La perspective symbiotique

Une nouvelle forme de perspective en art
Par Guillaume Logé, auteur de Renaissance sauvage (Puf, 2019) et du Musée monde (Puf, 2022).
Exposition Renaissance sauvage : la perspective symbiotique
Galerie Jousse Entreprise, Paris, 18 novembre 2023 – 13 Janvier 2024
Qu’est-ce qui nous autorise à parler de l’apparition d’une nouvelle perspective en art six cents ans après les théorisations de la perspective linéaire de la Renaissance des XVe-XVIe siècles qui ont ouvert la voie de la modernité ? Cette nouvelle perspective participe-t-elle à son tour de l’amorce d’une ère s’appuyant sur des fondements revisités ? Évacue-t-elle un certain rapport à la nature au profit d’un autre ?
Nous avons commencé de répondre dans notre essai Renaissance sauvage. L’art de l’Anthropocène (Puf, 2019)[1] en analysant l’émergence, aujourd’hui, d’une renaissance que nous qualifions de « sauvage ». Nous désignons par là un tournant dans la manière dont l’homme se pense et agit dans le monde. Nous en voyons la possibilité se dessiner à travers de plus en plus de réalisations et, de façon large, dans la direction à peu près homogène qu’empruntent les lignes de fond de la pensée écologique. Une partie de l’art, du design, de l’architecture s’en fait le terrain d’élection.
L’espèce humaine vit un moment de bascule majeure (il sera voulu ou il sera subi mais son processus en cours ne laisse de doute qu’aux ignorants volontaires). Dominique Bourg résume parfaitement les choses en évoquant l’effondrement de l’« écheveau des dominations » qui a progressivement structuré la civilisation occidentale depuis les premiers millénaires du néolithique : domination des ressources de la planète, domination d’un genre sur un autre (le rejet du patriarcat est peut-être la révolution sociale en cours la plus fondamentale depuis le rejet de l’esclavage), domination des droits humains sur les droits de la nature, domination des sciences et techniques humaines sur le savoir et les pratiques du vivant, domination accrue des riches sur les pauvres, persistance de certains prismes de pensée colonialistes, etc.
« Ce qui nous arrive est comparable à la découverte du nouveau monde, du point de vue occidental, associée plus tard à celle de l’infinité de l’univers : la vision que nous avions de la planète à la fin du XVe siècle a été bouleversée par la découverte des Amériques, puis par la science moderne, et nous n’avons cessé d’en tirer les conséquences lors des décennies et des siècles suivants. Il en ira de même si ce n’est que nous sommes en quelque sorte contraints de découvrir, au rebours de nos aïeux, non l’infinité du monde, mais sa finitude, celle des ressources exploitables, et très probablement celle d’une habitabilité de la Terre en cours de rétractation »[2].
Nous parlons d’une « renaissance sauvage » dont, en réaction, la possibilité d’avènement se sédimente. Les paradigmes fondateurs de la modernité y laissent leur place à de nouveaux[3]. Ainsi passe-t-on de logiques de domination à des logiques de collaboration, d’une primauté donnée à la forme à une primauté donnée à la finalité, d’une durabilité pensée comme résistance à une durabilité envisagée comme adaptation et coévolution. Nous parlons de renaissance en tant que sont concernés par ce changement les cinq éléments qui la caractérisent comme concept : une mise en question de l’anthropocentrisme, une nouvelle approche de l’altérité, une nouvelle pensée de la symbiose, une nouvelle conception du réel et bien sûr, l’apparition d’une nouvelle perspective en art qui nous occupe aujourd’hui.
La perspective symbiotique, approche du réel et méthode de création, est la perspective de la Renaissance sauvage. Nous en avons introduit la notion dans notre livre à la faveur de nombreux exemples mais sans nous étendre en profondeur sur sa définition. Le présent essai s’en fixe l’objectif. Disons d’emblée que la perspective symbiotique consiste en la mise en collaboration de différentes forces créatrices dans la réalisation d’une œuvre. En un sens, elle organise la rencontre et la dynamisation de « points de vue » qui, ensemble, accouchent d’un résultat. Si le terme « perspective » signifiait simplement orientation ou mouvement, on pourrait considérer la perspective symbiotique comme un pluri-perspectivisme, à savoir, un moment d’intersection, dans une zone appelée à faire œuvre, de deux ou plusieurs perspectives.
La perspective symbiotique témoigne d’un glissement radical du rôle de l’artiste qui accepte de ne plus être l’unique auteur d’une œuvre. Elle rend compte d’une attention au monde et d’une éthique en rupture avec le passé : le monde se révèle animé d’entités agissantes, doué d’intelligences et de créativités diverses. On reconnaît de la valeur voire une personnalité à ce qui n’en avait pas. On ne prétend plus maîtriser mais composer avec. La nature possède un savoir dont une partie nous demeurera à jamais inaccessible : voilà que l’on se place à son école et qu’on cherche à se faire les alliés de son œuvre dans un vœu commun de devenir durable. De nouvelles formes d’émerveillement voient le jour ; de nouvelles opportunités d’émancipation et d’invention se suggèrent.
Précisons : la perspective symbiotique n’est pas, en soi, porteuse d’écologie. Son principe peut même se trouver appliqué à des œuvres en contradiction complète avec elle. C’est la manière dont elle est utilisée qui détermine ses valeurs et c’est toute l’ambition de la Renaissance sauvage sur laquelle nous ne reviendrons pas ici.
Toute perspective cherche à fournir une représentation fidèle à l’idée que l’on se fait de la teneur essentielle du visible (elle change avec l’idée qui change). À cette fin, elle se propose comme procédé guidant le processus d’émergence d’une création dans un espace donné. Elle y décide de la sélection, de la forme, du rapport et de la répartition des éléments. Elle trouve son ordre directeur dans une alliance philosophie et science qui, à l’époque considérée, apparaît comme la meilleure clé pour accéder à la réalité du monde naturel envisagé comme un tout. L’optique des Grecs anciens, indissociable de la philosophie-physique s’attachant à décrire le fonctionnement de la nature (phusis), a guidé les pratiques proto-perspectivistes de l’Antiquité et du très haut Moyen Âge[4]. La pensée et la géométrie des modernes ont gouverné la perspective linéaire progressivement adoptée par la Renaissance du XVe siècle et adaptée en un long héritage. Ce que l’on désigne aujourd’hui par « sciences et philosophies de l’environnement » a pris la relève et conduit l’éclosion de la perspective symbiotique de la Renaissance sauvage.
Ce changement de référent scientifique et intellectuel, et cette méthode de création nouvelle qui lui est associée, marquent le dépassement d’une crise majeure du visible et de sa représentation : ce que l’époque moderne a vu, la civilisation Anthropocène n’entend plus continuer à le voir de la même façon. D’une vision de la nature imposée par un hypothétique génie humain, on passe à une vision reçue dans le creuset d’une sensibilité d’accueil du génie des mouvances plurielles : la nature dépeuplée se repeuple et elle apparaît pleine de vies.
Prétendre à l’émergence d’une nouvelle perspective exige, d’une part, de retracer l’histoire de la notion et d’expliquer de quelle façon on s’y inscrit, et, d’autre part, de la penser en tant que concept et outil afin de démontrer comment cette double cohérence se maintient tout en se spécifiant aujourd’hui.
Un peu d’histoire : de l’Antiquité à 1860
La Renaissance des XVe-XVIe siècles ayant servi de point de départ à notre réflexion sur la « Renaissance sauvage », positionnons-nous en Italie, à Florence, au milieu du XVe siècle, pour mieux regarder en arrière puis en avant. Nous ne reviendrons pas sur les discussions qui occupent certains chercheurs depuis plusieurs générations tant sur le point de savoir s’il est légitime ou non de parler de Renaissance que s’il se pourrait qu’il y en ait eu d’autres dans l’histoire – certains médiévistes, sensibles à la notion, proposent des renaissances wisigothique ou isidorienne (VIIe siècle), northumbrienne (VIIIe siècle), carolingienne (VIIIe-IXe siècles), ottonienne (Xe siècle) et du XIIe siècle[5]. Nous nous rallions à Jean-Marie Le Gall pour dire avec lui que « la Renaissance [des XVe-XVIe siècles] existe » et, cet article n’étant pas directement impacté par ce débat, nous nous contentons de renvoyer à son étude particulièrement convaincante[6].
La perspective comme manière de produire ou organiser une œuvre selon son principe appartient à une histoire qu’il est indispensable de rappeler afin de saisir la tendance qui se cristallise aujourd’hui. Disons d’emblée qu’il n’y a pas de « progrès » sous l’éclairage duquel lire l’histoire de la perspective. Il y a des recherches et des découvertes qui apportent des méthodes originales, mais il y a surtout des choix qui viennent répondre à des conceptions et à des besoins, à des moments donnés. L’histoire n’est donc pas celle d’une avancée patiente vers une perspective supposément idéale, mais d’une mosaïque de solutions entrecoupées de périodes engagées dans d’autres modes de représentation[7].
Jusqu’au Moyen Âge, des intelligences de structuration proportionnée de l’espace existent bel et bien : projection d’objet sur une paroi, changement d’échelle, élaboration de parallélépipèdes, assemblage tridimentionnel d’unités géométriques, élévation, coupe et plan (autorisant les édifices et sculptures des premières grandes civilisations en Égypte, à Sumer, en Inde, en Amérique, etc.), mais elles se limitent à un régime de représentation frontale[8]. Les cultures antiques, grecque et latine, possèdent un certain sens de la distribution des éléments dans l’espace et des rapports entre eux. On connaît le triomphe de Phidias (ca. 490-420 av. J.-C.) sur son rival Alkaménès (ca. 450-401 av. J.-C.) grâce aux déformations qu’il fait subir à une statue d’Athéna afin de pallier le rapetissement des proportions, la scénographie des pièces de théâtre, les compositions obliques et les raccourcis de la peinture de céramique[9]. Certaines fresques décoratives à Pompéi (Villa des Mystères, Maison du Labyrinthe) et à Boscoreale (Villa de Publius Fannius Synistor) obéissent à des schémas de construction à point de fuite[10]. Dès le haut Moyen Âge, des approches structurées de l’espace se perfectionnent, visibles en particulier dans les paysages des enluminures et miniatures. Au-delà du fait que la rareté des sources rend difficile l’enquête sur la perspective aux temps anciens, nous nous en tenons là dans ce panorama anté-renaissant pour mieux nous concentrer sur la perspective linéaire, celle qui a connu la plus grande fortune, au point de se faire entendre presque spontanément quand on prononce le mot de « perspective ».
La perspective linéaire a marqué quelque cinq ou six cents ans d’histoire de l’art, non pas parce qu’elle a été suivie dans son intégrité pendant toutes ces années, mais parce qu’elle n’a cessé de jouer comme référence diffuse. Si les artistes se sont éloignés de son rigorisme c’est parce qu’ils ont intériorisé son principe à tel point qu’ils l’ont fait leur par habitude[11]. La perspective linéaire a façonné la culture visuelle occidentale, lui devenant comme « une seconde nature perceptive », pour reprendre l’expression de Philippe Hamou[12]. Il faudra attendre les avant-gardes du début du XXe siècle, et, sur le plan théorique, l’ouvrage d’Erwin Panofsky La perspective comme forme symbolique (1927) pour véritablement battre en brèche l’idée de perspective linéaire en tant que modalité de représentation conforme à la perception sensorielle.
Contrairement à ce qu’on lit parfois, la perspective linéaire n’a pas été inventée au XVe siècle[13]. Ce mythe a duré (dure encore…), il a commencé à se construire dès les premiers moments de la Renaissance[14]. Brunelleschi (1377-1446) a probablement réalisé un tracé en perspective devant la porte du baptistère San Giovanni à l’aide d’une tavoletta à trou unique et d’un miroir, puis un autre sur la Piazza della Signoria, mais on ne saurait dire qu’il en a « scientifiquement » expérimenté le procédé. On pourrait s’en tenir au premier argument avancé par Dominique Raynaud, analyser la manière dont les œuvres ont été construites. Pour juger de Brunelleschi, on ne possède que la plaque d’argent ciselé du Louvre, la Guérison des possédés, qui lui a été attribuée. Pour les autres peintres, le choix est plus large mais la conclusion identique : « aucun des tableaux de Brunelleschi, Ghiberti (1378-1455) et Donatello (1386-1466) ne respecte le canon de la perspective linéaire »[15]. En dépit des controverses[16], il semble bien qu’au plan technique et d’après ce qui nous reste, ce soit Giotto (1297-1315) aidé de Dante (1265-1321), en 1300, à Florence, qui ait le premier appliqué picturalement les connaissances perspectivistes. Pour ce qui est de ses successeurs (en nous limitant à l’Italie), il faut attendre Piero della Francesca (1412-1492), auteur du traité sans doute le plus convaincant sur le sujet : De prospectiva pingendi (vers 1490)[17], après l’étude empirique et non mathématique réalisée par Alberti (1404-1472) : De Pictura, 1435.
Sauf exception, les peintres et académies des XVe et XVIe (et des siècles suivants) élaborent chacun des modes de construction qui leur sont propres et leur semblent les plus adaptés à leurs projets. Les méthodes diffèrent et n’hésitent pas à puiser dans plusieurs systèmes perspectivistes à la fois (parmi tous ceux qui existèrent en nombre jusqu’à la fin du XVIe siècle[18]). Plus que la rigueur mathématique c’est l’impression de réalité qui préoccupe les peintres. Des logiques géométriques irréprochables à la Renaissance, il n’y en a presque pas. Au plus simple, la perspective se comprend comme un principe de réduction des grandeurs en fonction de l’éloignement et ses solutions combinent, sous des modalités diverses, empirisme et savoir théorique – John White le résume en disant que la perspective, dans sa pratique, doit être regardée comme « un domaine pseudo-scientifique »[19].
Ce sont surtout les dettes vis-à-vis du passé qui empêchent de parler d’« invention » de la perspective linéaire à Florence et donc d’une rupture entre Moyen Âge et Renaissance en la matière. On ne peut écarter l’influence de l’optique grecque, celle d’Euclide, de Ptolémée, de Théon d’Alexandrie, de Damianus, mais elle est indéniablement mineure et en grande partie intégrée de seconde main. Dominique Raynaud apporte une ampleur de preuves suffisante pour convenir que la source de la science perspective est essentiellement l’optique du XIIIe siècle de certains docteurs franciscains ou adeptes de l’augustinisme, autant nourris des études de la Grèce antique que de la théorie de la vision issue des savants arabes tels que al-Kindī (IXe siècle) et Alhazen (Xe-XIe siècles)[20]. Ces docteurs sont, pour la plupart, membres du studium generale d’Oxford : Robert Grosseteste, Roger Bacon, John Peckham, Bartholomew of England[21]. Leurs travaux ont circulé grâce aux réseaux paneuropéens des franciscains et aux relais des grandes universités. On en trouve de très larges emprunts sinon des passages in extenso dans les écrits de Léonard de Vinci (1452-1519), Alberti, Ghiberti ou Piero della Francesca[22].
Dominique Raynaud montre donc comment ce fonctionnement de l’organisation franciscaine explique l’essor de l’optique aux XIIIe et XIVe siècles[23]. En complément, il nous semble impossible d’imaginer que la doctrine religieuse elle-même n’ait pas joué un rôle dans les dispositions intellectuelles et sensibles de l’époque. L’un des apports de Pierre Francastel est de nous faire comprendre qu’une tendance est toujours travaillée par un certain esprit dans un contexte social donné[24]. Dieu est alors conçu comme libre et tout-puissant, présent et à l’œuvre en toute chose – « Depuis la création du monde, on peut voir avec l’intelligence, à travers les œuvres de Dieu, ce qui de lui est invisible : sa puissance éternelle et sa divinité » (Lettre de St Paul aux Romains, I, 20). Le Moyen Âge vise à la communion. La perspectiva ne concerne pas seulement la vue, elle est alors la science des cinq sens. Le monde se révèle à eux différemment selon la distance (un son, du proche au lointain, une odeur à sa source ou diffuse dans l’éloignement, etc.). Dans la lignée de Saint Augustin, la vue occupe un statut à part (le premier des sens dit-on depuis Aristote) : l’énergie lumineuse transporte l’influence des êtres supérieurs – dans La vision de Saint Augustin (1502-1507), Carpaccio (1460-1526) mettra en image la manifestation de Saint Jérôme par le biais du parfum et de la lumière[25]. La perspective peut être regardée comme science auxiliaire de la théologie. En affûtant les capacités de perception, en permettant de pénétrer sous la surface des choses, elle donne à l’homme la possibilité de capter l’essence des manifestations du visible, d’approcher l’essence spirituelle du réel, d’apprécier la divinité transcendante en acte ici-bas, en bref, de ne faire qu’un avec la présence de Dieu.
Si elle ne crée pas de toute pièce la théorie de la perspective linéaire, l’Italie renaissante ne se contente pas pour autant de copier les textes du passé. Il y a des continuités scientifiques et techniques mais leur appropriation est critique et des spécificités de fond sont introduites. La perspective resserre son champ : elle se concentre sur le sens de la vue. Son existence se généralise au travers d’applications pratiques qui bénéficient de simplifications, modifications, ajouts : le point de fuite est encore inconnu au Moyen Âge et au début de la Renaissance, Giotto et Alberti ignorent le point de distance au tableau qu’introduira Piero della Francesca seulement, autour de 1470, etc. Mais c’est surtout le début de sa sécularisation qui doit être reconnu comme une caractéristique nouvelle et déterminante. Sa vocation change. D’un instrument tourné vers le contact avec l’universalité de la présence de Dieu sur Terre, elle passe à un instrument d’investigation scientifique pure, d’autonomisation de l’œuvre, de création seconde (le tableau comme un monde dans le monde, par l’usage de lois analogues) et d’affirmation d’une vérité propre à l’art. La perte progressive de sa symbolique religieuse[26] et l’ampleur de son adoption en font une tendance structurante nouvelle. Pour ces raisons, il est légitime de dire que l’esprit de la perspective linéaire représente un élément constitutif majeur et propre à la Renaissance.
Nous suivons l’analyse de Panofsky pour dire que la perspective linéaire unifie l’espace (« rationalise la représentation de l’espace »[27]) tout en plaçant l’homme en son centre, garantit la continuité, la prévisibilité et l’exactitude des phénomènes, de même que la perfection esthétique selon les critères de proportion et d’harmonie de l’époque. La perspective linéaire met l’art en capacité d’accoucher de ce qu’on considère alors comme la meilleure approximation possible du monde réel. Le regard et les proportions du corps humain décident de la perfection des constructions. On lit dans le De Pictura d’Alberti, Livre I, paragraphe 19 : la mesure du bras détermine les espacements, l’écart entre le spectateur et le tableau relève de la décision souveraine du peintre tout comme le positionnement du point central (hauteur du regard). Cet anthropocentrisme n’est pas à comprendre sous l’angle simpliste d’un homme dominant purement et simplement le monde, même si c’est une tentation qui taraude. Certes, la perspective linéaire situe l’homme horizontalement à Dieu et au reste de la Création, mais si l’homme occupe une position à part dans la nature (la Genèse l’en fait le récipiendaire), il ne faut pas oublier que c’est en vertu du Décret divin. La perfection de la Création lui impose émerveillement et reconnaissance et engage sa responsabilité (le péché originel le lui rappelle). Loin d’un anthropocentrisme fort[28] qui prétendrait aux pleins pouvoirs, l’homme de la Renaissance se pense dans une connexion au Tout, comme l’y invitait déjà l’intérieur de l’église gothique métonymie de l’univers, et comme l’y invitent « l’homme de Vitruve », l’homo religiosus qu’Alberti décrit dans son De re aedificatoria (IX, 5) ou l’homme de Paracelse relié par toutes les branches de son corps à l’univers « vivant », « polymorphe, polyvalent et polysémique », « dans un mécanisme de participation créatrice réciproque »[29].
Ce premier temps de la Renaissance évolue toutefois en un second (sous l’impulsion notamment des travaux de Copernic, Bruno et Galilée) dont nous savons, grâce aux analyses de Carolyn Merchant, de quelle façon il commence à installer les bases de la modernité[30]. L’esprit de la perspective linéaire devient progressivement son emblème. Pierre Francastel résume parfaitement : « […] du XVe au XXe siècle, un certain groupe d’hommes a édifié un mode de représentation picturale de l’univers en fonction d’une certaine interprétation psychologique et sociale de la nature fondée sur une certaine somme de connaissances et de règles pratiques pour l’action »[31]. On mesure aujourd’hui les conséquences des « interprétations » et des « actions » de ce « groupe d’hommes » (à la dimension et à la géographie variables) qui, au fil des siècles, a fini par se croire créateur tout puissant et référence ultime.
La genèse de la perspective symbiotique : 1860 – 2019
Une renaissance n’émerge pas subitement, elle est préparée. À l’instar des quelque cent ou deux cents ans qui ont précédé la Renaissance des XVe et XVIe siècles, nous avons décrit dans notre livre de quelle façon, de 1860 à 2019, l’évolution de l’art (avec les deux derniers jalons de l’esthétique relationnelle[32] et du bio-art) et le développement des sciences et de la philosophie de l’environnement amènent, ensemble, à la Renaissance sauvage[33]. Si nous justifions le choix de 1860 et 2019, ces dates n’en demeurent pas moins des indicateurs flottants : l’histoire est davantage faite de moments ou de tendances (immanquablement poreux) que de bornes au sens strict. Que se passe-t-il au cours de cette période quant à la perspective ?
L’esprit de la perspective linéaire continue de faire partie de la culture visuelle dominante. Il demeure ce quasi-impensé de la modernité tardive. La photographie, le cinéma 2D et nombre d’œuvres dites « réalistes » en font un usage automatique. Les mass media mondialisés ont réussi à l’identifier à la vérité documentaire[34].
Une partie de l’art abstrait et non-figuratif, en évacuant complètement la perspective en tant que technique n’en a pas moins atteint l’apogée de ses aboutissants : ceux de l’individualisme triomphant[35]. L’homme n’a même plus besoin d’une extériorité, il n’a plus souci d’aucune imitation (mimesis) avec laquelle il faudrait apprendre à composer. Il trouve en Picasso (1881-1973), pour ne citer que lui, l’un de ses meilleurs parangons. L’homme est seul, référence ultime par la grâce de son seul génie, créateur de mondes se suffisant à eux-mêmes, parfaitement autonomes. Cet art se situe à l’opposé de l’art du Moyen Âge dont la fonction était de refléter la toute-puissance de Dieu (extériorité immanente) et de transir le spectateur. Jean-Luc Marion explique très bien comment l’icône se laisse moins regardée qu’elle ne regarde[36]. Le vitrail de l’église gothique fond de son déluge de lumière sur le fidèle. Ce n’est pas l’homme qui va vers l’œuvre et en décide, c’est l’œuvre, investie de transcendance, qui avance vers lui pour le posséder. L’homme n’a aucun pouvoir sur l’œuvre, il est écrasé par elle. On a vu le basculement fondamental que la première Renaissance a opéré en établissant un rapport d’horizontalité où co-participent homme-nature-Dieu et on a évoqué la trajectoire amorcée par la seconde phase de la Renaissance en direction du couple homme-nature (l’homme occupant bientôt le sommet de la hiérarchie). Bien sûr, c’est une certaine ligne de l’histoire de l’art que l’on évoque, il faudrait citer les courants concurrents et les nuances, aussi majeures par exemple que l’architecture religieuse baroque qui visait elle aussi à prendre le dessus en engloutissant son visiteur dans la profusion de son microcosme.
Si l’esprit de la perspective linéaire (que l’on pourrait appeler, considérant sa longueur d’influence dans le temps, « perspective moderniste ») domine largement, la pré-Renaissance sauvage commence pourtant à en ébranler l’édifice. Différentes œuvres se rapprochent ou utilisent déjà les ressorts de la perspective symbiotique. Nous nous limiterons ici aux traits saillants d’une genèse dont le détail dépasserait le cadre restreint de cet essai. La pluralité des usages du hasard cher à de nombreuses avant-gardes du XXe siècle ouvre la voie.
La pratique du cadavre exquis en appelle certes au concours de différentes agentivités (en l’occurrence, uniquement humaines), mais les juxtapose plutôt qu’elle ne les fait collaborer. La fascination des surréalistes pour l’objet les conduit à valoriser les esthétiques des objets trouvés, rebuts, curiosités de la nature (pierres imagées, racines, écorces…), à les élever tels quels au rang d’œuvres ou à les intégrer à l’intérieur de dispositifs construits (ce qu’affectionnait déjà l’humaniste de la Renaissance à l’intérieur de son studiolo), mais s’il y a bien un certain abandon de « la main » de l’artiste, ces objets créés par d’autres ne sont pas convoqués en tant que puissance créatrice. Idem pour les collages et assemblages des dadaïstes et nouveaux réalistes : des Sculptures involontaires (formes de pâte dentifrice, morceau de pain, ticket de bus déchiré…), 1933, de Man Ray (1890-1976), aux fers à béton récupérés et simplement mis en scène par Jacques Villeglé (1926-2022) (Fils d’acier – Chaussée des corsaires, Saint-Malo, 1947) à la série de poubelles d’Arman (1928-2005) dans les années 1970 (accumulations de déchets dans des boîtes transparentes)[37].
Sans reconnaître à Marcel Duchamp (1887-1968) la primauté suprême d’une approche que l’on pourrait sans nul doute s’amuser à identifier dans telle ou telle création artistique plus ancienne, l’importance de son œuvre en termes d’influence nous autorise à voir dans 3 stoppages-étalon (1913-14/1964) et dans le Ready made malheureux (1919-1920) deux exemples de convocation d’une agentivité tierce dans le processus de fabrication d’une œuvre. En laissant tomber à un mètre de hauteur trois cordes d’un mètre sur une toile peinte en bleu de Prusse, la force de gravité et l’agentivité même des cordes deviennent co-autrices, de même que les phénomènes météorologiques appelés à contribuer à la (trans)formation du précis de géométrie que, d’après le protocole établi par l’artiste, sa sœur Susanne doit accrocher au balcon de son appartement.
Il y a concours d’agentivités même si une telle interprétation des deux œuvres apparaît quelque peu en décalage avec les préoccupations de Duchamp alors davantage tourné vers l’exploration des articulations mentales que l’art met en jeu, la pataphysique (« science des solutions imaginaires ») d’Alfred Jarry (1873-1907), l’ésotérisme et l’étude scientifique du hasard telle que le mathématicien Henri Poincaré la proposait dans La science et l’hypothèse (1902)[38]. On n’est pas ici dans l’esprit d’un Jean Arp (1886-1966) cherchant, à l’opposé du paradigme renaissant[39], à « produire comme une plante qui produit un fruit »[40]. Ce qu’il appelle « art concret » a pour but de « transformer le monde », « sauver l’homme » et « l’identifier avec la nature ». D’une certaine façon, l’artiste strasbourgeois anticipe d’une centaine d’année l’esprit de la material ecology de Neri Oxman (1976)[41] et d’une partie du design écologique s’intéressant à la « nouvelle matérialité »[42]. Déclaration prémonitoire bien que Jean Arp, en pratique, n’ait jamais quitté le procédé moderne de produire : par sa seule main.
La « nouvelle matérialité » en gestation témoigne d’un retour à une vision hylozoïste du monde[43]. Étymologiquement, la combinaison du grec hulê (ὕλη : bois, matière) et zôê (ζωή : existence, vie) dit qu’il y a de la vie en toute chose[44] (en langage actuel : tout possède une agentivité[45]). Jean Dubuffet (1901-1985) en a la conviction quand il parle des « velléités et des aspirations du matériau qui regimbe »[46]. Sa série Texturologie (1957-1962) s’attache à portraiturer le sol en rendant compte de sa nature vivante. Il ne travaille toutefois pas plus que Jean Arp avec l’agentivité de la terre, même si, dans les mélanges qu’il réalise, par exemple sable, blanc de zinc et carbonate de chaux avec huile polymérisée, il espère l’émergence de « reliefs imprévus »[47]. C’est davantage une recherche alchimique qui le préoccupe, trouver la clé des choses dans l’exploration des matériaux. Le panorama pourrait s’allonger encore, de Georges Mathieu (1921-2012) à Jackson Pollock (1912-1956), en passant par Jean Fautrier (1898-1964) ou Kazuo Shiraga (1924-2008) : abstraction lyrique, expressionnisme abstrait, Gutaï… cherchent, d’une façon ou d’une autre, à travailler avec l’élan propre à la matière ou aux éléments.
Les années 1950-1970 se rapprochent plus précisément de la perspective symbiotique. Il faudrait s’attarder sur John Cage (1912-1992) pour qui « toute chose est dans un état de vibration », « n’importe quoi », une chaise, une table… Le compositeur parle de son désir « d’entendre un champignon » et de son rêve d’une exposition qui donnerait à voir puis à entendre des objets[48]. Peut-on reconnaître dans son œuvre séminale 4’33″ (1952) le souhait de prêter attention à l’épaisseur agentive du réel ? C’est en tout cas le sens de sa déclaration : « Ils n’ont pas saisi. Le silence n’existe pas. […] On entendait un vent léger dehors pendant le premier mouvement. Pendant le deuxième, des gouttes de pluie se sont mises à danser sur le toit, et pendant le troisième ce sont les gens eux-mêmes qui ont produit toutes sortes de bruit intéressants en parlant ou en s’en allant. »[49] Il y a bien mélange d’agentivités, surtout si l’on garde à l’esprit l’entrée sur scène du pianiste, son geste de déposer une partition vierge puis d’ouvrir et fermer le clavier au début de chacun des mouvements. Quelques années plus tard, Karlheinz Stockhausen (1928-2007) fera jouer un concert au milieu d’une forêt, « mélangeant les instruments et les voix aux grenouilles, aux cigales et aux autres animaux »[50]. Les concepts d’« œuvres ouvertes » et « en mouvement » proposés par Umberto Eco en 1962 ne sont pas loin[51]. Peut-être, sous-jacent, se trouve-t-il quelque désir de symbiose dans l’indétermination volontaire d’une œuvre s’offrant, malléable, au geste plastique de ses interprètes.
Côté peinture (au sens large), Niki de Saint Phalle (1930-2002) exécute un geste fondateur en invitant le public à tirer au fusil à tour de rôle sur des supports préparés enfermant des réserves de peinture qui éclatent sous l’impact des balles (série des Tirs, 1961). Claude Gilli (1938-2015), dans l’esprit de ses Coulées (1966-1967), a l’idée de mettre à contribution des escargots. Fasciné par leur comportement, il étudie leur biologie et leurs mœurs – son art va en être marqué pendant plusieurs années. Après une première expérience, le 9 octobre 1969, sur des plaques de contreplaqués fixées au mur du Centre américain boulevard Raspail à Paris, il réalise des séries d’aquarelles avec des gastéropodes imprégnés de peinture à l’eau et, plus tard, il reprend au pinceau blanc leurs parcours de bave laissés sur fond noir. Pour Pierre Restany, l’artiste organise « un espace-temps poétique, étroitement lié à l’expressivité autonome de l’escargot, son écriture organique, la calligraphie linéaire de ses traces »[52].
Il y a fort à penser que les « cosmogonies » [53] qu’entreprend Yves Klein (1928-1962) à partir de 1960 ont joué dans l’imaginaire de Gilli. Cette série s’est amorcée avec l’œuvre Vent Paris-Nice dont il relate la création dans le manifeste qu’il rédige au Chelsea Hotel de New York : « Un voyage de Paris à Nice aurait été une perte de temps si je ne l’avais pas mis à profit pour faire un enregistrement du vent. Je plaçai une toile, fraîchement enduite de peinture, sur le toit de ma blanche Citroën. Et tandis que j’avalais la nationale 7 à cent kilomètres à l’heure, la chaleur, le froid, la lumière, le vent et la pluie firent en sorte que ma toile se trouva prématurément vieillie. Trente ou quarante ans au moins se trouvaient réduits à une seule journée. »[54] À partir de cette première expérience il met en place différents procédés : présenter une toile aux reliefs du sable, grâce aux courants de l’air, faire peindre des roseaux enduits de couleur, réaliser l’empreinte de végétaux et laisser le « comportement atmosphérique » en altérer le résultat, etc[55]. Le « but » d’Yves Klein, selon ses propres mots, est de capter la « pure phénoménologie » des éléments, « d’extraire et d’obtenir la trace de l’immédiat dans les objets naturels, quelle qu’en soit l’incidence – que les circonstances en soient humaines, animales, végétales ou atmosphériques » [56]. Se rattachent à cette déclaration les expérimentations qu’il a réalisées avec le feu (plusieurs Peintures de feu sont le fruit de la flamme guidée par l’artiste et du geste d’un assistant jetant de l’eau sur la toile préalablement enduite) et l’usage de « pinceaux vivants » dans les Anthropométries (années 1960). Ce n’est pas de questions écologiques au sens strict dont Yves Klein se soucie mais de spiritualité (mélange chez lui de philosophie orientale, de doctrine chrétienne et d’ésotérisme[57]). Il vise, au-delà de l’œuvre en tant qu’objet, à atteindre une forme de « silence », une « zone de sensibilité picturale de l’immatériel ». L’œuvre est un tremplin vers le vide : celui du Souffle créateur taoïste. On comprend qu’il s’y soit symboliquement jeté (Le Saut dans le vide, 1960).
Il y aurait encore à réfléchir sur le degré de symbioses dans les processus créatifs de différents artistes actifs dès les années 1960-1970, de Michelle Stuart (1933-) travaillant avec de la terre à Charles Ross (1937-) réalisant des brûlures de soleil, en passant par Ana Mendieta (1948-1985) offrant son corps à l’expansion des forces végétales, mais notre idée, ici, est de faire ressortir des tendances plus que de passer chaque décennie au tamis. Le fil conducteur menant à l’épanouissement de la perspective symbiotique s’achève sur deux moments qui clôturent la pré-Renaissance sauvage. Sous la notion d’« esthétique relationnelle », Nicolas Bourriaud éclaire un courant artistique qui s’intéresse à « figurer, produire ou susciter » des « relations interhumaines » dans un contexte socio-économique et culturel donné[58]. Un artiste comme Jean-Luc Vilmouth (1952-2015) en élargit le champ par une pratique moins anthropocentrée et déjà très consciente des enjeux écologiques. Pour réaliser l’Empreinte de Siam (1990-91) il fait marcher un éléphant sur un sol meuble et réalise un moulage de son pas. L’opération n’a rien d’évidente. L’éléphant refuse d’avancer. Pour l’inviter à collaborer, l’artiste est obligé de s’intéresser à lui de très près, d’agir comme un « diplomate »[59] : « Il faudra ramasser de la terre sur laquelle Siam a uriné, la transformer en poudre à l’aide d’un sèche-cheveux et la saupoudrer sur la terre amenée qui servira à prendre cette empreinte. Siam peut sentir son odeur, il accepte d’avancer »[60].
À peu près dans les mêmes années, certainement l’un des courants artistiques les plus importants de la fin du XXe et du début du XXIe siècle se développe : le bio art. Il accompagne ce que certains nomment déjà le tournant biologique de l’histoire. Ce tournant prend acte de l’essor de possibilités d’interventions humaines sur le vivant absolument radicales qui soulèvent des enjeux éthiques et écologiques majeurs (auxquelles la Renaissance sauvage entend également apporter un cadre)[61]. Une partie des créations font directement appel au concours du vivant. Sur le fond, les pratiques oscillent entre des expériences d’apprenti-sorcier dans la droite ligne d’une modernité inconsciente autant de la portée de ses actes que de la réalité de la nature[62], et, à l’opposé, des propositions critiques ou des approches humbles, désireuses de connaissance et d’harmonie avec une altérité considérée dans sa valeur intrinsèque.
La perspective symbiotique ne vient donc pas de nulle part. Différentes œuvres ont cheminé vers elle ou s’y sont essayées, fût-ce en mode mineur (tâtonnant encore dans la conscience des potentialités des agentivités tierces ou laissant planer le doute sur la recherche symbiotique, que l’on songe à Claude Gilli intitulant sa première expérimentation avec des escargots, en 1969, Agression d’escargots vivants sur tableaux). De 1860 à 2019, des enjeux artistiques, philosophiques et éthiques variés ont accompagné une certaine mise en retrait de l’artiste dans l’acte de créer. On n’y a pas toujours cherché la même chose et on n’a pas usé des mêmes moyens. Depuis les années 1960, l’amplification des problématiques écologiques, le contexte intellectuel et scientifique sur la question, se ressentent en toile de fond d’une évolution qui, dans les dernières années surtout, se focalise de plus en plus sur le vivant.
Premières considérations conceptuelles
Toute perspective s’établit sur l’identification d’un dehors, son interprétation et le choix d’un rapport avec lui. Sa mise en pratique la valide en produisant un effet de réel créateur en retour d’un certain type de regard. Pour le dire autrement, toute perspective part de la présupposition d’un monde et aboutit à son avènement. Son substrat est philosophique avant que scientifique ou technique, si l’on entend par philosophie une entreprise de qualification, d’articulation et d’intelligibilité. Le duo intériorité-extériorité joue au cœur du mécanisme, selon les époques, de l’étanchéité à la porosité, de la verticalité à l’horizontalité, du sacré au profane – avec toutes les déclinaisons et nuances voulues.
Toute perspective fonctionne conjointement à la recherche d’une certaine forme de vérité. Au Moyen Âge, de façon prédominante à côté des vérités « empiriques ou factuelles » et « logiques », une « vérité intuitive », à savoir, qui pénètre les essences[63], touche à la manifestation de Dieu que l’on croit présent en toute chose. À partir de la Renaissance et jusqu’à la fin du XIXe siècle, en toute cohérence avec la sécularisation progressive de la perspective et sous des modalités variables, la recherche devient celle d’une vérité propre à l’art. Il devient possible de dire que la perspective ne montre pas, elle pense, comme l’écrit Hubert Damsich[64]. Cette pensée propre à la peinture, Pierre Francastel la nomme « pensée figurative »[65], Daniel Arasse, André Chastel ou David Rosand, « pensée graphique »[66]. Elle ne fait pas que traduire ou illustrer un rapport au monde et une certaine philosophie, elle invite aussi à l’action : le tableau renaissant conduit vers, le regard y est actif, en marche, il appartient à l’homme de contribuer à la complétude de l’harmonie universelle – puis, pour la modernité tardive, de façonner le monde au gré de son génie.
Pour autant, le tableau renaissant n’instaure pas de continuité avec le réel où se trouve le spectateur, il instaure un espace fictif dont la réussite dépend de la vraisemblance de son ordre interne. La perspective se fait l’instrument de l’illusion d’un monde à comprendre comme celui d’un récit, d’une historia[67]. Dans les pas du philosophe Jean-Luc Marion nous pouvons dire que « l’invisible » y organise « le visible », rend le visible « plus visible » : « la perspective traverse d’invisible le visible pour y voir plus encore »[68]. Elle extrapole un ordre idéal et le fait advenir. L’invisible est chorège. Par la fenêtre qu’il ouvre sa puissance fait harmonie du chaos du réel désespérément complexe et impénétrable. Cette puissance est celle de son idée qui met en scène et circule en tout point. L’invisible : la Loi de Dieu (ou le récit, l’historia). Le tableau renaissant est monde dans le monde. Courez vers le point de fuite et le point de fuite recule. De physique la géographie passe à théologique. Le Mystère sans localisation dans notre monde se trouve visé dans ce monde-là, pointé du doigt, à l’œuvre dans l’infini d’où il rayonne. On l’a évoqué : de l’idée de Dieu les décennies arrivent à l’idée d’une alliance Dieu-homme-nature, jusqu’à la possibilité d’un simple référent homme-nature, toujours dans le prisme d’une logique d’organisation.
Les impressionnistes et Cézanne (1839-1906) marquent le point de bascule à partir duquel l’histoire va amorcer une bifurcation philosophique jusqu’au moment qui nous intéresse aujourd’hui. Pour les premiers, l’espace pictural vaut moins en tant qu’image qui se donne à comprendre qu’image qui se donne à ressentir. Le tableau ne présente pas une histoire ou un sujet isolés, il ambitionne de reproduire la phénoménalité de la nature et de nous la transmettre. C’est aussi en ce sens qu’il faut entendre la déclaration du maître d’Aix à Émile Bernard (1868-1941) dans sa lettre du 23 octobre 1905 : « Je vous dois la vérité en peinture, et je vous la dirai »[69]. L’art occidental rejoint ici le fondement de l’art que la Chine développe depuis les origines de la peinture à l’encre. Aboutissement de quelque cent cinquante ans de maturation (période de « pré-Renaissance sauvage »), la perspective symbiotique cherche, le plus authentiquement possible, à manifester le réel dans l’expression de ses processus de vie[70]. Elle aspire à une symbiose naturo-existentialiste quand le Moyen Âge aspirait à la sainteté, la Renaissance et l’époque moderne, à la connaissance et au pouvoir.
En s’inspirant des considérations de Pierre Hadot, on en vient à penser que la perspective symbiotique accompagne l’artiste plus étroitement encore « dans son effort pour épouser l’élan créateur de la nature ». L’essence immémoriale de l’art se résume peut-être bien en une recherche d’unité profonde avec la Terre et avec l’univers. On trouverait ainsi, dans ce passage du Voile d’Isis. Essai sur l’histoire de l’idée de nature (2004) intitulé « l’extase cosmique », le désir (conscient ou non) de l’artiste et de notre époque, aussi abasourdie par la réalité galopante de l’Anthropocène qu’assoiffée de liens retrouvés avec la vie et la nature, le désir innervant la perspective symbiotique et la démarquant nettement de la « perspective moderniste » : « Il ne s’agit plus, cette fois, de découvrir un secret fabrication, mais de vivre une expérience d’identification avec le mouvement créateur des formes, avec la phusis au sens originel du mot [la nature[71] en tant que processus de naissance et de croissance], de s’abandonner au « torrent du monde », selon l’expression de Cézanne »[72].
Il y a toujours concordance entre l’esprit structurant d’une époque et l’esprit de la perspective qu’elle connaît[73], sans qu’il soit aisé de définir lequel (et via quels paramètres) est davantage intervenu dans la fabrication de l’autre. Il nous semble sincère de postuler une émergence commune.
Secondes considérations conceptuelles
La perspective est véhicule d’une quête. Elle est un dispositif de connexion qui cherche (à produire) une unité. Son désir en ce sens rejoint celui de la philosophie[74]. Élan vers une articulation totale, elle voudrait l’harmonie de tous les savoirs disponibles avec le mystère inamovible de l’univers. Que nous a appris son histoire ? Hubert Damisch constate à juste titre « qu’on ne saurait traiter de la perspective, et de son histoire, que sous la condition d’admettre, dès le principe, que cette histoire est, par définition, plurielle » et qu’on n’en peut dégager ni « une analyse ni une interprétation univoques »[75]. À quoi Marisa Dalai Emiliani fait parfaitement écho quand elle écrit que « Par sa situation au carrefour de la science, de la culture humaniste et de la pratique artistique, la perspective, comme tout autre thème interdisciplinaire, échappe à un traitement conceptuel univoque »[76]. Reste donc à essayer de la saisir en identifiant ses invariants constitutifs.
La perspective conjugue trois facteurs en une méthode de création : philosophie (quelle ressource conceptuelle domine l’approche du visible ?), science (quel paradigme scientifique apparaît prépondérant dans l’explication du monde ?) et logique du réel (quels éléments représenter, sous quels rapports et selon quelle organisation dans l’espace ?). Elle le fait différemment selon le contenu que le contexte culturel donne à chacun de ces trois termes. Philosophie et science permettent de comprendre et positionner l’homme, par le croisement du regard et de l’esprit, à l’intérieur d’une conception du fonctionnement primordial du réel. En se transposant concrètement dans le champ de l’art, la perspective se mue en une pratique qui aménage davantage le principe de la science qu’elle n’en applique scrupuleusement la règle. Elle accompagne et s’adapte aux formes visuelles de son temps : peinture, sculpture, décor de théâtre, photographie, cinéma… à quoi il faut ajouter, pour la nouvelle perspective qui nous intéresse, les médiums dont le XXe siècle a rendu la liste infinie.
Durant l’Antiquité, le regard se voit expliqué par l’optiké, département de la philosophie-physique dont l’objectif consiste en l’étude et description de la phusis (la nature en tant que processus de formation et d’animation)[77]. Au Moyen Âge, l’optique est science mais aussi associée de la théologie chrétienne : elle ambitionne de capter et comprendre la puissance et les manifestations de l’ordre divin en toute chose. La Renaissance florentine amorce plusieurs ruptures. L’optique accompagne l’émergence de l’individu, son pouvoir et le rôle de son âme (tierce essence), copule appelée à participer au parachèvement de la Création[78]. Elle imbrique pouvoir de l’homme, pouvoir de Dieu et pouvoir d’une nature qui s’engage dans son autonomisation par la découverte et la reconnaissance de lois dégagées d’arrière-plan transcendant, en attendant de se séparer tout à fait de Dieu. Alors philosophie et physique modernes seules prendront en charge le regard.
La perspective symbiotique relève elle aussi du trio philosophie, science et logique du réel. Nous avons évoqué, au début de notre propos, la crise du visible dont elle marque le dépassement. La nécessité de changer de manière de regarder le monde est un topos de la pensée écologique qui suscite, à raison, une recrudescence d’intérêt, comme en témoignent, par exemple (et pour se limiter au champ de l’art et aux études francophones), Apprendre à voir. Le point de vue du vivant (2021) d’Estelle Zhong Mengual et le texte que nous avons donné dans l’ouvrage sur la photographe et plasticienne Noémie Goudal (1984-) : « L’œil chrysalide. Notes sur un voir écologique »[79]. Ce n’est pas un hasard si nous articulons notre réflexion autour d’une notion empruntée à l’entomologie. Le tournant biologique qui a marqué la fin du XXe siècle se fond à l’intérieur d’un tournant écologique plus large. Dans l’approche du regard à l’Anthropocène, l’écologie prime. En plus de la philosophie, la Renaissance et la période moderne dont elle a accouché ont usé de l’esprit des mathématiques et de la physique pour commander la structuration de la grande majorité des œuvres d’art dans l’esprit de la perspective linéaire. La perspective symbiotique de la Renaissance sauvage fait appel aux ressources de l’intelligence écologique issue des sciences de l’environnement.
Ce changement de référentiel scientifique dominant explique que le canevas à partir duquel l’œuvre d’art de la Renaissance sauvage se crée ne s’apparente plus à une projection géométrique dans un esprit plus ou moins fidèle aux mathématiques. Le dessin préparatoire devient scénario préparatoire. Il décrit le processus relationnel que l’artiste souhaite activer en vue d’une production. La prédiction du résultat porté par un geste purement humain (paradigme de la Renaissance) cède la place à l’élaboration d’une rencontre à plusieurs « mains ». Créer ne signifie plus introduire de force dans le réel une certaine forme mentale, mais orchestrer le concours de capacités créatrices. On en arrive à définir la perspective symbiotique, au plus simple, comme la sollicitation de différentes agentivités dans l’objectif d’une création. Le positionnement et le rôle de l’individu est complètement transformé. Il n’est plus l’auteur, seul maître à bord, il devient coauteur. La réussite de son œuvre tient à la réussite de la collaboration qu’il aura su mettre en place et accompagner. Il ne travaille plus au sein d’un environnement inerte dans lequel il peut imposer librement n’importe quelle lubie. Il œuvre au sein d’un milieu qu’il fabrique et qui le fabrique en retour. Il est entouré de forces agissantes dont il se doit de respecter la valeur intrinsèque et la dynamique de vie.
La perspective symbiotique scelle un « contrat naturel », au sens donné par Michel Serres. Un contrat comme ce qui « comprend, de quelque façon, le point de vue des autres », mélange « contraintes » et « libertés » dans « un jeu de cordes » où circule information et énergie. Un contrat qui fait « participer à toute communauté », « contrat d’association universelle » selon « les lois naturelles [qui] fédèrent les choses comme lient les hommes les règles sociales ». Le philosophe voit la nature (« ensemble de contrats ») naître à la mesure d’une « humanité réellement solidaire »[80]. Dans un tel cadre de pensée la perspective symbiotique soulève des questions juridiquement naturelles : qu’en est-il du consentement des parties prenantes à l’œuvre ? Le pacte a-t-il pris en considération les intérêts de chacun et l’intérêt plus global du milieu ? Qu’en est-il de son inscription dans la législation planétaire ? Etc.
Mises en œuvre
Le rattachement d’un système perspectiviste à une époque donnée ne s’estime pas tant au regard de l’identification de telle ou telle œuvre produite selon son approche qu’au regard de l’importance de son adoption (consciente ou non), de sa diffusion et du contexte théorique qui la justifie. C’est la raison pour laquelle Giotto, quoique mettant en œuvre, déjà, la perspective linéaire, n’est pas à proprement parler un artiste de la Renaissance et ne saurait à lui seul la rattacher à son siècle. Nous avons décrit le cheminement historique amenant à la perspective symbiotique. Nous avons décrit le substrat conceptuel général de la perspective et comment la perspective symbiotique en relève. La pensée écologique contemporaine alimente le terrain où sa théorie naît. Les œuvres se multiplient (nous nous limitons à l’art, mais nous pourrions élargir au design, à l’architecture et au-delà, par exemple, aux pratiques agricoles relevant de l’agroécologie et de la permaculture[81]). La conjonction de tous les facteurs que nous avons identifiés précédemment permet de parler de l’éclosion d’une nouvelle forme de perspective se rattachant à un processus de basculement civilisationnel dont nous nommons Renaissance sauvage le contenu et l’horizon durable possibles (à l’opposé de tel ou tel scénario d’effondrement et de conflit).
Comme toute perspective, la perspective symbiotique se déploie à l’intérieur d’un espace pictural que l’on peut qualifier plus largement de zone de création. Elle doit être la plus adaptée aux expressions des agentivités pressenties. L’artiste la choisit ou la fabrique. Pour ce faire, il s’est autant intéressé aux qualités des agents qu’il envisage d’inviter qu’aux propriétés du milieu et de la zone de création dans lesquels l’opération se déroulera. Il ne s’agit pas d’un jeu de loterie : un projet est défini. La perspective symbiotique se situe entre deux pôles : le hasard et le contrôle. Selon les œuvres, le curseur penchera un peu plus d’un côté ou un peu plus de l’autre.
L’œuvre ainsi produite est émergence : aucune des parties au processus n’en possède le résultat au préalable. Elle est le résultat d’un travail en commun. De patientes recherches ont pu être nécessaires. S’il y a génie, il concerne moins la main que l’exercice des sens et de l’intelligence (la raison sensible et la raison idéelle réunies[82]). Il faut sortir de soi, s’ouvrir aux forces en présence. Il faut identifier des accointances possibles, orchestrer des collaborations, accompagner un collectif. Les talents requis sont ceux de l’attention, de la délicatesse, de l’écoute, de la diplomatie, de la négociation et de l’adaptation. Les agentivités doivent s’entendre, aucune ne doit nier le travail ou l’existence de l’autre. Les forces convoquées le sont chacune dans le sens de leur être en devenir. C’est leur trajectoire de vie respective qui intéresse. Idéalement, le processus de création en constitue une modalité non violente.
On ne peut établir de catalogue exhaustif de toutes les applications concrètes de la perspective symbiotique. Le registre des possibles est infini. Nous citons et commentons différentes œuvres dans notre essai Renaissance sauvage et nous pourrions en ajouter d’autres, par exemple parmi celles qui furent présentées au sein de la très intéressante exposition Cosmogonie, au gré des éléments organisée par Hélène Guenin au Musée d’art moderne et contemporain de Nice (9 juin-16 septembre 2018)[83]. Une vingtaine d’artistes ont retenu notre attention pour notre exposition Renaissance sauvage : la perspective symbiotique (Galerie Jousse Entreprise, 18 novembre 2023-13 janvier 2024), c’est avec eux que nous allons nous attarder ici.
Les œuvres de Tomás Saraceno (1973-) réalisées en collaboration avec des araignées occupent une place centrale dans notre réflexion (nous en avons déjà donné une longue étude[84]). Pour cette raison, nous présentons le tryptique Semi-social solitary mapping of GC 26161 (2020), réalisé par un septuor d’araignées Cyrtophora citricola (pendant trois semaines) et un trio de Nephila senegalensis (pendant quatre semaines). En s’intéressant au son produit par les vibrations de l’air sur un fil (Particular Matter(s): Jam Session, 2018) l’artiste argentin rejoint le cœur du travail de Céleste Boursier-Mougenot (1961-) dont différentes installations font musique de l’interaction d’objets (bol de porcelaine, ventilateur, batterie…) avec différents éléments extérieurs (des mouvements de l’eau aux rayons cosmiques…).
From Here to Ear (1999-2009) de Céleste Boursier-Mougenot confie à des oiseaux la part finale de création de l’installation. En faisant vibrer les cordes de la basse et des guitares Gibson, ils deviennent les interprètes d’une partition ouverte – peut-être celle de 4’33″ de John Cage qu’ils complètent eux-aussi. Cette « musique du vivant » doit aux vols des dizaines de diamants mandarins mais aussi aux visiteurs qui ne peuvent pas ne pas interagir avec eux, par leurs déplacements ou leur seul effet de présence. Ariane Michel (1973-) se demande : qu’en est-il de leur du point de vue (Les oiseaux de Céleste, 2008) ? Sa caméra se focalise sur eux. En se heurtant à leur altérité on songe à des formes d’intelligences et de sensibilités qui nous échapperont toujours. Nos outils et nos concepts nous permettent de proposer des interprétations utiles à l’action mais en aucun cas de présumer d’une vérité. Restent l’accueil, l’émerveillement… C’est peut-être ça le plus important dans l’image : se rapprocher signifie sortir de soi et laisser être. La vidéo rappelle cette question cruciale pour toute démarche de perspective symbiotique (et qu’il faut poser ici dans sa généralité) : quelle est la position juste ? Ce « juste » sur la piste duquel nous entraîne Aldo Leopold dans son Almanach d’un comté des sables[85].
À poursuivre un tel chemin, il se pourrait que cohabiter se fasse synonyme de danser. Nous avons évoqué le concept de concordanse (association de concorde et de danse) dont nous avons vu l’intuition première dans l’invention du contact improvisation par Steve Paxton et son cercle au début des années 1970 à New York[86]. Susan Jacobs (1977-) avec sa série de performances Snake drawings 2012 a dû apprendre des serpents et développer une pratique gestuelle qui épouse la logique de leurs mouvements. Reste une empreinte dans la terre, dessin, sculpture et des vidéos conservant la mémoire du processus. Luc Petton (1956-) avec sa Compagnie Le Guetteur, a chorégraphié différentes pièces avec des animaux (avec signifiant leur participation active dans la décision du « dessein » ou de la « partition » chorégraphique même). La confidence des oiseaux (2004) réunit sur scène quatre danseurs et trente oiseaux (calopsittes, corneilles, geais, étourneaux, perruches de pennant et pies), pour Swan (2012), ce sont quatre cygnes, pour Light bird (2015) des grues de Mandchouries, etc.
Tout part d’une intuition, un appel intérieur, peut-être, que Luc Petton ressent : se rapprocher de tel ou tel animal pour créer. Rien de préalablement écrit. Pour les pièces avec des oiseaux l’artiste initie un processus d’imprégnation au sens de l’éthologue Konrad Lorenz[87]. Oiseaux et danseurs « grandissent » ensemble au fil des mois. Les grandes lignes de la chorégraphie naissent des relations qui se tissent – les pièces, mouvantes, évoluent tous les soirs dans le biotope de la scène. Luc Petton parle d’une « écriture spontanée », « écriture ouverte »[88]. Tout repose sur la qualité d’écoute, d’espace, de « laisser être » que les danseurs auront su instaurer. Il faut « rentrer dans le temps de l’oiseau » et devenir l’intime du registre de ses réactions. La musique est composée en direct, en fonction de ce qui se joue sur la scène – moments de grâce quand les animaux anticipent, détectent les repères avant même leurs apparitions. Dans un autre registre (mais avec combien de points de rencontre qu’il serait bon de creuser…), Joseph Beuys (1921-1986) a exploré la voie d’une réflexion sur le sauvage et son inscription profonde dans l’homme avec son action I Like America and America Likes Me (1974). Œuvre en perspective symbiotique elle aussi, son objectif n’était pas une chorégraphie, mais, notamment, d’entrer en sympathie avec le coyote, de démontrer l’existence d’un plan de connexion spirituel et d’une communion physique et sociale possible.
La perspective symbiotique demande de sortir de soi. Il ne s’agit plus de creuser son hypothétique génie personnel (l’artiste en mégalomane appartient résolument à la modernité) mais de grandir dans la connaissance d’un milieu, de s’y élargir, d’y identifier des partenaires potentiels. Les forces en présence sont de tous ordres. Animales encore avec Jérémy Gobé (1986-) qui développe un travail à la fois scientifique et artistique sur le corail. L’émerveillement esthétique compte autant pour lui que la capacité de ses œuvres à contribuer à la restauration des récifs. Il dépose des brevets sur ses inventions, collabore avec des experts et des institutions pour tester ses expérimentations, réalise des immersions à la Guadeloupe et expose dans des musées. Grâce à un partenariat avec Aquarium de Paris CineAqua, il immerge un icosaèdre (écho aux polyèdres que Platon dans le Timée associe aux quatre constituants physiques simples : feu, air, eau, terre[89]), filme pendant plusieurs mois la formation de coraux sur sa surface et, pour restitution de l’œuvre, projette les images qui s’anamorphosent sur un solide vierge accroché au mur Corail Artefact / CCA1 – Immersion 2 (2023).
Chloé Jeanne (1994-), comme beaucoup d’artistes et de designers, explore les propriétés des champignons, plus particulièrement le mycélium (« l’ensemble de filaments plus ou moins ramifiés qui forment sa partie végétative »[90]). Une sculpture naît d’une moquette enroulée que le champignon « digère » et informe de son propre développement (Prototaxites (enroulés), 2021), un dessin apparaît par le rejet de spores sur une feuille noire le temps d’une nuit (Spores, 2021). Sollicitant le sens de l’odorat, l’artiste installe deux panneaux face à face porteurs chacun d’odeurs distinctes (Capsules olfactives, 2023). Il n’y a peut-être pas plus symbiotique que le parfum que l’on déplace, ingère par la respiration, emporte avec soi et pas plus ouvert à la composition tant il est immanquablement mélange et interrogation quant à sa teneur et à son imaginaire…
La longue pratique d’Anne Marie Maes avec les micro-organismes lui permet de faire appel à leurs cycles de croissance, de s’inscrire dans leurs réseaux de communication, de tirer parti de leurs évolutions. Ainsi de Bacterial Mantarey (2018), un biofilm que l’artiste qualifie d’« association de micro-organismes dans laquelle les cellules microbiennes adhèrent les unes aux autres sur une surface vivante ou non vivante. La formation d’un biofilm est un comportement de groupe coopératif. Les bactéries qui le composent communiquent par quorum sensing, un système de stimuli et de réponses » qui leur permet de se coordonner et de s’adapter à leur environnement[91].
Parler d’agentivité pose question et c’est l’un des intérêts des œuvres qui adoptent la perspective symbiotique. Derrière ce terme neutre se déploie toute la diversité du réel animé. La pensée écologique ne cesse de se lancer dans l’exploration de tel et tel élan du vivant – et d’ailleurs, qu’est-ce qui est vivant, qu’est-ce qui ne l’est pas (nous pensons que l’on devrait davantage utiliser le terme de mouvant plutôt que celui de vivant[92]) ? On découvre des intelligences rendant impossible toute définition arrêtée de la notion. On s’interroge sur la reconnaissance ou non de personnalité, d’intention. Les certitudes d’hier vacillent, nous ne sommes plus les seuls à faire histoire, plus les seuls à être des entités politiques. Notre vocabulaire et notre logique butent sur des altérités dont on réalise qu’elles resteront à jamais hors de portée de la science comme de toute intelligibilité humaine. Il faut accueillir la différence pour ce qu’elle est plutôt qu’en anticiper la nature dans des cadres préconçus. C’est toute une manière de penser, agir, habiter qui se trouve remise à plat.
Les artistes investissent des domaines d’être, de conscience et d’élan extrêmement variés. De la collaboration avec des animaux on passe à des interactions avec des minéraux. On a évoqué le courant de la « nouvelle matérialité ». Toute matière ne se vaut pas, non seulement au sens chimique ou géologique du terme, mais aussi quant à sa trajectoire interne. En concassant des pierres ferrugineuses Andy Goldsworthy (1956-) rappelle que le solide n’existe pas. Le « tout s’écoule » héraclitéen se vérifie partout[93]. Il y a mouvements et pour chacun, une signature et un mode relationnel particuliers. Suivant la piste de John Cage on peut se demander : quelle est la « voix » de la pierre, cette pierre-là bien précise ? L’artiste écossais ne répond pas par le son : après avoir réduit la roche en poudre, l’avoir déposée dans un trou d’eau sur la côte, il la dépose sur une feuille de papier. Qu’a-t-elle à nous montrer ? L’œuvre en diptyque Red stone sea (1993) est œuvre de perspective symbiotique en ce qu’elle conjugue les actions de l’artiste à celles de la pierre (pierre et eau pourrait-on préciser). Il signe la photo, mais le dessin ? Une pierre autrice, est-ce si fantaisiste que ça à considérer la tradition des « pierres imagées » en Occident comme on Orient ? On se contentera de renvoyer à la collection de Roger Caillois[94], à l’usage des pierres brutes chez les Dogons et bien entendu aux rochers de lettrés et pierres de rêves dans la culture chinoise[95].
Edith Dekyndt (1960-) travaille elle aussi (et comme Anne Marie Maes ou Andy Goldsworthy) avec ce qu’il convient d’appeler « les agentivités subtiles » en raison de leur apparente invisibilité, du presque rien (à nos sens et à notre entendement) de leurs mouvements. Le sang (Berlin Spring Pieces 09, 2015), le cuivre (Ciprium (oxidised), 2013), le café pour Laboratory 01 – Remake – Yellow n°1, 2019… Loin d’un minimalisme purement humain qui se contenterait des bandes verticales du tissu, l’artiste confie la complétion du motif au café qui, par capillarité, se diffuse (peint avec un talent que combien rêveraient de posséder ?). Le potentiel créatif de ce qui nous entoure, les ressources poétiques (au sens de fabrication de mondes) de notre environnement apparaissent sans limite. À l’instar d’Yves Le Fur, nous pensons qu’il convient de dépasser la tentation d’analogie entre art humain et « art de la nature ». La nature possède des facultés créatrices sui generis, regardons-les comme telles. Attachons-nous à considérer que l’on se situe peut-être dans l’élan de « mêmes sources plastiques », face à « une mémoire obscure » ou tout simplement à « un immense catalogue de solutions plastiques », à l’écoute peut-être du « chant sacré endormi en toutes choses » comme le pensait le poète romantique Joachim von Eichendorff (1788-1857) ou, comme pour certains lettrés chinois, sur la voie de « l’inaccessible point zéro ». En tout état de cause, ces créations révèlent l’existence de « résonnances », mystérieuses, inexplicables, mais bel et bien présentes et que la raison sensible de l’homme de la Renaissance sauvage ne peut pas ne pas prendre en considération[96].
Clément Borderie (1960-) s’ouvre à l’échelle de ces résonnances en sollicitant l’agentivité non pas d’un élément, mais de milieux. Une « matrice » (structure porteuse d’une toile de différents formats) s’offre comme réceptacle des manifestations plurielles qu’il vient y attendre. Tout commence par une marche. Le principal outil de l’artiste : une sensibilité qu’il a rendue holistique par sa capacité à saisir la personnalité d’un espace. Il va choisir cet emplacement plutôt que tel autre, choisir le moment, choisir le type de matrice, l’installer. La rencontre du milieu avec la toile se noue comme une rencontre de personne à personne : dans une certaine épaisseur de temps. On ne connaît pas quelqu’un d’emblée, on le connaît d’avoir su l’accueillir, le laisser être, mieux, le laisser s’exprimer au sens étymologique de « sortir de soi ». C’est peut-être cela, oui, avec Clément Borderie : le milieu « sort de sa carapace » (celle de nos perceptions limitées), livre une intimité secrète que la discrétion de la matrice, jusqu’en son revers (sa délicatesse), capte au fil des jours. La vie passe pendant toute la durée de son exposition dehors. L’œuvre est le témoin de vies sensibles à côté des appareils de mesure qui, eux, pourront expliquer tel phénomène météorologique, le rapport du degré d’hygrométrie et d’ensoleillement avec le niveau de moisissure constaté, etc.
Que dire quand Marion Laval-Jeantet se fait injecter du sang de cheval (Art Orienté Objet, Que le cheval vive en moi, 2011) ? La performance est connue : comme dans une sorte de rituel, l’artiste chemine aux côtés du cheval, puis s’allonge. Benoît Mangin a préparé les instruments de la transfusion sanguine. Au plan physique, l’artiste offre à l’animal son corps dans ce qu’il a de plus emblématiquement vital : son réseau sanguin. Selon la terminologie de la perspective symbiotique, il se fait zone de création. Mais l’œuvre et la perspective elle-même vont ici plus loin. C’est d’une opération chamanique dont il est question et la fusion des deux élans vitaux se joue surtout à un niveau spirituel. Au plus extrême, l’artiste souhaite se rapprocher d’un autre devenir animal. Et dans le mélange des sangs (car c’est un mélange qui envahit son corps et non pas uniquement le sang du cheval qui prendrait possession d’elle) qu’est-ce qui nous est dit de la vie, peut-être, que nous, enfermés dans notre peau, ne pourrions pas savoir ? La performance brise le point de vue de l’homme et en cherche, dans l’hybride, un plus large. La symbiose ouvre le champ. Elle ne fait pas prendre la place de l’autre (on ne peut prendre la place de personne), elle enrichit les possibilités de compréhension, d’empathie, d’action, de devenir.
Avec Le jardin des conjectures (2023) Laurent Derobert (1974-) introduit à ce qu’on pourrait appeler non pas l’au-delà mais la dimension alchimique des mathématiques (exploration tout en résonnances avec les mathématiques existentielles qu’il travaille depuis de nombreuses années[97]). Des propos du physicien Georges Charpak se mêlent dans sa tête avec les expérimentations que le mathématicien Alexandre Grothendieck a menées dans les dernières années de sa vie – préparats et autres distillations. Et si des formes de mémoire insoupçonnées nous entouraient, mieux : et si des fruits de relations ignorées ou sous-évaluées se trouvaient là, à notre portée, ne demandant que l’inauguration d’une qualité d’attention adéquate pour se donner à nous ? À quoi s’intéresse donc le Jardin des conjectures ? Aux longues conversations d’Alexandre Grothendieck avec le pommier, le rosier et la vigne de son jardin. Ultime fantaisie d’un mathématicien hors pair devenu fou ou aboutissement d’un homme qui a découvert ce que nous mettrons des décennies ou des siècles à comprendre ? Une recherche approfondie de sa vie et de ses écrits conduit Laurent Derobert à l’hypothèse que les graines de ces plantes portent la trace de ces échanges. Produits de deux intelligences et sensibilités qui se sont côtoyées (aimées et « contaminées » ?) des années durant, ces graines ont quelque chose à nous apprendre : rien à voir, peut-être, avec une connaissance de chiffres mais tout à voir avec une connaissance de fréquenter et d’habiter le monde – une poétique. Et si le mathématicien avait eu l’intuition que se situaient là l’espace, le lieu au seuil duquel les mathématiques, dans leurs limitations indépassables, laissaient tout homme ? Le lieu du Mystère[98] qui, à le prendre en compte, permet d’atteindre l’unité, la complétude du monde ?
Si l’horizon ouvert par Laurent Derobert nous passionne, certains artistes rappellent opportunément à quel point symbiose et hybridation sont aussi devenues les terrains de fantasmes et de constructions spéculatives à la mesure du mal de nature dont souffre notre siècle. Ainsi de David Christoffel (1976-) qui nous présente au vampirototis, « espèce du genre octopus en même temps que sa classification ne fait pas l’unanimité parmi les zoologues ». Son poème concret (sonore et visuel) Vampyro qui donc (2023) évoque la symbiose de nos projections avec le réel (mais quel réel, tant à vouloir le travestir en théorie il s’éloigne ? Ou : à force de se projeter dans l’autre, on finit par le dissoudre). Symbiose ne signifie anthropomorphisme mais d’abord accueil, c’est-à-dire déprise de l’humain qui, cessant de canaliser par la pensée, laisse venir l’autre et advenir la seule parole possible de l’alliance : celle du poème (qu’il soit texte ou œuvre d’art). L’effort scientifique et, plus largement, de connaissance, ne reflue pas, bien au contraire, mais se voit doublé d’une mise en garde et d’un adjoint. Une mise en garde quand il tend vers la maîtrise ou la colonisation d’un objet par nos concepts (trop) humains ; un adjoint dans l’humilité indépassable qui nous enjoint de chercher à composer avec l’altérité reçue telle qu’elle se présente d’elle-même.
L’inflation de discours louant comme une valeur sans limite la symbiose ou l’hybridation gagnerait certainement à être analysée à la lumière de la notion de « société liquide » du sociologue Zygmunt Bauman décrivant par là le diktat (à l’anthropocentrisme total) des absolus de flexibilité, révocabilité, fluidité, déliaison qui ringardisent le durable, la pérennité, l’acquis, le solide[99].
Yang Zhichao (1963-) élève la question sur le terrain de la politique, du biopouvoir, de l’éthique et des libertés individuelles quand il se fait greffer, par opération chirurgicale, deux pousses d’herbe dans le dos (Planting grass, 2000). Son corps est en souffrance, il finit par rejeter les greffons. Le vivant n’est pas malléable à l’envi, il possède une intégrité et une destination intrinsèques. La perspective symbiotique révèle ici la face d’une symbiose qui peut passer dictature étatique, économique ou idéologique. Alors, l’unité d’un individu avec son corps n’est plus envisagée sous un rapport biologique mais culturel. Renouant avec la séparation de l’âme et du corps de tradition platonicienne, l’individu considère son corps-matière en surplomb (de l’extérieur), dans un rapport de sujet à objet. Cet objet, simple agrégat que la culture seule nomme et fait être, devient intégralement façonnable au titre de n’importe quelle justification reconnue comme telle par une instance « faisant autorité ». À la faveur d’un séparatisme de cet ordre, un pouvoir peut prendre possession d’un corps (par exemple, au nom du bien commun) tout en prétendant ne pas porter atteinte à l’individu lui-même. La symbiose nécessaire du corps avec la nature (dont il fait partie) est niée au profit de la symbiose nécessaire du corps avec la culture, le politique, l’état de la science, l’idéologie dominante, etc. En se faisant volontairement violence, en se faisant symboliquement le mutant d’un pouvoir aux prérogatives réformatrices totales, Yang Zhichao dénonce le risque d’atteinte aux libertés et à la vie même que fait courir un régime politique, économique ou idélologique sur sa population (ou population de fait si l’on songe aux pouvoirs coercitifs que possèdent aujourd’hui un grand nombre d’organisations non plus sur les citoyens d’un État, mais sur les membres de leurs zones d’influence)[100].
On le comprend, en se transposant sous des modalités extrêmement variées la perspective symbiotique touche à peu près à l’ensemble des questions de fond que le bouleversement de civilisation actuel soulève. Les agentivités sollicitées par les artistes sont diverses. Elles vont jusqu’à interroger les productions humaines, fussent-elles « immatérielles » comme les bases de données. Que sont ces blocs de data dont on ressent bien, en effet, qu’ils acquièrent des formes de potentialité d’action autonome ? David Bihanic (1977-) révèle leur capacité créatrice dans son dispositif Remastering Architecture, 2023. Le code informatique devient le nœud d’une symbiose entre des impulsions humaines : les images d’architecture et celles de leurs « banques » – sorte de biotopes virtuels.
Les artistes Valérie Mréjen (1969-), Michel Blazy (1966-) et Victoire Inchauspé (1998-) devraient également faire partie de l’exposition – à l’heure où nous achevons l’écriture de ces lignes pour publication le choix n’est pas encore arrêté sur telle ou telle de leurs œuvres.
Dire que la perspective symbiotique est la perspective de la Renaissance sauvage ne signifie pas pour autant qu’elle a, en tant qu’outil, des partis pris déterminés. Aussi vrai que l’esprit de la perspective linéaire a pu accoucher d’œuvres aussi différentes qu’une nativité, le couronnement d’un prince, une assemblée révolutionnaire, etc., le mécanisme de la perspective symbiotique peut être utilisé pour des créations les plus désastreuses au plan écologique comme les plus vertueuses. En tant qu’outil elle reçoit son usage et sa qualification de ceux qui la manient. Si elle incarne la possibilité d’un devenir durable au sens écologique, c’est à la condition de se situer dans le champ de la pensée écologique actuelle dont nous nommons la dynamique d’ensemble, au moment de l’histoire où nous nous trouvons, Renaissance sauvage.
Images : légendes et crédits
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Paroi décorée. Cubiculum (chambre), Villa de Fannius Synistor, Boscoreale, ca. 50-40 av. J.-C., fresque. Coll. The Metropolitan Museum, New York. Rogers Fund, 1903. Inv. 03.14.13a–g. OA.
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Attribué à un membre de la famille Sangallo (Florence), Typologie de temples : amphiprostyle, (illustration, Vitruve, Livre 3, Chapitre 2, n°4), 1530-45, dessin, crayon et encre brun, 15 x 26,5 cm. The Metropolitan Museum, New York. Purchase, Bequest of W. Gedney Beatty, by exchange, 2008. Inv. 2008.105.7. OA.
Clément Borderie, Toile produite par la matrice « Meuse » automne/hiver 2015-2016, Ivry-sur-Seine, toile de coton brut, 100 x 100 cm, Photo : Paul Nicoué. Galerie Jousse Entreprise, Paris.
Ariane Michel, Les oiseaux de Céleste, 2008, vidéo [à partir de l’œuvre de Céleste Boursier-Mougenot From here to ear, installation, 1999-2009].
Yang Zhichao, Planting grass, 2000, performance.
Ruinart a soutenu les artistes Chloé Jeanne et Jérémy Gobé dans le cadre de son mécénat et a passé une commande artistique à Tomás Saraceno en 2021.
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[1] Et, en version anglaise revue et augmentée : Guillaume Logé, Wild Renaissance. New Paradigms in Art, Ecology and Philosophy, trad. C. Penwarden & K. Poston, Bristol, Intellect, 2024.
[2] Dominique Bourg, « Les sentiers de l’incertitude » [à paraître], 2024.
[3] « Un paradigme est une matrice collective qui encadre nos actions et pensées. […] Un paradigme n’est pas un ensemble d’idées claires et distinctes, mais plutôt une impulsion à agir et penser […]. [Il] ne se limite pas à la seule pensée spéculative, mais imprime notre rapport au monde de façon générale et nos sensibilités collectives. » : Dominique Bourg et Sophie Swaton, Primauté du vivant. Essai sur le pensable, Paris, Puf, 2021, p.69 et 201. Les auteurs analysent l’effritement à l’œuvre du paradigme moderne et son dépassement en « un nouveau paradigme en gestation porteur de la primauté du vivant » (p.18).
[4] « Si – en dehors de la mathématique, dont elle était, comme l’astronomie ou l’harmonie, une branche reconnue – il fallait à toute force préciser le lieu d’insertion de cette optique dans la théorie antique de la nature, il faudrait plutôt la tenir pour un complément quantitatif à un chapitre de la théorie de l’âme, celui qui traite de la sensation et plus particulièrement de la sensation visuelle. Il s’agirait donc d’une partie des mathématiques, appliquées à ce qu’on appelait alors psychologie. » Avant le renversement opéré par Alhazen (XIe siècle) on pensait que le regard prenait sa source dans un flux visuel partant de l’œil et allant « palper » le dehors. « Le flux visuel partageait la nature de l’âme, qu’il soit comme le voulait Platon parent du feu, ou qu’il soit selon la doctrine des stoïciens composé d’un principe vital, le pneuma. » : Gérard Simon, Le Regard, l’être et l’apparence dans l’optique de l’Antiquité, Paris, Seuil, 1988 et Gérard Simon, Archéologie de la vision. L’optique, le corps, la peinture, Paris, Seuil, 2004, p.7, 39 et 68.
[5] Sur ce sujet, voir notamment Jacques Le Goff, Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches ?, Paris, Seuil, 2014 et Johan Huizinga, Le problème de la Renaissance, trad. E. Schneegans, Madrid, Casimiro, 2015.
[6] Jean-Marie Le Gall, Défense et illustration de la Renaissance, Paris, Puf, 2018 (p.361 pour la citation).
[7] N’oublions pas que pour de nombreuses cultures, à différentes époques, ce n’est pas la recherche des apparences qui prime mais une perfection d’ordre divin. « Les images matérielles sont alors des reflets d’une image intérieure vécue par l’imagier ; elles sont atteintes par l’ascèse, par une identification aussi complète que possible à une idée, un archétype , un exemple conçu par la divinité dans sa perfection immuable. » : Albert Flocon, René Taton, La perspective, Paris, Puf, 7ème éd., 2005, p.25.
[8] Ibid., p.14.
[9] La question de savoir si la scénographie intégrait véritablement une méthode perspectiviste concertée et pensée comme telle reste largement ouverte. Les preuves sont absentes et les interprétations des deux courts passages du De architectura (ca. 25. Av. J.C.) de Vitruve consacrés à la représentation des objets tridimensionnels ne permettent pas de trancher. Pour autant, John White croit possible de dire que l’Antiquité, entre le Ve et le Ier siècle av. J.-C. possédait ce que nous appellerions une « conscience perspectiviste », d’ailleurs dénoncée par Platon en ce qu’elle « détruisait la véritable dimension des choses ». Cf. John White, Naissance et renaissance de l’espace pictural [1987], trad. C. Fraixe, Paris, Adam Biro, 1992, p.215 et 287 ; Erwin Panofsky, La Perspective comme forme symbolique, Paris, Les éditions de Minuit, 1975, p.179. Sur la peinture de céramique, cf. John White, Naissance et renaissance…, op. cit., chap. XVI et Albert Flocon, René Taton, La perspective, op. cit., p.20.
[10] Ibid., p.273 sq. ; Erwin Panofsky, Idea, Contribution à l’histoire du concept de l’ancienne théorie de l’art (1924), trad. Henri Joly, Paris, NRF Gallimard, 1983, p.21; Erwin Panofsky, La Perspective comme…, op. cit., p.68 sq. ; John White, « Developments in Renaissance Perspective I », dans Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Londres, The Warburg Institute, 1949, vol.12, p.58-79, et 1951, vol.14, n°1/2, p.42-69 ; G.B. Levy, « The Greek Discovery of Perspective : its influence on Renaissance and Modern Art », dans Journal of the Royal Institute of British Architects, s.l., 1942-43, p.51-57 ; Marisa Dalai Emiliani, « La question de la perspective » (1961), dans Erwin Panofsky, La Perspective…, op. cit., p.23.
[11] Philippe Hamou (éd.), La vision perspective (1435-1740). L’art et la science du regard, de la Renaissance à l’âge classique, Paris, Payot & Rivages, 1995, p.29.
[12] « L’image perspective nous semble si naturellement correspondre à la perception visuelle que nous ne pensons pas qu’il y a dans cette identification une idée déterminée de la vision qui s’est peu à peu construite et dont l’émergence est obscure. Que la peinture soit vision, ouverture d’une scène visible, que la vision soit « peinture » ou, pour mieux dire, « représentation » : ces idées semblent aujourd’hui aller de soi, dans une sorte d’intemporalité confortable, et on ignore le plus souvent qu’elles nous sont parvenues au terme d’une élaboration conceptuelle qui est un legs de la Renaissance et de l’âge classique » : Ibid., p.11.
[13] Cf. Dominique Raynaud, L’hypothèse d’Oxford. Essai sur les origines de la perspective, Paris, Puf, 1998 ; Philippe Hamou (éd.), La vision perspective…, op. cit. ; Hans Belting, Florence et Bagdad. Une histoire du regard entre Orient et Occident, trad. N. Ghermani et A. Rieber, Paris, Gallimard, 2012, p.42.
[14] La Renaissance a fleuri dans un contexte où la volonté était de forger une identité italienne forte suite à la période de grand schisme des années 1378-1417. D’où la recherche d’origines glorieuses dans l’Antiquité et un rejet des liens avec les Allemands, Français et Anglais du Moyen Âge gothique. Cf. Dominique Raynaud, L’hypothèse d’Oxford…, op. cit., p.205.
[15] Idem.
[16] Cf. Dominique Raynaud, Studies on Binocular Vision. Optics, Vision and Perspective from the thirteenth to the seventeenth Centuries, New York, Springer, Archimedes, 2016, chap.2, Pierre Francastel, Peinture et société : naissance et destruction d’un espace plastique. De la Renaissance au cubisme, Paris, Denoël, 1977 ; Hans Belting, Florence et Bagdad…, op. cit., p.176 ; Kristi Andersen, The Geometry of an Art. The History of the Mathematical Theory of Perspective from Alberti to Monge, New York, Springer, 2007, p.1 ; Kubovi Michael, The Psychology of Perspective and Renaissance Art, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 1986, p.17 ; Samuel Y.Edgerton, The Mirror, the Window and the Telescope : How Renaissance Linear Perspective Changed our Vision of the Universe, New York, Cornell University Press, 2009.
[17] Dominique Raynaud, L’hypothèse d’Oxford…, op. cit., p.85, 89 et 94 et Dominique Raynaud, Studies on Binocular Vision…., op. cit., chap.2.
[18] Dominique Raynaud, Studies on Binocular Vision…, op. cit., p.v.
[19] John White, Naissance et renaissance…, op. cit., p.215.
[20] La théorie d’Alhazen ne traite pas des images, elle est une « théorie de la vision qui étudie les lois de la lumière ». L’image est « mentale », elle se forme dans l’imagination, « à l’abri des sens » qui ne lui fournissent qu’une matière première. D’où une géométrie arabe qui « n’est donc pas liée à un regard humain mais possède une structure autonome qu’un spectateur occidental considère comme abstraite, précisément parce qu’il ne peut la rapporter à lui-même. » Dans l’islam, « la géométrie ne représente pas le monde en le reproduisant en image mais se constitue en forme symbolique en élevant les mathématiques au rang de loi cosmique. » : Hans Belting, Florence et Bagdad…, op. cit., p.43-49. Voir également Gérard Simon, Archéologie de la vision…, op. cit., p.76 et Dominique Raynaud, Optics and the rise of perspective: a study in network knowledge diffusion, Oxford, Bardwell Press, 2014.
[21] Dominique Raynaud, L’hypothèse d’Oxford…, op. cit.
[22] Dominique Raynaud, Optics and the rise…, op. cit. et Gérard Simon, Archéologie de la vision…, op. cit., p.167.
[23] Dominique Raynaud, idem et L’hypothèse d’Oxford…, op. cit.
[24] Pierre Francastel, Peinture et société…, op. cit.
[25] Preuve, s’il en faut, de l’importance manifeste du mythe chrétien au XVe siècle. Cf. Pierre Francastel, Peinture et société…, op. cit., p.117.
[26] « […] si la perspective fut développée à Oxford au sein de l’ordre franciscain, la marque des symboles propagés par l’institution fut incontestablement plus forte que celle de l’institution elle-même. La sécularisation de la perspective entre le XIIIe et le XVe siècle s’est traduite essentiellement par l’oubli de sa dimension symbolique ». Ibid., p.362. Voir aussi Samuel Y.Edgerton, The Mirror, the Window and the Telescope : How Renaissance Linear Perspective Changed our Vision of the Universe, New York, Cornell University Press, 2009.
[27] Expression qui se retrouve dans différents ouvrages dont Kubovi Michael, The Psychology of Perspective…, op. cit., p.1.
[28] Anthropocentrisme fort vs. anthropocentrisme faible, au sens donné par le philosophe Bryan Norton : Bryan G. Norton, “Environmental Ethics and Weak Anthropocentrism”, Environmental Ethics, vol.6, 1984 et Bryan G. Norton, Toward Unity Among Environmentalists, Oxford, Oxford University Press, 1991; Bryan G. Norton, Sustainability, A Philosophy of Adaptative Ecosystem Management, Chicago, The University of Chicago Press, 2005.
[29] Jean-Claude Margolin, « De l’espace anthropomorphique de la Renaissance à la poétique de l’espace selon Bachelard » et Lucien Braun, « Paracelse : l’homme comme nature » dans Jean-Jacques Wunenburger (dir.), La Renaissance ou l’invention d’un espace, Dijon, EUD – Editions Universitaires de Dijon, 2000, p.82, 89 et 162.
[30] L’autrice montre que la Renaissance est, historiquement, le point de départ de transformation des rapports à la nature et aux femmes, le moment de développement d’une forme de capitalisme, le début d’une approche mécaniste du monde physique : Carolyn Merchant, The Death of Nature: Women, Ecology and the Scientific Revolution, New York, Harper & Row ,1980.
[31] Pierre Francastel, Peinture et société…, op. cit., p.12.
[32] Nous entendons bien sûr la notion introduite par Nicolas Bourriaud dans Esthétique relationnelle, Dijon, Les presses du réel, 1998.
[33] À mettre en parallèle de Guillaume Logé, Renaissance sauvage. L’art de l’Anthropocène, Paris, Puf, 2019, chapitre III. « La pré-Renaissance sauvage (1860‑2019) : l’habitabilité du monde en question ».
[34] Hans Belting, Florence et Bagdad…, op. cit., p.36.
[35] Nous ne visons qu’une « partie » de l’art abstrait et non-figuratif, beaucoup d’artistes ne rentrant absolument pas dans la suite de nos propos, à l’instar d’un Bram van Velde (1895-1981) déclarant : « La plupart [des peintres] veulent dominer. Ils redoutent le pire. On ne peut rien maîtriser du tout » : Charles Juliet, Rencontres avec Bram van Velde, Montpellier, Fata Morgana, 1978, p.28.
[36] Jean-Luc Marion, La croisée du visible, Paris, Puf, 1996, p.42.
[37] Pour un panorama de l’usage du hasard en art, voir Guillaume Theulière (dir.), Par hasard, cat. exp. (Musée de la Vieille Charité, Marseille, 18 oct. 2019-23 fev. 2020), Marseille, Paris, RMNGP-Ville de Marseille, 2019 et Sarah Troche, Le hasard comme méthode. Figures de l’aléa dans l’art du XXe siècle, Rennes, PUR, 2015. Signalons également Gilles Clément, Traité succinct de l’art involontaire, Paris, Sens&Tonka, 2014.
[38] Cf. Sarah Troche, Le hasard comme méthode, op. cit., p.281.
[39] « Je voulais trouver un autre ordre, une autre valeur de l’homme dans la nature. Il ne devait plus être la mesure de toute chose, ni tout rapporter à sa mesure, mais au contraire toutes choses et l’homme devaient être comme la nature, sans mesure ». Jean Arp, « On my way » [1948], Jours effeuillés. Poèmes, essais, souvenirs, 1920-1965, Paris, Gallimard, 1966, p.311.
[40] Ibid., p.317.
[41] « […] Ce champ du design opère à l’intersection de la biologie, des sciences des matériaux, de l’ingénierie et des sciences informatiques, avec un accent sur la fabrication et la conception connectées à l’environnement » : Neri Oxman, « Material ecology », dans Rivka Oxman, Robert Oxman (dir.), Theories of the Digital in Architecture, London, Routledge, Taylor and Francis, 2014.
[42] Expression introduite par le philosophe Manuel de Landa. Cf. Neil Leach, « Digital morphogenesis », Architectural Design, 79/1, p.32-37, Jan. 2009. Sur ces sujets, voir Paola Antonelli (ed.), Neri Oxman. Material Ecology. New York, The MoMA, 2020 ; Guillaume Logé, Renaissance sauvage, op. cit. et Guillaume Logé, Wild Renaissance…, op. cit.
[43] Sur ce sujet, cf. Guillaume Logé, Nature sensible. En marchant avec Tal Coat, [à paraître], 2024 et Renaissance sauvage…, op. cit., p.94 et 174.
[44] Nos développements s’appuient sur les études de William A. Hammond, « Hylozoism : A Chapter in the Early History of Science », The Philosophical Review (Duke University Press), Jul. 1895, vol.4, n°4, p.394-406 ; Danie Strauss, « Hylozoim and Hylomorphism : a Lasting Legacy of Greek Philosophy », Phronimon, vol. 15, issue 1, Jan. 2014, p.32-45 ; Andrew Pickering, « Being in an environment: a performative perspective », Natures Sciences Sociétés, 2013/1 (Vol. 21), p.77-83.
[45] Dérivé de l’anglais agency. Andrew Pickering, op. cit.
[46] Jean Dubuffet, cité dans Guillaume Theulière (dir.), Par hasard, op. cit., p.164.
[47] Jean Dubuffet cité dans Marianne Jakobi, « Nommer la forme et l’informe. La titraison comme genèse dans l’œuvre de Jean Dubuffet », Genesis (Manuscrits-Recherche-Invention), 2004, 24, p.92.
[48] John Cage interviewé par Richard Kostelanetz dans Conversations avec John Cage, trad. M. Dachy, Paris, Syrtes, 2000, p.136.
[49] John Cage cité par Sarah Troche dans Le hasard comme méthode…, op. cit., p.325. À noter que Sarah Troche est réservée sur une interprétation de l’œuvre qui prendrait John Cage aux mots.
[50] Karlheinz Stockhausen cité par idem, p.326.
[51] Umberto Eco, L’œuvre ouverte [1962], trad. C. Roux de Bézieux et A. Boucourechliev, Paris, Seuil, 1965.
[52] Pierre Restany, Claude Gilli. La poésie au ras du sol, Paris, Galilée, 1982, p.79.
[53] Où l’on ne peut se passer d’entendre un écho avec la théorie ésotérique des Rose-Croix qu’il étudie depuis plusieurs années notamment au travers de l’ouvrage Cosmogonie (1947) de Max Heindel. Cf. Nicolas Charlet, « Les quatre livres d’Yves Klein, fondement existentiel d’une écriture silencieuse », Histoire de l’art, 1999, 44, p. 109-121.
[54] Yves Klein, extrait du « Manifeste de l’Hôtel Chelsea », 1961, repris dans Yves Klein, Le dépassement de la problématique de l’art et autres écrits, Paris, ENSBA, 2003, p.291 et 301.
[55] Voir Philippe Siauve (dir.), Yves Klein. Les éléments et les couleurs, Paris, Arteos, 2020.
[56] Yves Klein, « Le manifeste de l’Hôtel Chelsea », op. cit.
[57] Nicolas Charlet parle d’un « syncrétisme religieux sur fond de culture chrétienne [qui] empruntait les chemins de l’occultisme, de la piété populaire, du bouddhisme et du taoisme » : Nicolas Charlet, « Les quatre livres… », art. cit., p.109.
[58] Dans son essai, Nicolas Bourriaud commence par se demander quel est le problème auquel les œuvres de l’époque s’attaquent ? L’un des enjeux fondamentaux lui apparaît comme étant la possibilité de modes de relations humaines et existentielles libres, non codées, non encadrées, non tarifées, dans cette phase économique ultime qui est celle de la marchandisation généralisée de l’existence. Dans ce contexte, une partie de la création artistique change de préoccupation : elle passe d’une fonction de représentation à une fonction de génération concrète (« matérialiste ») de rapports (au monde et aux autres). L’espace de l’art n’est plus un espace symbolique à part, coupé du monde. L’enjeu n’est plus de produire une image de plus, mais d’aménager un espace et un temps d’expérience relationnelle. D’où son esthétique relationnelle qu’il synthétise en ces termes : « Théorie esthétique consistant à juger les œuvres d’art en fonction des relations interhumaines qu’elles figurent, produisent ou suscitent. » Les artistes sont, entre autres, Rirkrit Tiravanija (1961-), Dominique Gonzalez-Foerster (1965-), Philippe Parreno (1964-), Vanessa Beecroft (1969-), Maurizio Cattelan, Jes Brinch (1966-), Henrik Plenge Jakobsen (1967-), Christine Hill (1968-), Carsten Höller (1961-), Noritoshi Hirakawa (1960-), ou encore Pierre Huyghe (1962-). Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, Dijon, Les presses du réel, 2001. À quoi il faut ajouter Postproduction, La culture comme scénario : comment l’art reprogramme le monde contemporain, Dijon, Les Presses du Réel, 2003.
[59] « Le rôle des diplomates envers l’animal n’est pas de les faire ventriloquer, mais d’isoler des formes de langage commun ; non pas expressifs (que veulent-ils réclamer ?), mais impressifs (quels messages peut-on faire passer ?)… » : Baptiste Morizot, Les Diplomates, Cohabiter avec les loups sur une autre carte du vivant, Paris, Wildproject (Domaine sauvage), 2016, p.120.
[60] Jean-Luc Vilmouth, cité dans Dominique Gonzalez-Foerster, Ange Leccia, Jean-Luc Vilmouth, Paris, Flammarion-CNAP, 2017, p.87.
[61] Peut-être parce qu’il suscite des esthétiques auxquelles le public et les critiques ne sont pas habitués, qu’il n’est pas toujours facilement « exposable », qu’il n’est pas très « appétissant » ni très « collectionnable » pour le marché, et peut-être parce qu’il se situe sur le terrain de peurs profondes ou de problématiques que certains préfèrent éviter, le bio art souffre encore d’une certaine mise à l’écart. Ce qu’il y a de meilleur dans la diversité (inégale) des productions favorise un regard critique sur les manipulations auxquelles l’homme se livre sur le vivant. Comment les ignorer aux stades scientifique, technologique, économique et politique où l’on se trouve ? Avec ces artistes, c’est une traversée de nombreux sujets écologiques de fond qui s’offrent à notre appréciation. Les sciences de la vie font face à des défis de taille depuis la découverte de l’ADN en 1953 et la mise au point, entre 1972 et 1974, des techniques de recombination au fondement de nombreuses biotechnologies. Il est évidemment parfois assez inconfortable de s’attarder devant des œuvres qui imposent à notre conscience un pouvoir humain en partie hors de contrôle et assez embarrassé dans ses compromis face à une nature structurellement impossible à modéliser et riche d’un « savoir » dont l’épaisseur demeurera à jamais inaccessible (sur ce dernier sujet, voir Nicolas Bouleau, Ce que nature sait. La révolution combinatoire de la biologie et ses dangers, Paris, Puf, 2021).
[62] Se reporter à l’indispensable ouvrage de Nicolas Nouleau, Ce que nature sait…, op. cit.
[63] Cf. les trois acceptions du terme vérité dégagées par Dominique Raynaud. « Si l’on devait qualifier le type de vérités contenues dans les traités de perspective du XIIIe siècle, on observerait les trois formes concurrentes : vérités empiriques, logiques, éidétiques [intuitives]. S’il fallait caractériser celles de la fin du XVe siècle, ce ne serait plus que : vérités logico-empiriques. Tel est le sens de la bifurcation : une perte des vérités que seule l’intuition permet de connaître ». L’hypothèse d’Oxford…, op. cit., p.363-364.
[64] Hubert Damisch, L’Origine de la perspective, Paris, Flammarion (Idées et Recherches), 1987, p.406.
[65] Thierry Dufrêne (dir.), Pierre Francastel. L’hypothèse même de l’art, cat. expo., Paris, INHA (1er mars-6 mai 2010), Paris, INHA éd., 2010, p.5.
[66] Daniel Arasse, Léonard de Vinci [1997], Paris, Hazan, 2011, p.217 ; André Chastel, Léonard de Vinci, Traité de la peinture, Paris, André Chastel-Robert Klein, 1960, p.XX ; David Rosand, La Trace de l’artiste, Léonard et Titien, Paris, Gallimard (Art et Artistes), 1993, p.40.
[67] « Dans sa définition la plus formelle, l’historia est un agencement des parties (de corps, de personnages, de choses) doté de sens » : Jean-Louis Schefer, « L’histoire et la pyramide », dans Leon Battista Alberti, De Pictura De la Peinture] (1435), trad. J-L Schefer, Paris, Macula, 2014, p.I et note 9 p.125. Une représentation perspectiviste constitue un « système indépendant » qui « édifie, selon une loi interne et originale de production, un monde de sens particulier et indépendant, cohérent et clos » : Erwin Panofsky, La Perspective comme…, op. cit., p.79. Il s’agit de parvenir à une « unité aussi convaincante, indiscutable que celle de l’espace vécu » : Philippe Hamou (éd.), La vision perspective…, op. cit., p.34.
[68] Jean-Luc Marion, La croisée…, op. cit., p.30.
[69] Émile Bernard, Souvenirs sur Paul Cézanne et lettres, Paris, À la Rénovation Esthétique, 1921, p.86. « […] Tout le mal que Cézanne se donne n’a pas pour but de communiquer au spectateur l’illusion d’un monde à trois dimensions. Il crée plutôt une nouvelle réalité à l’échelle bidimensionnelle du tableau. Prendre conscience du caractère bidimensionnel du tableau, de la nouvelle « réalisation » de la nature, voilà ce qui compte uniquement pour lui. C’est pourquoi il lui importe tant d’éviter dans ses toiles la perspective linéaire traditionnelle qui procure l’illusion d’une profondeur à trois dimensions. Par ailleurs, une perspective linéaire utilisée correctement l’obligerait à représenter chaque objet dans la taille qui lui apparaît en perspective. Or, ce que veut Cézanne, c’est donner à chaque objet la dimension qu’il estime juste. » : Ulrike Becks-Malorny, Paul Cézanne (1939-1906). Le père de l’art moderne, Cologne, Taschen, 2005, p.48.
[70] Nous entendons ici réel et réalité au sens où le physicien Basarab Nicolescu les définit et les distingue. Le réel correspond à tout ce qui est. La réalité correspond à ce à quoi nos sens et nos instruments nous donnent accès. Cf. Basarab Nicolescu, Nous, la Particule et le Monde, Bruxelles, EME, 2012 et Qu’est-ce que la réalité ? Réflexions autour de l’œuvre de Stéphane Lupasco, Montréal, Liber, 2009.
[71] Ou aussi la nature des choses.
[72] Pierre Hadot, Le voile d’Isis. Essai sur l’histoire de l’idée de nature, Paris, Gallimard, Folio Essais, 2004, p.296-297.
[73] Pierre Francastel, Peinture et Société…, op. cit. ; Frédérick Antal, Florence et ses peintres. La peinture florentine et son environnement social (1300-1450), trad. A. Girod, Saint-Pierre-de-Salerne, Gérard Montfort éditeur, 1991 ; André Chastel, Art et humanisme au temps de Laurent le Magnifique, Paris, Puf, 1959 ; Michael Baxandall, L’œil du Quattrocento : l’usage de la peinture dans l’Italie de la Renaissance, Paris, Gallimard, 1985.
[74] Cf. le désir d’unité du philosophe pour Jean-François Lyotard : « Philosopher, c’est obéir pleinement au mouvement du désir, être compris en lui, et en même temps tenter de le comprendre sans sortir de son cours. », « Il y a besoin de philosopher parce que l’unité est perdue. L’origine de la philosophie c’est la perte de l’un, c’est la mort du sens. ». Jean-François Lyotard, conférences à la Sorbonne (oct.-nov. 1964), reprises dans Pourquoi philosopher ?, Paris, Puf (Travaux pratiques), 2012, p.41, 43.
[75] Hubert Damisch, L’Origine de la perspective, op. cit., p.15 et 16.
[76] Marisa Dalai Emiliani, « Perspective », Encyclopædia Universalis [en ligne].
[77] Gérard Simon, Le Regard, l’être et l’apparence dans l’optique de l’Antiquité, Paris, Seuil, 1988 et G, Simon, Archéologie de la vision. L’optique, le corps, la peinture, Paris, Seuil, 2004.
[78] À la Renaissance, l’humaniste peut-être le plus célèbre de Florence, Marsile Ficin, voit dans l’âme de l’homme, tierce essence (tertia essentia) « la copule, le lien, le nœud » de « ce monde qu’il a la charge de fédérer, d’unir et d’accomplir en l’offrant à Dieu » : Pierre Magnard (dir.), Marsile Ficin : Les Platonismes de la Renaissance, Paris, Vrin, 2001, p.7.
[79] Guillaume Logé, « L’œil chrysalide. Notes sur un voir écologique » dans Noémie Goudal, Guillaume Logé, Noémie Goudal, Percevoir, Paris, La Martinière, 2022.
[80] Michel Serres, Le contrat naturel [1990], nouvelle éd., Paris, Flammarion, Champs essais, 2020, p.205 sq.
[81] Ce que nous faisons dans Renaissance sauvage…, op. cit.
[82] Sur l’existence et la teneur de ces deux raisons, voir Guillaume Logé, Nature sensible…, op. cit.
[83] Cf. Hélène Guenin (dir.), Cosmogonie, au gré des éléments, cat. exp. (Nice, MAMAC, 9 juin-16 sept. 2018), Nice-Gand, MAMAC-Snoeck, 2018.
[84] Guillaume Logé, Renaissance sauvage…, op. cit., p.157.
[85] « Une chose est juste lorsqu’elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. Elle est injuste lorsqu’elle tend à l’inverse » : Aldo Leopold, Almanach d’un comté des sables [1949], trad. A. Gibson, Paris, Aubier, 1995, p. 283. À rapprocher de Guillaume Logé, Le Musée monde. L’art comme écologie, Paris, Puf, 2022, p.97.
[86] Guillaume Logé, Wild Renaissance…, op. cit., ainsi que « Vers une renaissance sauvage », entretien, STREAM 05, Nouvelles Intelligences, Paris/Dijon, PCA-Stream/les Presses du réel, 2021, p. 273 et Romain Bigé dans Le partage du mouvement. Une philosophie des gestes avec le Contact Improvisation, thèse de doctorat, dir. Renaud Barbaras, Ecole Normale Supérieure-PSL, 2017.
[87] Cf. Eckhard H. Hess, « « Imprinting » in Animals », Scientific American, Vol. 198, No. 3 (March 1958), p. 81-93.
[88] Les citations du § renvoient à une conversation avec l’artiste.
[89] Bernard Vitrac, « Les mathématiques dans le Timée de Platon : le point de vue d’un historien des sciences », Études platoniciennes, 2, 2006, p.11-78.
[90] Dictionnaire CNRTL [en ligne].
[91] Source : https://annemariemaes.net/.
[92] Cf. « Six leçons d’écologie par Héraclite », dans Guillaume Logé, Le Musée monde…, op. cit., p.88.
[93] Idem.
[94] Conservée aujourd’hui en grande partie au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris.
[95] Parmi la riche bibliographie possible, nous renvoyons à Yves Le Fur, Résonnances, Studiolo, L’atelier contemporain, Paris, 2023.
[96] Citations : Ibid., p. 113 sq.
[97] Laurent Derobert, Fragments de mathématiques existentielles, Avignon, Délirium, 2010 et Algèbres, Indice d’odyssée. Géométrie, Voies réelles et rêvées, Paris-Avignon, Hus & Délirium, 2020. « […] à la fois mathématique et moral, poétique et métaphysique » : Baptiste Mélès, « Laurent Derobert. Fragments de mathématiques existentielles », Revue de Synthèse, 2013, 134 (3), p.406-408.
[98] Nous entendons « Mystère » au sens de Guillaume Logé, Renaissance sauvage…, op. cit., p.105-106.
[99] Zygmunt Bauman, La vie liquide, trad. C. Rosson, Rodez, Le Rouergue/Chambon, 2006 et Le présent liquide, peurs sociales et obsession sécuritaire, trad. L. Bury, Paris, Seuil, 2007.
[100] Voir également ce que nous disons de l’artiste dans Le Musée monde, op. cit.