, de piller les « dons du ciel » dans un dilapidation ostentatoire.
Toujours retentit désolée, passant comme un souffle par-dessus les débâcles, cette question laissée sans réponse ; inaugurale, impérative et lancinante, désolée et alarmée, adressée à la créature humaine dans le Gan Eden déjà « Où es-tu ? » (Benrechit III,9).
Enumérons-en les trois piliers porteurs : 1- Présence dans la Cité commune des hommes ; 2- Transmission et illustration du judaïsme ; 3- Didactique des savoirs et éducation à la dignité humaine.
1 – Tout le monde sensé, attentif à ce qui sera laissé aux générations nouvelles, soucieux de devenir humain, comprend que les enjeux environnementaux constituent une des clés de la vie humaine, à travers celle de la planète.
Tout le monde –observateur, ne se dissimule pas que tous- réunis et confondus – nous sommes, dans la diversité des régions civilisationnelles, embarqués là, dans la même galère. Que l’air lourd de toxines qui tombent sur Pékin, New Delhi, Sydney, Paris, Téhéran, Haïfa, ect… qui étouffe les poumons ou ronge leurs alvéoles, ne restera pas confiné chaque fois aux périmètres malchanceux successifs de ces cités.
Tout le monde responsable, entend – même sans la connaitre- l’injonction deutéronomique du chapitre 30 telle qu’elle s’est formulée : « Vois je te propose en ce jour, d’un côté de la vie avec le bien, de l’autre la mort avec le mal » (30.15), « J’ai placé devant toi la vie et la mort, le bonheur et la calamité ; choisis la vie ! ».
Tout le monde civilisé, s’inquiète d’une furie qui confond le signifiant de la liberté du libre débat avec le tout est permis injonctif d’une « émancipation » sans limite d’inclinaison régressive et mortifère.
2 – On ne peut manquer d’évoquer la Sagesse des Maîtres aux temps anciens non industriels sur les questions qui ne se disaient pas encore « environnementale ».
Elle s’appuyait en commentaires sur les récits fondateurs du Monothéisme : « Ainsi parle le Seigneur qui crée les cieux : Lui seul est Dieu, Lui seul a appelé la Terre à l’existence, l’a modelée, l’a façonnée. Il ne l’a pas créée pour le tohu mais au contraire. Il lui a donné vie afin d’être habitée. Je suis le Seigneur il n’en est point d’autre » (Isaëe XLV, 18). Ou encore : « Lorsque tu assiégeras une ville durant de nombreux jours afin de t’en emparer, tu ne détruiras pas ses arbres en brandissant la hache car ses arbres te fournissent la nourriture… L’homme est-il autre chose que l’arbre des champs ? (Devarim XX,19) et aussi concernant le respect du Shabbat et la suspension du travail : « Le chef de famille et sa maisonnée, ses serviteurs et es servantes mais aussi les animaux domestiques » (Shemot XX, 10 et Devarim V.14).
L’homme est l’usufruitier de la nature soulignait René Samuel Sirat dans une intervention sur « l’homme, la nature, l’environnement : le regard du judaïsme » au colloque Ethique et environnement (déc. 1996, Sorbonne). Tout ne lui est pas permis sur cette terre qu’il a pu au contraire pour mission de garder et de travailler (Berechit II, 15).
Les exemples bibliques sont profus qui instancient l’homme en Hôte de la Terre. Bénéficiant de ses récoltes, de ses produits, de ses ressources, de ses minerais, mais sans volonté de destruction. Enjoint à agir avec discernement, respect ; sans leur porter atteinte.
Les approfondissements talmudiques guident en extension et creusement de sens, les récits du Tanakh.
Du respect dû à l’animal, dans les variantes de la relation de l’homme à celui-ci, y compris son abattage.
Du respect de l’homme à la terre, comme sa mise en jachère tous les 7 ans, qui suscita des ricanements mauvais chez les érudits païens (tel Tacite, qui n’y voyait – comme pour le Shabbat- que « oisiveté », alors redoublée).
De l’interdiction de porter atteinte aux sources d’eau (Berechit XXVI).
De l’impératif de la solidarité transgénérationnelle, comme le récit du vieillard qui plante un arbre dont il ne verra pas les floraisons adultes. Mais de même qu’il a pu goûter avec délices aux fruits des arbres que ses ancêtres avaient plantés, il agit à son tour pour que ses petits enfants puissent en bénéficier…
Et plus génériquement de l’Esprit du Tikkun Olam (La Réparation du monde)…
Toutes leçons séminales qui font toujours actualité…
Elles étaient déjà constitutives du noyau intrinsèques de l’Ethique juive, en pattern de la Civilisation monothéiste. Et nous les trouvons en socle fécond chez des penseurs juifs de la période contemporaine : Hans Jonas, Günther Anders comme chez des philosophes chrétiens, tel par exemple Jacques Ellul (salué Juste des Nations par Israël) ; trois références intellectuelles majestueuses des alertes environnementales.
Le judaïsme se positionne de placer l’homme en clef de voûte de la Création. Quatrième palier de la concrétude des mondes selon la tradition : minéral, germinal, vivant et vivant parlant.
Rétablir l’homme à cette place le maintenir dans sa centralité au sein du vivant comme vivant parlant (« zoon phonanta » chez Aristode, (haï medaber » dans la tradition hébraïque) s’en suit d’une compréhension qui lui tient les clefs du devenir de ce vivant, mais aussi de son propre devenir, maintenant fragiliser par ses propensions à l’autodestruction et l’auto anéantissement. Ce n’est pas là affaire de privilèges, mais de charges. Assurer le droit à un environnement non délétère, lui fait obligation d’une manière d’appendice aux Dix Paroles (Asseret Ha Dibrot) : être le gardien du vivant…
Ou, selon la formule d’Hans Jonas, empruntant le style aphoristique d’Emmanuel Kant : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur Terre » : qu’Emmanuel Levinas prolonge en « être responsable de la responsabilité de l’autre ».
En cela le Monothéisme se distingue des sirènes du reborn païen qui depuis deux siècles diffuse et croît dans le monde occidental sous les deux facettes d’une seule réversion spirituelle plus ou moins explicitement anti monothéiste.
Celle de la prédation en prouesse barbare, qui fait de l’irresponsabilité et de la consommation ostentatoire (conspicious consumption) une crânerie en masse.
Celle qui s’affiche en combat avec la première, abritée sur les habits de l’écologisme radical. Et qui incite aux fantaisies fusionnelles à la « Terre Mère » (Deep ecology), qui promulgue une indifférenciation entre l’humain et les autres espèces vivantes (antispécisme) au bénéfice prioritaire unilatéral de ces dernières. Tandis qu’en résonnance – mais aussi dans un prolongement des conséquences de la première facette- elle participe du processus général de chosification de l’homme. Par exemple, en servant d’alibi aux projets de « cryogénisation » « compostage », « aquamation », des corps humains en place d’inhumation ; et en service potentiel d’engrais et fertilisants qui font leur battage publicitaire aujourd’hui et dont la légalisation dans plusieurs Etats est soutenue au nom de la lutte contre « l’effet de serre » et autres fariboles.
Ici, se trace la ligne de divergence et séparation entre l’éthique monothéiste de la responsabilité et le sentimentalisme régressif du pathos païen porteur à tour de désastres quant au devenir humain.
3 – L’ « Environnement » comme domaine de la connaissance, sollicitant une pluralité de savoirs, constitue une scène éloquente, un terrain didactique pour l’apprentissage concret de ce que peut signifier responsabilité et encore solidarité dans leurs valeurs absolues.
L’ « Environnement » est porteur de sens. Il lie dans ses attendus et attentes, la sensibilité et la sentimentalité de l’enfant, à la responsabilité de l’adulte dans un cheminement d’apprentissage de maturité.
L’ « Environnement » permet de nouer les plaisirs de la découverte de la nature, de ses variétés, de ses curiosités, de ses merveilles, avec l’édification d’une morale de respect, de protection et de prévention.
L’ « Environnement » appelle une éthique de type « conséquentialiste ». Qui mesure la responsabilité de ses actes aux conséquences ultérieures qu’ils sont susceptibles d’induire.
L’ « Environnement » sollicite une politique concrète de solidarité entre les hommes. Il fait en et par lui-même : instruction civique.
L’ « Environnement » est une opportunité concrète de mettre en résonnance les valeurs fondamentales bibliques du monothéisme éthique avec les exigences au quotidien qui le concernent.
L’ « Environnement » est profondément un objet éducatif pour une éducation entée sur le monothéisme éthique… Il s’y articule : l’embellissement du goût de la connaissance, qui ne peut être séparé de l’apprentissage de la dignité responsable de l’homme et de la fierté humaine du sens de la solidarité.
Les peuples humains dans leurs efforts contre les tyrannies qui les accablaient se sont reconnus dans les principes de 89, dans la « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen », acte inaugural de l’Assemblée constituante de la Nation française. Aujourd’hui, confrontés à un assaut multipolaire contre les fondements anthropologiques de leur humanité (« tranhumanisme » et « anti spécisme », déni des différences sexuées, attaques totalitaires contre les « métaphories »du langage humain ect…), ils auront toute leur part à prendre dans ce saut éthico-politique attendu, devenu impératif depuis les épouvantes du XXème Siècle qui appelle comme un cri une « Proclamation Universelle des Droits de l’Humanité ».
DDHU
PRÉAMBULE
Rappelant que l’humanité et la nature sont en péril et qu’en particulier les effets néfastes des changements climatiques, l’accélération de la perte de la biodiversité, la dégradation des terres et des océans, constituent autant de violations des droits fondamentaux des êtres humains et une menace vitale pour les générations présentes et futures,
Constatant que l’extrême gravité de la situation, qui est un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière, impose la reconnaissance de nouveaux principes et de nouveaux droits et devoirs,
Rappelant son attachement aux principes et droits reconnus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, y compris à l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi qu’aux buts et principes de la Charte des Nations Unies,
Rappelant la Déclaration sur l’environnement de Stockholm de 1972, la Charte mondiale de la nature de New York de 1982, la Déclaration sur l’environnement et le développement de Rio de 1992, les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies « Déclaration du millénaire » de 2000 et « L’avenir que nous voulons » de 2012,
Rappelant que ce même péril est reconnu par les acteurs de la société civile, en particulier les réseaux de personnes, d’organisations, d’institutions, de villes dans la Charte de la Terre de 2000,
Rappelant que l’humanité, qui inclut tous les individus et organisations humaines, comprend à la fois les générations passées, présentes et futures, et que la continuité de l’humanité repose sur ce lien intergénérationnel,
Réaffirmant que la Terre, foyer de l’humanité, constitue un tout marqué par l’interdépendance et que l’existence et l’avenir de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel,
Convaincus que les droits fondamentaux des êtres humains et les devoirs de sauvegarder la nature sont intrinsèquement interdépendants, et convaincus de l’importance essentielle de la conservation du bon état de l’environnement et de l’amélioration de sa qualité,
Considérant la responsabilité particulière des générations présentes, en particulier des Etats qui ont la responsabilité première en la matière, mais aussi des peuples, des organisations intergouvernementales, des entreprises, notamment des sociétés multinationales, des organisations non gouvernementales, des autorités locales et des individus,
Considérant que cette responsabilité particulière constitue des devoirs à l’égard de l’humanité, et que ces devoirs, comme ces droits, doivent être mis en œuvre à travers des moyens justes, démocratiques, écologiques et pacifiques,
Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à l’humanité et à ses membres constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde,
Proclame les principes, les droits et les devoirs qui suivent et adopte la présente déclaration :
LES PRINCIPES
ARTICLE I : Le principe de responsabilité, d’équité et de solidarité, intragénérationnelles et intergénérationnelles, exige de la famille humaine et notamment des Etats d’œuvrer, de manière commune et différenciée, à la sauvegarde et à la préservation de l’humanité et de la terre.
ARTICLE II : Le principe de dignité de l’humanité et de ses membres implique la satisfaction de leurs besoins fondamentaux ainsi que la protection de leurs droits intangibles. Chaque génération garantit le respect de ce principe dans le temps.
ARTICLE III : Le principe de continuité de l’existence de l’humanité garantit la sauvegarde et la préservation de l’humanité et de la terre, à travers des activités humaines prudentes et respectueuses de la nature, notamment du vivant, humain et non humain, mettant tout en œuvre pour prévenir toutes les conséquences transgénérationnelles graves ou irréversibles.
ARTICLE IV : Le principe de non-discrimination à raison de l’appartenance à une génération préserve l’humanité, en particulier les générations futures et exige que les activités ou mesures entreprises par les générations présentes n’aient pas pour effet de provoquer ou de perpétuer une réduction excessive des ressources et des choix pour les générations futures.
LES DROITS DE L’HUMANITÉ
ARTICLE V : L’humanité, comme l’ensemble des espèces vivantes, a droit de vivre dans un environnement sain et écologiquement soutenable.
ARTICLE VI : L’humanité a droit à un développement responsable, équitable, solidaire et durable.
ARTICLE VII : L’humanité a droit à la protection du patrimoine commun et de son patrimoine naturel et culturel, matériel et immatériel.
ARTICLE VIII : L’humanité a droit à la préservation des biens communs, en particulier l’air, l’eau et le sol, et à l’accès universel et effectif aux ressources vitales. Les générations futures ont droit à leur transmission.
ARTICLE IX : L’humanité a droit à la paix, en particulier au règlement pacifique des différends, et à la sécurité humaine, sur les plans environnemental, alimentaire, sanitaire, économique et politique. Ce droit vise, notamment, à préserver les générations successives du fléau de la guerre.
ARTICLE X : L’humanité a droit au libre choix de déterminer son destin. Ce droit s’exerce par la prise en compte du long terme, et notamment des rythmes inhérents à l’humanité et à la nature, dans les choix collectifs.
LES DEVOIRS A L’ÉGARD DE L’HUMANITÉ
ARTICLE XI : Les générations présentes ont le devoir d’assurer le respect des droits de l’humanité, comme celui de l’ensemble des espèces vivantes. Le respect des droits de l’humanité et de l’homme, qui sont indissociables, s’appliquent à l’égard des générations successives.
ARTICLE XII : Les générations présentes, garantes des ressources, des équilibres écologiques, du patrimoine commun et du patrimoine naturel, culturel, matériel et immatériel, ont le devoir de faire en sorte que ce legs soit préservé et qu’il en soit fait usage avec prudence, responsabilité et équité.
ARTICLE XIII : Afin d’assurer la pérennité de la vie sur terre, les générations présentes ont le devoir de tout mettre en œuvre pour préserver l’atmosphère et les équilibres climatiques et de faire en sorte de prévenir autant que possible les déplacements de personnes liés à des facteurs environnementaux et, à défaut, de secourir les personnes concernées et de les protéger.
ARTICLE XIV : Les générations présentes ont le devoir d’orienter le progrès scientifique et technique vers la préservation et la santé de l’espèce humaine et des autres espèces. A cette fin, elles doivent, en particulier, assurer un accès et une utilisation des ressources biologiques et génétiques respectant la dignité humaine, les savoirs traditionnels et le maintien de la biodiversité.
ARTICLE XV : Les États et les autres sujets et acteurs publics et privés ont le devoir d’intégrer le long terme et de promouvoir un développement humain et durable. Celui-ci ainsi que les principes, droits et devoirs proclamés par la présente déclaration doivent faire l’objet d’actions d’enseignements, d’éducation et de mise en œuvre.
ARTICLE XVI : Les États ont le devoir d’assurer l’effectivité des principes, droits et devoirs proclamés par la présente déclaration, y compris en organisant des mécanismes permettant d’en assurer le respect.